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Thomas Disch, Génocides

Nous sommes dans un présent possible aux Etats-Unis. Des graines ont brutalement germé qui font pousser de hautes Plantes avides d’eau dont les racines enfoncées profondément dans le sol pompent absolument tout. Les autres plantes s’assèchent, meurent, les insectes avec elles donc les oiseaux, puis les autres mammifères, les herbivores faute d’herbe et les carnivores faute d’animaux. Restent les hommes.

Ils ont tout essayé, la chimie, l’arrachage, l’incendie. Mais rien n’y fait. Affamés dans les villes, ils s’autodétruisent et quittent la civilisation urbaine. Dans la campagne, les bandes de pillards sont impitoyablement massacrées, leur chair transformée en saucisses pour manger par les paysans, ancrés sur leurs terres. Ils les cultivent à grand peine en incisant les troncs lisses des Plantes et en répandant leur sève nourricière à seau sur les plans de maïs. De quoi passer l’hiver. Mais cela demande un rude effort, torse nu dans la chaleur, tandis que la raréfaction de l’eau et des végétaux assèche le climat.

Les Plantes se défendent car elles ont un maître. Il est venu des étoiles et se sert de la Terre comme d’un jardin ouvrier : il sème, il récolte, il cultive sur brûlis. Des sphères métalliques automatiques incinèrent tout ce qui bouge et qui est vivant hors la Plante. Ainsi le dernier troupeau de vaches que le fils cadet Neil, bien bâti mais bête, a laissé s’échapper de la grange à cause du taureau. Les sphères grillent toute cette viande en course, ainsi que le dernier garçon du patriarche, 12 ans.

La société s’est réduite. Dans ce nord du Minnesota, le paysan Anderson s’est mué en patriarche biblique, engrossant douze femmes et régnant sur la tribu. Son pouvoir tient à sa Bible et au dernier revolver de la contrée. Congrégationniste protestant, il gère sa paroisse en indépendant, interprétant lui-même le Dogme. Et tous lui obéissent. C’est très américain.

Tous, sauf un étranger, Jeremiah Orville, rescapé des villes où il a exercé un temps la fonction de gardien de camp pour le gouvernement, impuissant à juguler les Plantes. Incendiée par les sphères, la ville est détruite et ses survivants errent dans la campagne, à la merci des autres bandes de pillards comme des paysans sur leurs terres. Orville voit sa belle compagne zigouillée sous ses yeux et sa chair passer dans la vis sans fin de l’appareil à saucisse. Lui ne doit d’être sauvé que parce qu’il a exercé un métier qui intéresse : ingénieur des mines. Les humains ne peuvent en effet échapper aux sphères que sous la terre, dans des grottes.

La plus jeune des filles du patriarche, Blossom, à peine pubère de 13 ans, s’entiche d’Orville qui a près de 40 ans. Elle a entendu parler d’une grotte près du lac asséché et emmène la tribu après que les sphères eussent grillé en pleine nuit l’habitation commune tressée, les réserves de nourriture et les trois-quarts des habitants, surtout les enfants. La grotte est étroite mais des racines de Plantes la traversent. Le groupe découvre qu’elles sont creuses et que l’on peut s’y enfoncer. Comme des tiges de pissenlit, elles recèlent une sève visqueuse en filaments tels que ceux de la barbe à papa, et que c’est bon à manger.

Les humains s’enfoncent dans le labyrinthe pour y trouver protection, chaleur et nourriture, vers dans le fruit. Le patriarche autoritaire est dépassé, et il a perdu sa Bible, grillée dans la plus complète indifférence de Dieu. Orville qui veut se venger de la mort de ses compagnons et de cet égoïsme cruel de paysan bigot intrigue pour prendre la tête. Blossom s’accroche à lui et le vieux se dit qu’il pourrait les marier pour qu’il prenne sa succession. Ce qui ne fait pas l’affaire du musclé Neil, amoureux incestueux de sa demi-sœur depuis qu’elle a pris des formes.

Mais les prédateurs interstellaires n’ont que faire des parasites que sont les humains. Ils viennent au printemps récolter la sève des Plantes à grands coup d’aspirateur puis, l’été venu, grillent les Plantes mortes pour en faire un brûlis apte à la germination de l’année suivante. Après la fin de la civilisation, c’est la fin de l’espèce humaine.

L’apocalypse verte existe, elle n’est pas due aux humains coupables, forcément coupables. Des êtres intelligents et sans aucun scrupule, venus d’ailleurs, peuvent l’initier. Du grand art, analogue aux visions de H.G. Wells et de J.G. Ballard sur l’extinction de notre espèce.

Thomas Disch, Génocides (The Genocides), 1965, Mnemos 2019, 272 pages, €9.90 e-book Kindle €5.99

Ou J’ai lu 1983, occasion €5.00

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Traditions des îles polynésiennes

Aux Australes, la coutume voulait qu’en chaque début d’année, les habitants fassent le tour de l’île pour présenter leurs vœux à leurs congénères. Les « marcheurs » étaient accueillis » dans chaque maison, maison briquée à fond pour l’occasion, on sortait les magnifiques iripiti des armoires, les cadres des photos de famille, les peue déroulés. La semaine entre Noël et Jour de l’An était réservée au badigeonnage des murs d’enclos à la chaux, au nettoyage à fond des pièces du fare selon les critères établis par un comité qui passait en premier afin de noter la décoration.

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Sur le seuil du fare, deux ou trois personnes vous accueillent avec de l’eau de Cologne et du talc aux cris de « A Toma mai ». On entre, on visite les pièces, en sortant on se désaltère de jus de fruit, de cocos frais. Cette année, on a compté seulement 8 fare sur 120 recensés ouverts dans Moerai. Mais que se passe–t-il ? Les vieux disparaissent, les modes changent, et la coutume s’en va ! Que faire ? Et les Autorités civiles et religieuses peuvent-elles faire quelque chose pour maintenir cette coutume coûte que coûte ?

Pas de Tere sans porteurs de pierre. Cette tradition remonte aux temps anciens quand les jeunes gens devaient passer par toutes sortes d’exercices physiques qui prouvaient que les taurearea (jeunes) devenaient des adultes. Seul, le lever de pierre a subsisté. Les hommes forts du village doivent lever les pierres  qui ont chacune un nom et un poids entre 130 kg et 151 kg, les femmes soulevant des pierres de 60 à 80 kg. Rassurez-vous, toutes les pierres ont été soulevées donc 2014 sera une bonne année. Ouf !

australes iles

La fabrication de la chaux est une tradition qui perdure à Rurutu. C’est une technique qui permet d’obtenir un matériau de construction adapté à l’environnement. Cette technique aurait été importée  par des marins baleiniers originaires du Portugal venus s’installer à Rurutu au 19e siècle. Chaque village de Rurutu possède son four à chaux mis en chantier environ tous les trois ans. Les anciens ont transmis la recette ! Il faut aller couper de nombreux arbres tels aito (arbre de fer ou Casuarina equisetifolia), falcatas, haari (cocotiers)  et rassembler de très nombreux blocs de corail sur les plages.

Ils sont ensuite disposés dans une fosse de grandes dimensions. On y installe d’abord des branchages, ensuite les troncs serrés et bien empilés. Les blocs de corail sont placés dessus de façon à former un dôme compact, tout en laissant une ouverture au sud-est pour allumer le feu. Une fois bien pris, le feu est très fort, il nécessite une surveillance de chaque instant car il faut relever les blocs au fur et à mesure que le bois brûle.

Il faudra attendre un mois pour que la chaux vive, issue du calcaire,  continue de décomposer l’ensemble. Mélangée au sable, la chaux donnera du ciment et mélangée à de l’eau un enduit pour repeindre les façades et les murs. Ce matériau présente de multiples avantages : la perméabilité car la chaux est un matériau « respirant » puisque la chaux absorbe peu d’humidité et la rejette rapidement ; la plasticité car tous les murs travaillent, la plasticité de la chaux lui permet d’accompagner ces mouvements tout en gardant la cohésion de l’ouvrage ; et enfin des propriétés désinfectantes car la chaux limite la prolifération des acariens, champignons, salpêtres et mauvaises odeurs.

marquises carte

Si vous êtes accueillis aux Marquises, on vous souhaitera la bienvenue avec un collier de graines. Les graines sont partout aux îles Marquises, et les Marquisiens ont le don de créer des merveilles, merveilles de formes et de couleurs dans un assemblage harmonieux. Les îliens sont allés ramasser ces graines blanches, rouges, grises, bordeaux, kaki, jaunes, de forme ronde, plate ou ovale, dans les vallées, en montagne. La cueillette ou le ramassage terminé, les graines sont nettoyées, percées, enfilées pour finir en une œuvre artisanale remarquable.

Les enfants apprennent très tôt en suivant leurs parents à reconnaître ces graines. La graine de temanu, plus grosse que les autres, est sculptée. Grace au modernisme et à l’arrivée des perceuses, certaines graines n’étaient pas utilisées ; elles le sont dorénavant. Les artisans créent de magnifiques colliers en alliant aux graines l’os, la perle, les plumes, le bois voire la peau de chèvre et présentent leurs créations à chaque arrivée de l’Aranui. C’est la marque de fabrique et d’identité de la Terre des Hommes.

Hiata de Tahiti

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