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Ken  Follett, Le scandale Modigliani

« Roman policier enjoué », selon les dires de l’auteur dans son introduction, cet opus du milieu des années 70 n’a pas réussi son objectif qui était de montrer « l’état de subtile dépendance dans lequel se retrouve la liberté individuelle lorsqu’elle est en butte à des mécanismes plus puissants qu’elle ». Mais le résultat est un roman léger, exubérant et pétillant qui se lit avec grand plaisir et au galop.

L’auteur fait une satire des milieux artistiques de son époque qui est réjouissante. Les galeries de tableaux jouent plus sur le snobisme des clients qui ont de l’argent que sur l’intérêt des offres qu’elles présentent. Pour les marchands, il s’agit de vendre, pas de participer à la culture. Et c’est là que le roman prend tout son sens.

Une étudiante en thèse histoire de l’art à Londres entend parler par un vieux défoncé à Paris d’un tableau ignoré de Modigliani, juif italien qui a vécu l’Occupation perdu dans la campagne. Avec son compagnon Mike, elle se lance sur ses traces. Elle a cependant la légèreté d’envoyer de cartes postales mentionnant sa quête, l’une à son oncle, riche lord collectionneur lancé dans les affaires, et l’autre à une amie récemment maquée avec un escroc viril au look ouvrier. C’est tout ce petit monde qui va se mettre à la recherche du tableau, l’oncle mandatant un détective pour mener l’enquête, Julian, l’ex-mari de l’amie Samantha suivant carrément la jeune fille, tandis que Dee et Mike suivent les traces du tableau ignoré, du sud de la France au centre de l’Italie.

Le plus drôle est que chacun se retrouve à la fin avec un faux, sauf un, l’authentique, dont je ne dirais pas qui l’a trouvé. Il faut laisser le suspense. Le roman se lit très bien, surtout pour sa peinture des parasites qui gravitent autour de la peinture justement, le snobisme des riches tout à fait ignorants et d’ailleurs indifférent à l’art, la bêtise des malfrats qui ne pensent qu’à voler, le talent des faussaires qui ne songent qu’à s’enrichir sur la mode.

Doublant cette quête, une opération de communication et de dénonciation de deux peintres temporaires ignorés des galeries est mise en scène pour prouver l’indigence des galeristes et forcer leur communauté de nantis à financer une collection dédiée aux peintres contemporains qui doivent vivre de leur peinture. « Ils ont démontré que les prix colossaux des œuvres d’art reflétaient le snobisme des acheteurs plutôt que la valeur artistique de l’œuvre, ce que nous savions tous déjà, et qu’un authentique Pissarro ne valait pas mieux qu’une bonne copie » p.309.

Les faux sont partout et les fausses pistes innombrables dans cette chasse au trésor. J’ai beaucoup aimé la façon qu’a Dee, la jeune étudiante en quête du Modigliani, de parcourir les églises à la recherche du tableau en enlevant son slip pour essuyer les peintures poussiéreuses. Nous sommes dans l’ambiance des années 70 où tout était à l’optimisme et à l’érotisme. Une cure de jouvence.

Ken  Follett, Le scandale Modigliani, 1976, Livre de poche 2021, 343 pages, €7.90 e-book Kindle €7.49

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Stéphane Piletta-Zanin, Le temps s’écoule à Barde-Lons

Des caractères, mais un style byzantin et un fil qui se perd. Le lecteur a l’impression de lire un dossier de roman en chantier comme ces annexes de la collection de la Pléiade où les intestins des impasses et variantes sont dehors avant que le cœur se soit mis à battre.

Le goût de l’observation, l’exigence de l’expression et la volonté de conter une histoire ne vont pas sans travail. La littérature n’est pas un terrain en friche mais un jardin cultivé. C’est le métier d’éditeur de conseiller l’auteur. Il est vrai que Xenia publie volontiers les parias idéologiques, de Jean Cau à Unabomber, Renaud Camus ou André Bercoff (alias Philippe de Commines ou Caton). Mais offrir l’hospitalité (xenia en grec) au politiquement incorrect devrait augmenter l’exigence de qualité, pas l’inverse.

Car un roman littéraire n’est pas une suite de digressions aussi interminables que oiseuses sur la structure du récit ou le statut des personnages ; ce n’est pas non plus le constant clin d’œil de l’auteur, empli de complaisance pour ses portraits, et qui veut guider paternellement le lecteur. Celui-ci est assez grand pour juger par lui-même. Sur les quelques 350 pages, 150 auraient pu être élaguées afin que l’arbre poussât plus vigoureusement, comme Gallimard le fit pour Les Bienveillantes de Jonathan Littell, encore que trop de grotesque soit passé, malgré la volonté de l’éditeur. Quel dommage, par exemple, que ce roman commence par le chapitre 1 – qui est à supprimer… Qu’il se termine par une postface aussi pénible qu’inutile – et qu’il nous refasse le coup – éculé – du manuscrit trouvé ici ou là.

C’est dommage car l’auteur a du style quand il ne sombre pas dans le contentement de soi par l’enivrement des allitérations ou la liste sur des dizaines de pages des romans qu’il aurait pu écrire mais dont il ne garde qu’une vague idée. La bonne littérature s’écrit rarement au dictaphone ou au fil de la plume et nombre de phrases auraient pu passer au « gueuloir » de Flaubert afin d’en tester la clarté. En témoigne par exemple p.114 : « La formulation de la question, une fois franchi cependant l’obstacle de l’interrogation première consistant à savoir si la question elle-même devait être posée, était déjà en soi une vraie entreprise et fit l’objet entre le Grand Louis et le Collectionneur de discussions longues et pour le moins approfondies » p.114. L’incidente et les termes-valise comme « cependant », « première », « consistant », « elle-même », « en soi », « vraie », « pour le moins » sont inutiles et chargent de fioritures baroques le dire sans ajouter au sens.

Stéphane Piletta-Zanin a été avocat devant la Cour pénale internationale et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et, dans un premier roman, il a publié une galerie de portraits de personnages jugés pour crimes de guerre et violations du droit humanitaire. Il poursuit dans cette veine en alignant un catalogue de villageois et villageoises plus ou moins pittoresques, qu’il sait rendre vivants. Et un peu loufoques. Le début allèche par une suite de fornications effrénées dans la campagne, à la Marcel Aymé ; c’est truculent et joyeux, hors les scories des phrases longuettes, du ton parfois doctoral et des mots en trop. Manque l’humour Aymé mais « Marie Mamelons » est bien trouvé pour une fille bien dotée, dont les seins sortent volontiers de leur loge.

Les clins d’œil littéraires ne manquent pas, de « Gabo » (Gabriel Garcia-Marquez, dont l’auteur n’a pas le souffle), à Sade, Dante, Vian, Hemingway, Robert Musil et son K und K, comme d’autres. Mais pourquoi énoncer qu’amoral est pire qu’immoral p.18 ? Pourquoi placer dans un roman ce jargon économico-branché de « concurrentiel du point de vue du personnage principal » p.21 ? Pourquoi dire « savait-on jamais » p.70 alors que l’expression est « sait-on jamais », intemporelle ? Je veux bien qu’écrire « téhorie » p.94 puisse être une faute de frappe, mais ne serait-ce pas une afféterie ? De même « avant-guardiste » p.186 serait-il avant-gardiste ? Et p.102, Isaac sacrifié par son père Abraham est encore « un enfant », il se deviendra « homme » (donc pubère) qu’après le sacrifice. Le lecteur « pas assez lettré » peu passer à côté, mais l’appel marketing à la « haute littérature » exigeant une vaste culture pour entrer dans le livre est exagéré.

Barde-Lons est un village imaginaire qui évoque la Suisse frontalière (avec son vocabulaire particulier comme « carnozet » et « verrées ») ; cela dans une ambiance de romantisme allemand. A ce roman manque une histoire qui entraîne le lecteur ; un catalogue de personnages ne suffit pas. Certes, le temps s’écoule à Barde-Lons, mais il s’écoule trop longuement.

Stéphane Piletta-Zanin, Le temps s’écoule à Barde-Lons – Retraits amoureux, ou les avatars d’Emilienne, 2017, éditions Xenia, Suisse, imprimé en Serbie, 368 pages, €23.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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