Articles tagués : réserviste

Colette, Les heures longues 1914-1917

Colette, en ces longues années de guerre, livre aux journaux des articles de circonstance. Mais avec sa vision de femme émancipée, d’observatrice des petits faits vrais. Il s’agit en fait d’un album de guerre comme on dit un album d’aquarelles, ne retenant que quelques vues frappantes de la période douloureuses du conflit.

A l’heure où se sont achevées les « commémorations » de la Grande guerre industrielle du XXe siècle, la boucherie des tranchées, la vanité des galonnés – et la « brutalisation » qui s’est ensuivie dans toutes les sociétés européennes, lire ces courts textes vivants, écrits sur le motif dans leur présent immédiat, a quelque chose de salubre.

Ce n’est pas une chronique mais plutôt une mosaïque, composée de choses vues, de souvenirs personnels, du décentrement d’un voyage professionnel en Italie (qui vient d’entrer dans la guerre, contre les Autrichiens). De la toute bête vie quotidienne en temps de guerre.

Ce sont 46 articles recueillis pour l’édition, d’août 1914 à novembre 1917. Comment la déclaration de guerre est annoncée en Bretagne où séjourne Colette et son mari Henry, dans la campagne, à Saint-Malo, le tocsin, le tambour, le crieur de rue, les larmes des femmes, le pâlissement des adolescents, les bruits de disette à venir, la poissonnière qui n’accepte plus que les pièces et surtout pas les billets. A Paris au septième jour de la mobilisation générale, ce « réservoir » (réserviste) incongru qui n’attendait que ça depuis des années, engagé dès 18 ans puis rengagé, enfin sur le point de se marier pour penser à autre chose, jusqu’à la divine surprise qui le rend tout excité comme un « diable » à 39 ans : « Y a un bon Dieu, monsieur, madame », s’exclame le con fini. Et c’est tout de suite, en octobre, les blessés qui affluent sur Paris, où l’on ouvre les lycées pour y poser les lits ; Colette y est bénévole. Elle dit les amputés, les gueules cassées, la douleur. Et puis le vieux non mobilisable qui fait de la laine chinée au kilomètre pour, à 65 ans, se sentir utile, « trouver un foyer » auprès des dames qui lui apprennent le crochet…

Il y a aussi les lettres que le soldat reçoit, il récrimine contre sa femme qui lui parle de la guerre, de ce qu’elle a entendu dire : lui s’en fiche, de la guerre, il la vit ! Ce qu’il veut c’est avoir des nouvelles banales de la vie civile, comment vont les gosses, si elle a remplacé le papier peint. Quant aux clients, il font « la chasse aux produits allemands » – et les petits malins ne tardent pas à faire des contrefaçons de ce qui est demandé, mais bien françaises. A Verdun, où Colette se rend clandestinement car c’est interdit, pour se rapprocher de son mari Henry mobilisé, le tapissier vend de la margarine, le vendeur de pianos des sardines en boite, il faut bien se débrouiller quand le commerce est anéanti. A Paris, les bourgeoises et les pétasses s’étonnent que leur docteur ne puisse les recevoir : il est mobilisé au front – ah bon ? je croyais qu’il était malade. D’autres réquisitionnent le drap d’uniforme pour se déguiser en petites sous-lieutenantes d’opérette avec képi assorti. La futilité ne quittera jamais les crânes de piaf. Une écervelée a couché avec un Allemand avant le conflit et porte « l’enfant de l’ennemi » dans son ventre qui lui fait honte – mais l’enfant est innocent et Colette se récrie sur les vigilantes de vertu, ancêtres des « chiennes de garde » qui voudraient qu’elle fit « quelque chose » (mais quoi ? L’avortement est alors un crime passible de la peine de mort).

Aux portes de Paris, un refuge pour les animaux de compagnie laissés par leurs maîtres mobilisés en attendant de les reprendre… s’ils reviennent. Les chiens attendent, se tournent vers la porte à chaque fois qu’elle s’ouvre : non, ce n’est pas encore cette fois-là. Des chiens sanitaires sont entraînés au bois, de toutes les tailles et toutes les espèces, pas comme les Allemands qui ne préfèrent qu’une « race » : celle des bergers allemands qu’ils réquisitionnent dans tout le nord de la France occupée.

Colette part en Italie où elle voit des gens beaux, de « petits faunes » garçons, des pères qui s’occupent avec tendresse de leurs enfants, des mères qui les aiment, une marmaille nue qui se baigne dans les flots – cartes postales de la paix, quoi. Même si elle assiste à l’attaque d’un Taube sur Venise, qui lâche une bombe. Cet avion surnommé colombe (taube) est un monoplan autrichien à ailes et queue qui ressemblent à celles d’un pigeon. Comme elle parle étranger, on s’interroge : « Tedesci ? » est-elle boche ? Dans la génération de 14-18, on n’aimait pas les Allemands ; cela changera dans la génération d’après inféodée à Mussolini, tout comme chez nombre de Français inféodés à Pétain.

En France, ce sont les foins, mais les bras manquent. Des gamins de 8 ans comme des vieux de 75 ans sont embauchés pour combler les vides. Les collégiens parisiens sont invités à aller en colonies à la campagne pour aider. Pour un déménagement à Paris, Colette change d’appartement, et les déménageurs sont quatre, « un vieillard désapprobateur et ressemblant à Verlaine, un apprenti de 15 ans au nez rose de campagnol, une sorte de mastroquet asthmatique en tablier bleu et… Apollon. (…) nez spirituel (…) yeux châtains aux cils frisés et (…) menton fendu d’une fossette. Cette beauté dressa pour me parler, hors d’une chemise ouverte, son col de marbre » p.568 Pléiade. Comment, il n’est pas mobilisé, l’athlète ? Eh non, il est le père de sept enfants ; il en avait cinq, il devait partir, puis il a eu des jumeaux : à six enfants à charge, on restait civil.

Des chroniques qui fourmillent de détails véridiques, précieux à nos années ignorantes.

Colette, Les heures longues 1914-1917, 1917, disponible seulement en e-book Kindle €4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

Catégories : Colette, Livres, Société | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , ,