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Patricia Highsmith, Ripley et les ombres

Patricia Highsmith aime bien Mister Ripley, sa créature. Elle a pour nous éternellement les traits à 25 ans d’Alain Delon dans Plein soleil, le film tiré du premier roman d’une série de cinq. Ripley, c’est replay, « rejouer » ou réplique. Tom Ripley, en effet, n’existe pas par lui-même mais toujours en relation avec un autre qu’il imite, dont il prend les traits, la signature, la fortune. Cet être mimétique, car orphelin trop jeune, n’est pas à franchement parler « homosexuel » ni « bi » comme il est affirmé par des critiques sans profondeur, mais en miroir. Il se trouve dans le corps d’un autre. Hier Dickie Greenleaf, fils de famille riche ; aujourd’hui Philip Derwatt, peintre décédé en Grèce par noyade (comme les parents de Tom).

Après avoir acquis frauduleusement un héritage de Dickie, s’être marié par convenances avec une Hélène fille de famille aussi amorale que lui, avec qui il ne couche que pour la présence de son corps contre le sien, comme la maman qu’il n’a jamais eue, Tom Ripley a bâti une arnaque avec la peinture de Derwatt. Le peintre a acquis une certaine célébrité après sa mort et ses tableaux se sont enfin bien vendus. Mais le filon se tarit et rien de mieux que de fabriquer des faux dans le style de Derwatt pour assurer un flux régulier de revenus. Ripley ne fait que donner l’idée et toucher un pourcentage, et deux Londoniens persuadent un peintre, ami du défunt Derwatt, de poursuivre son œuvre. Un autre mimétisme, qui rend ce Bernard Tufts peu attaché à sa petite amie Cynthia, sauf comme simple amie. Une sorte de double de Ripley.

Ce pourquoi celui-ci va tout faire pour l’aider lorsqu’un Américain met les pieds dans le plat, en bon ingénieur tenant mordicus à son idée, ignare en peinture mais apte à distinguer chimiquement un violet de cobalt d’un mélange de rouge et de bleu. Le peintre avait abandonné le cobalt, pourquoi y serait-il revenu après sa mort ? Certains tableaux sont « donc » des faux. Catastrophe pour le quatuor de faussaires qui vivent – bien – de l’escroquerie. Car, après tout, qu’importe « la vérité » si les acheteurs sont contents et apprécient les tableaux ? Qu’est-qu’un « faux » lorsqu’il prolonge le style de l’auteur initial ? Le vrai participe-t-il de la Morale ?

Comme Ripley n’en a pas, préférant savoir nager plutôt qu’obéir à des règles ineptes qui lui ont volé ses parents et sa vie, il joue le jeu. Il vient ainsi à Londres pour se déguiser en Derwatt revenu du Mexique, où il est censé vivre en solitaire sans voir personne, et peindre à son gré. Cela pour confronter Murchinson et lui affirmer que le tableau qu’il affirme « faux » est bien de lui.

Mais le mieux est l’ennemi du bien. Ripley redevenu lui-même aborde à Londres Murchinson au bar de son hôtel et lui dit qu’il l’a vu à la galerie où il a rencontré Derwatt. Il s’intéresse à sa théorie des couleurs et lui propose de venir voir les deux tableaux qu’il possède de Derwatt dans sa propriété française près de Fontainebleau. Nous sommes à la fin des années soixante et le téléphone fonctionne très mal (le fameux 22 à Asnières !) et le seul aéroport international (largement suffisant pour l’époque) est Orly.

Murchinson s’invite donc à Belle ombre, la grande demeure au milieu d’un parc et brodée d’un bois. Il regarde les tableaux de Derwatt accrochés par Ripley, mais n’est pas convaincu. Il déclare aller mandater un expert à Londres et trouver la police pour enquêter sur les faussaires dont il est persuadé de l’existence. Tom Ripley cherche à le convaincre de renoncer, mais l’obsédé s’obstine et Ripley le tue en cave à coup de bouteille de Margaux. Mais, comme il est sans cesse entre deux rendez-vous, lui l’oisif, il bâcle l’enterrement du corps dans une tombe qu’il creuse fraîchement dans le bois voisin et se contente de déposer la valise, le pardessus et le tableau de Murchinson devant la porte des départs à Orly.

Madame Murchinson ne tarde pas à se manifester auprès de la police de Londres, qui mandate la gendarmerie de Melun pour interroger Ripley qui a reçu l’Américain chez lui et envoie un inspecteur directement. Tom se voit donc obligé de déplacer le corps en catastrophe, alors qu’il reçoit déjà Chris, un cousin Greenleaf de 20 ans rempli de curiosité pour tout, et Bernard, dépressif depuis qu’il se sent traqué. Il implique Bernard, qui l’aide à déterrer le corps et à aller le jeter depuis un pont dans le Loing.

Les gendarmes trouvent la tombe, mais rien dedans, sauf une pièce de 20 centimes de 1965. Bernard devient-il fou ? Il simule son suicide par pendaison dans les WC de la cave, ce qui horrifie Hélène qui vient de rentrer de trois mois en Grèce, mais ce n’était qu’un mannequin. Puis il disparaît, avec toutes ses affaires. Va-t-il dénoncer l’escroquerie ? On ne peut le laisser faire… Ripley va retourner à Londres avec un faux passeport (facile à se procurer à cette époque) pour rejouer Derwatt une dernière fois, manière d’égarer les soupçons de la police, puis va se mettre en quête de Bernard.

Lequel resurgit, l’agresse et le laisse pour mort dans le trou de Murchinson. Mais Ripley s’en sort. Il va le retrouver à Salzbourg, ville autrichienne qu’a évoqué le peintre fou qui a des tendances suicidaires. Là, il va régler la question et revenir pour présenter à l’épouse, la police et aux critiques d’art une histoire cohérente.

Ce qui compte est moins la fin que le chemin. Le lecteur jubile à suivre Tom Ripley, son amoralité vivace qui le rend apte à survivre à tout comme un chat à neuf vies. Il n’est pas impulsif ni « antisocial » comme il est trop rapidement dit par ceux qui adorent coller la réalité dans des étiquettes rassurantes qui ne décrivent rien. Ripley est plutôt indifférent à tout ce qui n’est pas lui, faute d’avoir été considéré et aimé tout petit.

Il a fait de la mentalité positive américaine son modèle : tous les moyens sont bons pour arriver – le reste, la morale, la religion, les valeurs, ne sont que justifications idéologiques sans intérêt pragmatique. Le cousin Chris, par exemple, le séduit par sa jeunesse ardente, et il le reçoit volontiers alors qu’il aurait pu éluder. Son épouse Hélène n’est pas qu’un bel objet à présenter, ni une excuse sociale pour vivre comme il l’entend, il a un réel besoin d’elle, une sorte d’affection due à la proximité, et il répond à ses besoins à elle d’ancrage dans la vie sociale.

Tom Ripley n’est pas psychopathe.

Patricia Highsmith, Ripley et les ombres (Ripley Under Ground), 1970, Livre de poche 1991, 315 pages, €1,30, e-book Kindle (nouvelle édition 2021) €10,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Mr Ripley déjà chroniqué sur ce blog :

Livre Ripley entre deux eaux (tome 5 de la série)

DVD Le talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella

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Pourquoi aller au Costa Rica ?

C’est un pays à la mode à notre époque où la plupart des pays musulmans nous sont interdits et où la révolution secoue des pays d’Amérique du Sud et d’Asie. L’Amérique centrale est tentante par son climat et sa verdure, notamment pour le Costa Rica ses forêts, 34 % de la superficie mais surtout par ses animaux sauvages, 5 % de la biodiversité mondiale, dit-on. Comme le pays est un carrefour des deux Amériques, des mammifères du Nord tel que coyote, écureuil, raton laveur et cerf de Virginie, côtoient des mammifères du Sud tel que coati, singe, tapir, paresseux, pécari, jaguar, etc. C’est ainsi que l’on m’a vanté le pays, que je ne connais pas.

Le Costa Rica est peu étendu, le dixième de la France, et son point culminant s’élève à 3820 m au-dessus de la mer. Son nom vient de Christophe Colomb qui l’aurait baptisé « côte riche », lors de son dernier voyage en 1502, en raison de sa terre fertile de son climat favorable à l’agriculture. Le pays prend son indépendance en 1821 avec la déclaration commune du Guatemala, du Honduras, du Salvador et du Nicaragua. Il devient indépendant de la République fédérale centre-américaine en 1836 et bâtit un régime républicain à suffrage universel. L’éducation gratuite et obligatoire est instituée en 1869 juste avant que l’United Fruit Company américaine ne décide de planter des bananes et d’encourager le chemin de fer. Le pays n’a plus d’armée depuis 1948.

La frontière sud est celle du Panama, la mer des Caraïbes s’étend à l’est tandis que l’océan Pacifique est à l’ouest. Pays volcanique, les basses terres littorales sont étroites et découpées tandis que le centre du pays est un vaste plateau creusé par une vallée centrale. Le pays exporte surtout aujourd’hui des bananes mais aussi du café, du sucre, des fleurs, des agrumes, des avocats, du cacao et de l’huile de palme. Des zones franches ont été installées pour les industries pharmaceutiques, des sociétés informatiques et des centres d’appel, qui ont permis une croissance relativement forte jusqu’à la crise économique de 2008. Le tourisme forme 10 % du PIB, il est la source principale de devises. Le pays est évidemment très dépendant de son grand voisin du Nord, les États-Unis.

La nuit précédant le départ, j’ai peine à dormir, il fait trop chaud, je subis un courant d’air depuis la fenêtre. Je l’ai entrouverte sur la rue mais des braillards bourrés, des couples sans gêne, des autos et des motos ne cessent d’alimenter le vacarme dans ce quartier touristique de la capitale. Le bus de nuit est à l’heure et il y a très peu de circulation. Le trajet dure une trentaine de minutes. Le passage au centre international de Rungis la nuit est pour moi une première. Le complexe est gigantesque, les pavillons s’étalent sur des dizaines d’hectares. Dans le bus, la clientèle est pauvre et immigrée, ou de jeunes travailleurs ; je suis le seul voyageur pour Orly. Une jeune fille, déjà mère et laide, sourcils froncés, sort de Paris en pleine nuit pour la banlieue. Elle tapote sans arrêt son gadget électronique à trois heures du matin comme si d’importants messages devaient être lus avant l’aube du dimanche.

Je suis en avance à l’entrée du hall 1 à Orly Ouest. Nous sommes déjà demain. Pour Iberia, la queue comprend beaucoup de familles dont un blond d’environ 11 ans, nuque et tempes rasées laissant sur le dessus une mèche à la mode foot. Il est français mais fait touriste avec son short, son débardeur et ses tongs malgré la climatisation sauvage. Il part pour le Portugal.

L’Airbus 321 a des sièges serrés. Le café est payant à bord et a peu de succès. Vu l’heure matinale, nombreux sont ceux qui ont prévu d’avaler boissons et sandwiches au bar avant le vol. À Madrid, le duty-free est plus grand, plus beau et mieux achalandé que celui d’Orly-Ouest. Mais il faut prendre une navette pour aller à l’embarquement pour l’outre-Atlantique.

Le vol pour les Amériques s’effectue en Airbus 330–200. Les sièges sont étroits et serrés. Durant les onze heures de vol, j’ai vu trois films et lu un roman policier. Les films ont pour nom Cinq cents jours, La corrida du labyrinthe et La jungle 4.0.

Vu d’avion, le Costa Rica apparaît très vert, un vent froid vient du nord et au sol règne une humidité de type caraïbe. La pluie est arrêtée par les volcans. Il fait cependant 28°, moins chaud qu’à Paris en plus suintant.

A l’arrivée, nous croisons une ligne de bus qui se dirige vers « La Morgue ».

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