Ce sont 22 chroniques parues en première page le dimanche l’année 1924 dans Le Figaro. Passage éclair, d’avril à octobre, aussitôt publié tel quel. Colette s’inspire de l’actualité pour dire son avis sur les grands problèmes que sont la canicule, la pédagogie, les nourrices, le permis de conduire, l’atmosphère de la foule, certains faits divers. L’écrivain observe et pense à haute voix. Elle n’impose pas son avis ni ne donne son opinion, mais regarde et décrit.
C’est moins un journal de sa vie que des carnets de choses vues, des petits cailloux blancs sur le chemin du souvenir. L’époque en images, en sentiments, en petits faits vrais. Elle écrit avec ses sens plus qu’avec sa raison, cette dernière n’intervenant que dans la mise en forme. Une sorte d’instinct de l’information qui me plaît, un regard aigu et neutre qui est proche du mien, le filtre d’une sensibilité sur les faits bruts.
Car l’âme humaine ou animale n’est pas livrée telle quelle, elle est obscure, inavouée. Dans Bêtes, les passants sont cruels d’ordinaire, comme si de rien n’était, en voyant maltraiter des chevaux ou des chiens. Comment se révéleraient-ils dans une guerre ? Vieillesse d’hier, jeunesse de demain montre combien l’enfant est inconnu de l’adulte de ce temps. Mésanges décrit comment ces petits oiseaux s’adaptent à notre présence tout en n’en faisant qu’à leur tête. Cinéma montre l’emprise des images sur les enfants et ouvre des perspectives pour l’enseignement. Sortilèges dit l’inanité des superstitions et des maisons hantées, hantées surtout par des coléoptères toc-toc, des chauve-souris furtives et des rats qui grattent derrière les boiseries.
Nous lisons aujourd’hui avec une certaine ironie la description de « la canicule » de 1924 sous le titre de Chaleur. Une seule journée à 32° à Paris le samedi 12 juillet, les autres jours entre 20 et 29° – pas de quoi s’évanouir ! Or quelques athlètes de cross ont eu un malaise, mal préparés à boire et à s’éventer peut-être. La revue du 14 juillet fut annulée par le ministre de la Guerre – démago – du Cartel des Gauches pour… 25,1° ! (températures citées dans les notes de la Pléiade p.1323). Nous, désormais, savons nous adapter à cette hausse toute relative. Mais Colette touche juste lorsqu’elle incrimine la construction urbaine : « La chaleur est sur Paris comme un cauchemar. Des milliers et des milliers d’êtres humains, par les fenêtres, ne contemplent que des prisons de pierre, des blocs quadrangulaires, des rectangles de zinc chauffés, des cubes de fer ou de ciment. Il y a, lorsque le thermomètre marque ‘désespoir à l’ombre’ quelque chose d’inexorable dans toute limite cubique des regards » p.117 Pléiade.
Colette a de la curiosité pour les choses et les êtres ; elle accumule ses observations comme pour un cabinet de curiosités. Nous ne regardons jamais assez, disait-elle, jamais assez passionnément, sans juger, juste pour observer tel quel. C’est la vie qui va et s’étend, et il n’y a pas de petits sujets pour quelqu’un qui aime écrire.
Colette, Aventures quotidiennes (chroniques), 1924, Flammarion, occasion €14,90
Colette, Œuvres, tome 3, Gallimard Pléiade 1991, 1984 pages, €78,00
Colette déjà chroniquée sur ce blog
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