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Sucre tabac et distillerie de Cuba

Il faut attendre que le soleil tombe, durant les vingt derniers kilomètres avant Santiago, pour distinguer enfin quelques détails du paysage que nous traversons. Les travailleurs rentrent des champs, les écoliers de l’école. D’autres jouent déjà au ballon, en short, jeunes corps caramel souples et vifs. Il fait plus chaud ici qu’ailleurs dans la région, en témoigne la végétation différente dont les agaves, les cactus et les arbres à pain. Nous croisons des charrettes et des camions ; tous ont la benne remplie de cannes à sucre frais coupée. Il y a une récolte par an.

ecoliers caramel cuba

Le bus est arrêté sur la route par un train à sucre en manœuvre. Il avance, lentement, puis recule, peut-être pour aller chercher on ne sait quel aiguillage en aval. Tout cela en prenant son temps, de façon bien bureaucratique. Le socialisme ne connaît pas la productivité, les travailleurs ne seront pas plus payés s’ils font bien, alors…

fatigue cuba

Les champs de cannes en cours de coupe poussent dans toute la région centrale. Les wagons qui servent à transporter les cannes sont vieux et rouillés, garnis de barreaux comme des cages. Ils conduisent la récolte des champs jusqu’à l’usine sucrière du village de Los Rios, commune de Palmas Soriano, le nom même de la marque de rhum goûtée hier. Sergio nous vante Cuba, « sixième pays au monde à introduire le chemin de fer sur son territoire, le deuxième des Amériques ». Mais ni les voies ni le matériel ne sont entretenus depuis l’aide soviétique des années soixante. Des wagons diesel, véritables bus sur rail, transportent les ouvriers aux champs, faute de camions.

distillerie 19eme cuba

Les deux cheminées de la sucrerie fument à plein régime, vomissant du noir productiviste comme jadis, sans aucun souci pour la pollution. Le travail reste toujours la valeur suprême de l’idéologie ouvrière, et peu importe la modernité. Dans la région de Cienfuegos subsistent encore de vieilles locomotives à vapeur alimentées au charbon, nous dit Sergio. Elles servent toujours à l’industrie sucrière et certaines datent de 1874. Sur les 11 969 km de lignes, seules 147 sont électrifiées.

locomotive sucre cuba

Curieusement, l’industrie sucrière, la plus importante activité agricole de l’île, n’emploie environ que 300 000 personnes. C’est peu. Il faut ajouter le café, le cacao, le tabac, les bananes, les productions vivrières. Mais tout cela représente peu sur l’ensemble de la population, 25% (qui ne produit que 7% du PIB). Même si l’on enlève les moins de 14 ans encore à l’école, et les quelques trop vieux pour travailler, l’agriculture emploie relativement peu de monde à Cuba. L’industrie est réputée employer 24% de la population pour 37% du PIB (il faut bien distiller le rhum et rouler les cigares !) mais ce sont surtout « les services » qui emploient 51% de la population, signe d’une administration pléthorique et de l’importance de l’agitation politique sur la production même de richesses. Le secteur d’État représente en 1998 75% des actifs et le taux de chômage « avoué » est quand même de 4.3% en 2013 : quelle réussite pour un État « socialiste » !

esclave enchaîné cuba

Pour le tabac, les labours s’effectuent à la charrue tractée par des bœufs en juillet. Le tabac est semé en septembre et repiqué mi-novembre. La récolte a lieu en janvier suivant, feuille à feuille. Elles sécheront dans des maisons de bois aux toits de palme où l’air circule bien sans qu’il n’y fasse jamais trop chaud, cela pendant cinquante jours. Les feuilles de tabac seront alors mises en ballots dans des écorces de palmier pour vieillir par fermentation de six mois à deux ans. Ensuite, ce sont le plus souvent des femmes qui reprennent les feuilles une à une, ôtent les nervures et les classent par taille, teinte et texture en les posant sur leurs cuisses. Il faut cinq ans pour former une spécialiste du classement. Mais les femmes ne roulent pas les cigares sur leurs cuisses, c’est un mythe ! Les fabricants spécialisés doivent faire de 100 à 140 cigares par jour. Dans les manufactures, un lecteur assis face à eux leur lit un roman ou le journal pour les éduquer !

Cohiba cigars in disaplay. Havana (La Habana), Cuba

Le « habano » – nom du cigare cubain (on dit aussi « puro ») – est le mélange de cinq types de feuilles : trois pour la tripe (le milieu du cigare), un pour la capote (enroulée autour de la tripe) et un pour la cape (l’enveloppe extérieure, visible, la plus précieuse). L’originalité d’un havane dépend du pourcentage de feuilles choisies pour lui donner sa force (ligero), son arôme (seco) et sa combustibilité (volado). L’assemblage est aussi important que pour un grand cru de vin. Ce sont les maîtres assembleurs qui connaissent les dosages adéquats pour chaque type de cigare de la marque. Les cigares une fois terminés sont regroupés par cinquante et laissés à reposer dans une grande salle pendant plusieurs semaines. Ils sont ensuite classés en fonction de 64 nuances de couleurs et rangés en dégradé du plus sombre au plus clair. Bagué un à un (signe de leur authenticité !) ils sont déposés dans leur boite définitive, en cèdre comme il se doit. Nous trouvons des Cohiba, des Lanceros, des Siglo V, des Coronas et des Romeo y Julietta n° I à IV, des Montecristo n°1 à 3, des Esplendidos, des Partagas…

cigares cubains

rhum legendario aniejo cuba

Mais nous attend plutôt la dégustation de rhum, avec incitation à l’achat. Il s’agit d’une production de Santiago dont le nom est Palmas Soriano. Ce n’est pas Bacardi. Le vieux rhum (5 à 7 ans d’âge) n’est pas fort, 38° degrés seulement contre 55° aux Antilles, il a un goût de rhum Negrita sucré et allongé. Il est assez parfumé mais ne vaut ni un cognac ni un whisky malté. On nous en sert un demi-centimètre dans un gobelet en plastique pour goûter. L’idée est de déclencher un achat de rhum, cigare, café, cacao, photos en noir et blanc du Che (dont la célébrissime prise par Korda en 1960), en bref, tous les produits qui sont aujourd’hui l’image de Cuba dans le monde. Françoise « n’aime pas le rhum » et j’ai ainsi double ration… à peine de quoi me rincer le gosier.

rhum legendario cuba

La fabrique achète du jus de canne qu’elle laisse un peu fermenter. Elle procède ensuite à une distillation double, puis filtre le résultat dans des cuves à charbon actif pour éliminer les impuretés. Le vieillissement s’effectue en fûts, à 75° d’alcool. Pour atteindre le titrage officiel à 38°, on ajoute « simplement » de l’eau déminéralisée ! Le rhum se déguste mieux avec un café et un havane, selon le gros Noir qui veut faire de l’humour. « Les femmes ? – après, rit-il. » Les 38 employés de la fabrique sortent quelques 6000 bouteilles chaque jour. Le bar à dégustation et vente se trouve à l’étage et nous y passons plus de temps qu’à la visite…

Le Havana Club de 7 ans d’âge est pour moi le meilleur des trois rhums que nous avons goûtés, sec et parfumé. L’« Aniejo Reserva » Havana Club simple et le « Ron Legendario Aniejo » sont, parmi les rhums bruns, moins bons, trop fades et trop sucrés pour mon goût. Quant aux rhums blancs, ils ne sauraient se boire seuls ; ils servent surtout aux cocktails.

Nous reprenons donc le bus l’après-midi. Sur le trajet depuis l’hôtel, nous passons à la demande de Sergio qui veut nous les montrer, dans les quartiers chics aux maisons du début du 20ème siècle entourées de jardins. Celle de la famille Bacardi est un presque château, très cossu. Sur un stade, des adolescents s’entraînent au base-ball, le sport national. Aux arrêts de bus se pressent des filles superbes, belles jambes, fermes poitrines et grands sourires. Dans les rues, les adolescentes ont le regard effronté et parfois l’expression directe envers les mâles occidentaux. Une adolescente en débardeur me propose d’acheter un cigare à la sauvette et je lui réponds que je ne fume pas ; elle me répond du tac au tac, en espagnol, qu’elle fumerait bien le mien, de cigare. Elle a accompagné cette remarque d’un bruit de bouche et d’un regard suggestif vers ma ceinture. Le sexe, partout vous suit, peu pour le désir, surtout pour le fric… tant le Cuba socialiste manque de tout.

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Dambatenne parmi les jardins de thé

La richesse de Ceylan consistait jadis dans la culture du café mais un insecte, l’hemileia vastatrix, parvint à tout ravager en détruisant les feuilles dès l’année 1869. Le caféier a donc été remplacé par le thé à l’initiative des Anglais en 1876. Le climat sur les collines de l’intérieur permet une récolte très fructueuse à Ceylan. Sir Thomas Lipton, né en 1850 et mort en 1931, est écossais. Épicier, il achète des plantations de thé à 180 km de Colombo, dans les collines de Poonagala. Autodidacte, il fait fortune avec ses sachets, encore étiquetés « thé Lipton », mais il s’est plus intéressé à la Coupe de l’America et aux régates de yachting qu’à Ceylan. C’est cependant sous son nom qu’est encore établie la plantation Sherwood, à Haputale. Le domaine est devenu entreprise locale dès l’indépendance, son thé est vendu en gros sous le nom de Larkin.

plantation sherwood haputale sri lanka

Nous débutons la journée par un peu de bus, qui nous conduit jusqu’à l’orée de la plantation. Chose curieuse, il fait beau. Nous montons par la route qui serpente parmi les jardins de thé et les hameaux tamouls sur les pentes des collines. Les seuls endroits plats sont cultivés de légumes et construits de maisons. Il y a un temple hindou en bas, une mosquée plus haut, et encore plus haut une chapelle chrétienne à la Vierge. Comme sur les murs de l’école que nous longeons, toutes les religions du pays sont représentées. La façade scolaire représente aussi un écolier du primaire effectuant les mouvements yoguiques du Salut au soleil.

village tamoul haputale sri lanka

Tous les gens que nous croisons nous lancent des hello ! à quelques exceptions près, musulmanes (pourquoi ai-je envie d’ajouter : « évidemment » ?). Les gamins sont particulièrement avenants, curieux de la modernité et du reste du monde. Ils parlent très peu anglais mais n’hésitent jamais (contrairement aux nôtres…) à utiliser leurs maigres connaissances pour parler. Un treize ans pieds nus, chaîne d’or au cou, me demande d’où je viens ; son copain, plus jeune et plus terreux, ne sait dire que « what’s your name » et « give a pen ». Deux autres, assis sur un muret, nous offrent des goyaves vertes qu’ils viennent de cueillir directement à l’arbre. Les femmes sourient, les petites filles se laissent prendre en photo mais ne parlent pas un mot d’anglais, entre pudeur et ignorance.

13 ans et son copain haputale sri lanka

Les parcelles plantées de théiers sont numérotées. Chaque plaque indique la superficie de l’exploitation, le Ph et la teneur en carbonate du sol, enfin la date de la dernière taille des arbustes. Chaque parcelle correspond à une exposition, donc à une qualité de cru. Selon les résultats sur quatre ou cinq ans, le propriétaire va planter un arbre ou deux de plus pour ombrager ou, au contraire, en couper. Des panneaux indiquent qu’il est interdit sur le domaine de chasser, de sectionner les arbres et de jeter des ordures.

jardin de the plantation sherwood haputale sri lanka

Des maximes politiquement correctes en anglais ponctuent la route à chaque virage, là où l’on doit ralentir pour négocier la courbe. Elles portent sur l’environnement dans un mélange de mystique écolo, de libéralisme anglais et de bouddhisme syncrétique. Par exemple : « le fameux équilibre de la nature est le plus extraordinaire de tous les systèmes cybernétiques. Laissé à lui-même, il est toujours autorégulé ». Ou encore : « Ceux qui espèrent apprivoiser et materner des jeunes animaux sauvages les « aiment ». Mais ceux qui respectent leur nature et espèrent les laisser vivre normalement les aiment plus encore. » Et encore : « Une personne qui écrit la nuit peut éteindre la lampe, mais les mots qu’elle a écrits restent. C’est la même chose avec le destin que nous nous créons dans le monde ».

maxime ecolo plantation sherwood haputale sri lanka

Elles ponctuent la montée au Lipton Seat, point de vue culminant où sir Thomas, dit-on aimait à monter le soir pour contempler son œuvre, sinon la beauté calme du paysage.

lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous y prenons un thé, bien entendu, dans une petite boutique installée tout près. Dommage que le choix des qualités ne soit pas développé et que nous devions boire le thé générique, infusé dans l’eau chauffée au feu de bois qui s’est imprégnée du goût de fumée. Les nuages se sont assez levés pour dissiper la brume sur le paysage au-dessous.

the au lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous redescendons par les escaliers sommaires qui servent à drainer les pluies et à accéder à la cueillette avant de visiter la Dambatenne Tea Factory.

farique de the sherwood haputale sri lanka

Le secret de « fabrication » est si bien gardé qu’il est interdit de prendre aucune photo – l’indépendance rend susceptible et tend à garder jalousement des procédés – acquis du colonisateur.

kids tamouls haputale sri lanka

La fabrique travaille au ralenti le dimanche, mais le contremaître nous montre cependant l’usine, contre paiement de 250 roupies chacun. Il nous explique en anglais le processus qui mène de la feuille au sachet. Après cueillette, le séchage sous de gros ventilateurs d’air chaud, puis le roulage en machine, la fermentation quelques heures pas plus, puis trois coupes successives des feuilles avant tamisage et tri par taille, de la poussière (jetée) aux résidus (jetés au compost) – les tailles intermédiaires réparties par qualité. Il y a le BODF (Broken Orange Pekoe Fine), le BOP (Broken Orange Pekoe), le BP (Broken Pekoe), le BPS (Broken Pekoe Souchong) très grossier de basse qualité, enfin le Broken tea, très médiocre. La fabrique ne produit pas de « tips », ces feuilles en bourgeon encore presque blanches, qui sont du goût le plus subtil. Pekoe signifie en chinois duvet blanc et désigne les jeunes feuilles, encore enroulées. Les grades sont alors le TGBOP (Tippy Golden Broken Orange Pekoe), le GFBOP (Golden Flowery Broken Orange Pekoe), le GBOP (Golden Broken Orange Pekoe), le FBOP (Flowery Broken Orange Pekoe), enfin le BOP1 (Broken Orange Pekoe).

femmes tamoul haputale sri lanka

« Pourquoi Orange ? » Eh bien, il semble que ce soit un hommage rendu par les premiers importateurs de thé hollandais à leur famille royale : les Orange Nassau. Le nom, originaire d’un domaine du Vaucluse, a été porté par les princes des Pays-Bas, notamment Guillaume 1er qui combattit les Espagnols de Philippe II, et Guillaume III, qui devint roi d’Angleterre et d’Écosse sous Louis XIV.

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