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Santiago del Pilar

La route ne dure pas plus d’un quart d’heure pour joindre le village de Santiago del Pilar. Il est serré autour de sa place centrale qui contient l’église à trois cloches, visibles dans les campaniles ouverts, le tribunal, le bureau du « Président municipal », le poste de police fédérale et les écoles primaires. Le tout sur 200 m², pas plus.

Notre arrivée sur la place perturbe certains des cours ; nous sommes une attraction rare pour les enfants en ces coins reculés. Cela me rappelle l’arrivée du cirque itinérant, chaque printemps dans un village de la Beauce isolé au milieu des champs, lorsque j’avais 6 ans. Nous allions voir les singes, le lion et les Gitans. Ici, les frimousses éveillées des enfants vont voir les touristes. Ils nous détaillent avec curiosité. Les filles gardent une certaine réserve, même à 8 ans, mais les garçons, plus hardis, plus débraillés, s’émulent en bande. Ils n’hésitent pas à se bousculer à la porte pour nous voir. Le maître s’empresse de venir nous accueillir pour reprendre la situation en main. Il échange quelques mots évidents comme « d’où venez-vous, où allez-vous aujourd’hui », avant d’ouvrir le parapluie politico-zapatiste et de nous déclarer que, pour nous promener dans le coin, il nous « faut demander l’autorisation du Président Municipal. » Je ne sais pas s’il a été formé à Cuba, mais cela y ressemble. Après ce court intermède, il fait se rasseoir les enfants et ferme sa porte. Pas de compromission avec le capitalisme, la curiosité – naturelle – des enfants doit être gérée : on passe quelques minutes avec les étrangers en orientant bien la conversation, pour que chacun puisse assouvir sa curiosité, puis on referme la parenthèse et on passe à autre chose.

Nous ne visitons pas l’église, qui date de 1979, sans être aussitôt accompagnés par quelques-uns des adultes qui badaudent sur la place. Peut-être allions-nous vandaliser quelques saints ou – pire – prendre des photos hérétiques ? Ils s’empressent de refermer la porte de l’édifice une fois que nous sommes sortis. Nous n’aurons pas droit à une seconde chance.

Nous attendons notre guide local, négocié avec le municipal. Il tarde car les horaires paysans n’ont pas la précision de ceux des villes. Lorsqu’il se présente, en chemise jaune canari, il déclare s’appeler Mateo. Il a le teint cuivré et aime se tenir au soleil.

Nous partons à pied, sac sur le dos, parmi les collines. Le paysage est varié, comprenant champs, prés, friches et hameaux agricoles disséminés sur les collines. Les champs sur la pente ont les sillons verticaux, ce qui est une hérésie environnementale, l’eau de pluie poussant la terre à descendre vers le fond de vallée. « Ces champs sont parfois si pentus que les paysans doivent s’encorder pour les cultiver », nous révèle Guillermo. La région est riche, mais isolée. Nous sommes cependant la curiosité des habitants, moins peureux que ceux d’hier. Sur le chemin, un tout petit garçon sans culotte pisse debout, tout en faisant autre chose, d’une indifférence complète aux étrangers qui passent. Plus tard, une petite fille serre un jeune poulet en guise de poupée sur la peau nue de sa poitrine.

Des caféiers poussent sous des bananiers qui les protègent des trop fortes ardeurs du soleil. Les lianes de haricots s’enroulent sur les tiges de maïs déjà mûr qui leur servent ainsi de tuteurs en attendant la récolte. Rien n’est perdu. Les carrés de béton devant les maisons sont des aires de séchage pour les grains de café. Les fruits sont mis à macérer en bassins avant d’être décortiqués par une machine actionnée à la main. Cela demande de l’énergie et un jeune homme, devant une maison de torchis, en a ôté sa chemise. Une famille se préoccupe de récolter les fruits avant la macération. J’offre ma barre de Granny que je ne mange jamais à une maman, « pour les enfants ». Cris de joie des garçons, comme s’ils avaient reçu quelque objet rare et précieux.

Soleil, humidité, la marche est plus lourde que les jours précédents. Au bout de 9 km au podomètre de Jacques, quelque part au-delà de midi, Thomas demande à Mateo de s’arrêter là pour pique-niquer. L’objectif était « le rio » mais il s’est avéré plus tard qu’il était encore loin. « 40 mn », nous disait Mateo. Certes, pour un autochtone qui marche sans sac et connaît le chemin, pas pour notre groupe où certains suivent avec difficulté faute d’entraînement.

Ceux-là ont sans doute trop d’affaires inutiles dans leur sac. J’ai aperçu hier une grosse trousse pleine de médicaments, par exemple. Le pique-nique, sous un arbre ombrageux, est bienvenu. Hélène porte un tee-shirt où figure l’inscription : « il n’y a pas de joie sans vin ». Aujourd’hui où il n’y a que la gourde, ce ne doit pas être le bonheur. « C’est une citation du Talmud », précise-t-elle. Sous le vaste oranger qui nous protège, devant le spectacle des bananiers du champ qui nous sépare du chemin poussiéreux, elle déclare rêver d’une bière glacée, « une blanche bien citronnée », tout en mâchant son sandwich à la mortadelle locale.

Nous ne reprenons pas la marche sous le cagnard. Herberto appelle le bus par talkie-walkie (il est plein de ressources, cet hombre !) et l’engin vient nous prendre à demeure pour deux heures de route jusqu’à l’étape du soir. Des gamins croisés en route font des signes au bus, d’autres nous regardent passer immobiles, comme figés par cette incongruité.

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Dambatenne parmi les jardins de thé

La richesse de Ceylan consistait jadis dans la culture du café mais un insecte, l’hemileia vastatrix, parvint à tout ravager en détruisant les feuilles dès l’année 1869. Le caféier a donc été remplacé par le thé à l’initiative des Anglais en 1876. Le climat sur les collines de l’intérieur permet une récolte très fructueuse à Ceylan. Sir Thomas Lipton, né en 1850 et mort en 1931, est écossais. Épicier, il achète des plantations de thé à 180 km de Colombo, dans les collines de Poonagala. Autodidacte, il fait fortune avec ses sachets, encore étiquetés « thé Lipton », mais il s’est plus intéressé à la Coupe de l’America et aux régates de yachting qu’à Ceylan. C’est cependant sous son nom qu’est encore établie la plantation Sherwood, à Haputale. Le domaine est devenu entreprise locale dès l’indépendance, son thé est vendu en gros sous le nom de Larkin.

plantation sherwood haputale sri lanka

Nous débutons la journée par un peu de bus, qui nous conduit jusqu’à l’orée de la plantation. Chose curieuse, il fait beau. Nous montons par la route qui serpente parmi les jardins de thé et les hameaux tamouls sur les pentes des collines. Les seuls endroits plats sont cultivés de légumes et construits de maisons. Il y a un temple hindou en bas, une mosquée plus haut, et encore plus haut une chapelle chrétienne à la Vierge. Comme sur les murs de l’école que nous longeons, toutes les religions du pays sont représentées. La façade scolaire représente aussi un écolier du primaire effectuant les mouvements yoguiques du Salut au soleil.

village tamoul haputale sri lanka

Tous les gens que nous croisons nous lancent des hello ! à quelques exceptions près, musulmanes (pourquoi ai-je envie d’ajouter : « évidemment » ?). Les gamins sont particulièrement avenants, curieux de la modernité et du reste du monde. Ils parlent très peu anglais mais n’hésitent jamais (contrairement aux nôtres…) à utiliser leurs maigres connaissances pour parler. Un treize ans pieds nus, chaîne d’or au cou, me demande d’où je viens ; son copain, plus jeune et plus terreux, ne sait dire que « what’s your name » et « give a pen ». Deux autres, assis sur un muret, nous offrent des goyaves vertes qu’ils viennent de cueillir directement à l’arbre. Les femmes sourient, les petites filles se laissent prendre en photo mais ne parlent pas un mot d’anglais, entre pudeur et ignorance.

13 ans et son copain haputale sri lanka

Les parcelles plantées de théiers sont numérotées. Chaque plaque indique la superficie de l’exploitation, le Ph et la teneur en carbonate du sol, enfin la date de la dernière taille des arbustes. Chaque parcelle correspond à une exposition, donc à une qualité de cru. Selon les résultats sur quatre ou cinq ans, le propriétaire va planter un arbre ou deux de plus pour ombrager ou, au contraire, en couper. Des panneaux indiquent qu’il est interdit sur le domaine de chasser, de sectionner les arbres et de jeter des ordures.

jardin de the plantation sherwood haputale sri lanka

Des maximes politiquement correctes en anglais ponctuent la route à chaque virage, là où l’on doit ralentir pour négocier la courbe. Elles portent sur l’environnement dans un mélange de mystique écolo, de libéralisme anglais et de bouddhisme syncrétique. Par exemple : « le fameux équilibre de la nature est le plus extraordinaire de tous les systèmes cybernétiques. Laissé à lui-même, il est toujours autorégulé ». Ou encore : « Ceux qui espèrent apprivoiser et materner des jeunes animaux sauvages les « aiment ». Mais ceux qui respectent leur nature et espèrent les laisser vivre normalement les aiment plus encore. » Et encore : « Une personne qui écrit la nuit peut éteindre la lampe, mais les mots qu’elle a écrits restent. C’est la même chose avec le destin que nous nous créons dans le monde ».

maxime ecolo plantation sherwood haputale sri lanka

Elles ponctuent la montée au Lipton Seat, point de vue culminant où sir Thomas, dit-on aimait à monter le soir pour contempler son œuvre, sinon la beauté calme du paysage.

lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous y prenons un thé, bien entendu, dans une petite boutique installée tout près. Dommage que le choix des qualités ne soit pas développé et que nous devions boire le thé générique, infusé dans l’eau chauffée au feu de bois qui s’est imprégnée du goût de fumée. Les nuages se sont assez levés pour dissiper la brume sur le paysage au-dessous.

the au lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous redescendons par les escaliers sommaires qui servent à drainer les pluies et à accéder à la cueillette avant de visiter la Dambatenne Tea Factory.

farique de the sherwood haputale sri lanka

Le secret de « fabrication » est si bien gardé qu’il est interdit de prendre aucune photo – l’indépendance rend susceptible et tend à garder jalousement des procédés – acquis du colonisateur.

kids tamouls haputale sri lanka

La fabrique travaille au ralenti le dimanche, mais le contremaître nous montre cependant l’usine, contre paiement de 250 roupies chacun. Il nous explique en anglais le processus qui mène de la feuille au sachet. Après cueillette, le séchage sous de gros ventilateurs d’air chaud, puis le roulage en machine, la fermentation quelques heures pas plus, puis trois coupes successives des feuilles avant tamisage et tri par taille, de la poussière (jetée) aux résidus (jetés au compost) – les tailles intermédiaires réparties par qualité. Il y a le BODF (Broken Orange Pekoe Fine), le BOP (Broken Orange Pekoe), le BP (Broken Pekoe), le BPS (Broken Pekoe Souchong) très grossier de basse qualité, enfin le Broken tea, très médiocre. La fabrique ne produit pas de « tips », ces feuilles en bourgeon encore presque blanches, qui sont du goût le plus subtil. Pekoe signifie en chinois duvet blanc et désigne les jeunes feuilles, encore enroulées. Les grades sont alors le TGBOP (Tippy Golden Broken Orange Pekoe), le GFBOP (Golden Flowery Broken Orange Pekoe), le GBOP (Golden Broken Orange Pekoe), le FBOP (Flowery Broken Orange Pekoe), enfin le BOP1 (Broken Orange Pekoe).

femmes tamoul haputale sri lanka

« Pourquoi Orange ? » Eh bien, il semble que ce soit un hommage rendu par les premiers importateurs de thé hollandais à leur famille royale : les Orange Nassau. Le nom, originaire d’un domaine du Vaucluse, a été porté par les princes des Pays-Bas, notamment Guillaume 1er qui combattit les Espagnols de Philippe II, et Guillaume III, qui devint roi d’Angleterre et d’Écosse sous Louis XIV.

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