Articles tagués : impatient

Bien écrire selon Zweig

Stefan Zweig se lit bien, encore aujourd’hui plus de 70 ans après sa mort. Pourquoi ? Dans Le monde d’hier, il tente une explication.

« Je n’ai pu m’empêcher, à certains moments de réflexion, de me demander quelle pouvait être la qualité particulière de mes livres qui pouvait fonder un succès que je n’attendais pas. En fin de compte, je crois qu’il provient d’un défaut personnel qui fait de moi un lecteur impatient et fougueux. Tout ce qui s’apparente à la prolixité, au débordement, à l’exaltation vague, tout ce qui manque de précision et de clarté, tout ce qui, superflu, ralentit le cours d’un roman, d’une biographie ou d’une discussion d’idées m’irrite. Seul un livre qui maintient constamment son niveau, page après page, et vous emporte d’un trait jusqu’à la dernière sans vous permettre de respirer, me procure un plaisir sans mélange. Je trouve que les neuf dixièmes de tous les livres tombés entre mes mains sont gonflés de descriptions inutiles, de dialogues bavards et de personnages secondaires sans utilité, ce qui leur enlève une partie de leur intérêt et de leur dynamisme. Même dans les chefs-d’œuvre classiques, je suis dérangé par le nombre des passages sablonneux et traînants (…) »

ecolier Willy Ronis Vincent

« En soi, je produis vite et aisément, dans la première version d’un livre je laisse courir librement ma plume et livre par la fabulation tout ce qui me tient à cœur. (…) A peine ai-je mis au propre la première version approximative d’un livre que commence pour moi le travail proprement dit, celui qui consiste à condenser et à composer, un travail dont je n’arrive pas à me satisfaire de version en version. C’est un perpétuel délestage, une condensation et une clarification permanente de l’architecture interne ; alors que la plupart des autres ne peuvent se résoudre à taire quelque chose qu’ils savent, et comme s’ils étaient amoureux de chaque ligne réussie veulent se montrer plus vastes et plus profonds qu’ils ne le sont réellement, mon ambition est d’en savoir toujours plus que je n’en laisse extérieurement paraître » (…)

« S’il arrive donc que certains louent le rythme entraînant de mes livres, cette qualité ne résulte nullement d’une effervescence naturelle ou d’une agitation intérieure, mais uniquement de cette méthode systématique qui consiste à éliminer constamment toutes les pauses et les bruits superflus, et si j’ai conscience de quelque forme d’art, c’est l’art de savoir renoncer, car je ne plains pas de voir que sur deux mille pages écrites huit cent atterrissent dans la corbeille et qu’il n’en reste que deux cents qui en sont l’essence filtrée. » p.1143.

Pour bien écrire :

  • Laissez couler librement la plume
  • Laissez reposer puis relisez, composez, condensez, élaguez
  • Laissez à nouveau reposer et faites la chasse à tout l’inutile, le trop lent, le secondaire.
  • Puis servez sans attendre.

Stefan Zweig, Romans, nouvelles et récits tome 2, Gallimard Pléiade 2013, 1584 pages, €61.75

Tous les livres de Stefan Zweig chroniqués sur ce blog

Catégories : Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Steve Jobs du visionnaire de génie au dernier clic

Article repris sur Medium4You.

Paru dans la « Collection privée » qui comprend aussi des titres sur Liz Taylor, Jean-Paul Belmondo ou Anne Sinclair, cet ouvrage sur Steve Jobs est plus un dossier de presse qu’un véritable « livre ». Ni biographie (compilée et résumée à grand renfort de Wikipedia), ni essai sur un personnage, il se contente de six fiches techniques juxtaposées qu’il intitule « parties » : la jeunesse, l’âge mûr, Apple, revue de presse, hommages et phrases cultes.

L’auteur Stéphane Ribes, journaliste à ‘Opera Mundi’ semble plus familier de Mickey et de Picsou que de culture classique. En témoignent ses erreurs grossières dès qu’il se met en scène. Ainsi, page 10, dit-il évoquer avec Steve Jobs « l’atelier Daumier » place de Fürstenberg à Paris ! Las, il s’agit de Delacroix… Quant à Daumier, il n’est pas le spécialiste « des petits rats de l’Opéra » mais a caricaturé les bals de l’Opéra, où n’allaient que des adultes. Ce serait plutôt Degas le dessinateur des jeunes danseuses. Même chose page 46 : les Tuileries recèlent l’Orangerie, pas « l’Orangeraie » ! La différence est que la première sert à ranger les arbres en hiver, tandis que la seconde est le verger où ils sont plantés à demeure. Ces bourdes sont dommageables à sa crédibilité de journaliste : peut-on croire que Steve Jobs l’ait apprécié pour explorer Paris ?

Il reste qu’une fois zappé cet avant-propos narcissique et approximatif, l’ensemble se lit facilement. Quiconque est intéressé par le mythique fondateur de la plus inventive marque d’ordinateurs et de gadgets communicants lira (après la page 15) les 240 pages qui restent avec bonheur (imprimées gros) : elles ne prennent pas la tête. Les phrases sont courtes, en français moyen, ponctuées d’anecdotes. Le lecteur va de découvertes en découvertes.

Saviez-vous que Steve n’aurait jamais dû s’appeler Jobs mais Jandali ? Sa mère était en effet amoureuse d’un Syrien musulman, Abdelfattah, que son père catholique a refusé. Le bébé Steve a donc été adopté par les Jobs. Mieux que l’hérédité, ses parents nourriciers lui donnent le goût du travail manuel et des maths. Ils le laissent assez libre, ce qui fait du gamin un rebelle à l’autorité scolaire mais un surdoué débrouillard. En Californie, dans les années 1970, tout est possible. Steve Jobs a 15 ans et découvre la marijuana, Bob Dylan, l’agriculture bio, l’électronique avec Larry Lang, ingénieur de Hewlett-Packard et voisin, enfin Stephen Wozniak, de cinq ans plus âgé que lui mais plus timide et moins imaginatif. Lorsqu’il a 17 ans, Steve vit presque nu dans les dunes avec une copine, Chris-Ann de qui il aura une fille, Lisa. Il ne la reconnaîtra que des années après, reproduisant son propre abandon… S’il entre à l’université, il n’y reste que six mois, le temps de découvrir la calligraphie (qui l’aidera au design graphique des Mac) et les spiritualités orientales. Il part en Inde à 19 ans après avoir bossé pour se payer le voyage. Il y découvre que l’intuition compte autant que la pensée rationnelle et que l’esprit doit osciller entre ces deux pôles.

Sa première voiture achetée avec ses gains à 16 ans, une Nash Metropolitan…

Lorsqu’il revient, il se met au zen et au cri primal avant de réintégrer Atari. C’est à ce moment qu’il crée avec Stephen Wozniak le premier Apple 1 dans le garage des parents Jobs (1976). La suite est connue : Apple II 1979, VisiCalc (premier tableur) 1979, Mac 1984, AppleTalk (premier réseau) 1985, QuickTime 1991, PowerMac 1994, MacOS 1997, iMac 1998, iBook 1999, iTunes 2001, iPod 2001, iPhoto 2002, Apple Store 2004, iPhone 2007, iPad 2010… Et l’aventure n’est pas finie car le choc de la contre-culture et du business fait surgir des gourous qui produisent des objets-culte : la pointe de la mode !

Sauf que les gourous sont narcissiques, paranoïaques et invivables. Steve Jobs était « séduisant et odieux » (p.64), « colérique, autoritaire et impatient » (p.78). Il exigeait des gens la perfection, partageant le monde entre les héros et les nuls. Immature et arrogant, il n’avait « aucune empathie ». Ce pourquoi il « pense différent » (slogan qu’il adoptera pour Apple). Il émettait « un champ de distorsion de la réalité » qui faisait croire n’importe quoi à n’importe qui, et réalisait donc l’impossible – ou presque. Quand il s’est agit de se faire opérer du cancer au pancréas qui va l’emporter à 56 ans en octobre 2011, il diffère de 9 mois… cruciaux – pour essayer la macrobiotique.

Il rompra avec Bill Gates avant de renouer pour « penser positif », il se fera virer d’Apple à 30 ans, il créera aussitôt NeXT qui développe surtout un système d’exploitation propriétaire (qu’Apple rachètera en 1997), puis investira dans une société de graphisme par ordinateur dont il fera Pixar (vendue à Disney en 2006 après avoir produit Toy Story et préparé Ratatouille). Dans le même temps, il aura une liaison avec Joan Baez, de 17 ans plus âgée, fera rechercher sa mère biologique, découvrira sa sœur Mona, reconnaîtra sa fille Lisa, puis épousera à 34 ans Laurene, de 9 ans plus jeune, qui lui donnera un garçon et deux filles. Il dira d’eux que ce sont ses meilleures créations… Plus que la fortune de 7 milliards de dollars accumulée. Quelle vie au galop !

Stéphane Ribes, Steve Jobs du visionnaire de génie au dernier clic, juin 2012, édition Exclusif, 255 pages, €19 

Catégories : Livres, Science | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,