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Le chien des Baskerville de Terence Fisher

La légende veut qu’au 18ème siècle, sir Hugo Baskerville (David Oxley), triste sire mâle, blanc et dominateur, ait chassé, violé et tué une jeune fille d’auberge dans la lande de Dartmoor, dans les ruines d’une abbaye. Romantique, is’nt it ? La fille, épaules découvertes jusqu’aux seins mais affublée de jupes, jupons et falbalas qui l’empêchent de courir s’est sauvée dans la lande, tombant ici ou là comme les femmes savent le faire dans tous les films avant aujourd’hui, poursuivie par la meute de chiens courants des Baskerville et par le sire à cheval. Jusqu’à ce que… Aaooouuuhhh ! Un hurlement de bête sortie des enfers ne stoppe la meute qui reflue, la queue entre les jambes. Sages bêtes ! Ce n’est pas le cas du diabolique sir Hugo qui persévère dans l’erreur, sinon dans le péché de serial violeur. Il garde sa queue droite et la brandit, sous la forme d’un poignard courbe (signe traître du Croissant) sur le corps tombé à terre de la belle pâmée. Il la viole en la poignardant au sein, c’est pareil. A cet instant, Aaooouuuhhh ! Le monstre infernal lui fond dessus et croq ! croq ! L’égorge en un seul branle de mâchoires. Dès lors, une malédiction pèse sur les Baskerville : tous finissent morts dans la lande la nuit. Pas tous croqués, mais tous terrorisés.

Le dernier est sir Charles Baskerville, dont le docteur du coin Mortimer (Francis De Wolff) qui sert de notaire, de confesseur et de médecin, vient soumettre le cas à Sherlock Holmes (Peter Cushing) dans son appartement de Londres. Il est mort sans blessures, mais d’une frayeur inouïe – et de faiblesse cardiaque. Car, dans l’esprit de Holmes, il ne saurait y avoir une quelconque once de romantisme. Les faits, rien que les faits. Toute la rigueur scientifique pour observer, disséquer, comprendre. Les émois du docteur ne sont pas recevables, mais la destinée du dernier des Baskerville, le neveu de sir Charles qui revient de Johannesburg, lui importe. Il va donc le visiter à son hôtel de Londres, avant qu’il ne parte pour la lande de Dartmoor prendre posession du manoir ancestral sur la lande.

Sir Henry Baskerville (Christopher Lee) a perdu une chaussure, mise à cirer dans le couloir de son hôtel. De la seule qui lui reste sort une araignée monstrueuse et velue, une tarentule (devenue célèbre avec le film Un Indien dans la ville). Elle n’est pas en soi mortelle, mais peut saisir de frayeur un cardiaque ; or sir Henry, comme tous les Baskerville mâles, l’est. Sherlock tue la bestiole d’un coup de canne bien ajusté mais s’interroge : ce n’est pas un démon qui veut éliminer le dernier des Baskerville, que ce soit sous la forme d’un chien-garou ou d’un arthropode inédit à Londres. Ne serait-ce pas l’héritage, qui s’élève à des millions de livres sterling, qui susciterait la convoitise ? Pas question que sir Henry se rende seul dans son manoir du Devon ; Sherlock a encore des affaires en cours à régler à Londres, mais le docteur Watson (André Morell) va l’accompagner.

Les domestiques Barrymore ne sont pas clairs, un criminel s’est évadé de la prison à dix miles de là, le voisin fermier Stapleton (Ewen Solon) et sa curieuse fille renfrognée et provocatrice Cecile (Marla Landi) – en haut bleu décolleté et jupe rouge vif – sont étranges. Tout comme le pasteur Frankland (Miles Malleson), bavard lunaire passionné d’entomologie et qui élève… des tarentules – dont une « s’est échappée ». D’étranges lumières errent sur la lande et semblent faire des signes au manoir la nuit ; des gens sortent et arpentent les marais, traîtres aux ignorants des bons sentiers ; les ruines de la chapelle luisent de façon inquiétante sous la lune. Et Aaooouuuhhh ! Le cri de la bête retentit toutes les nuits.

Sherlock Holmes, arrivé incognito dans le Dartmoor, active sa loupe et ses cellules grises tandis que sa fonction medium lui sert à prédire le possible. L’intrigue diffère de celle du livre, et c’est heureux. Elle dépouille l’irrationnel de ce qu’il peut avoir de fascinant, ce qui est normal après une guerre mondiale due à ces mêmes forces d’irrationnel, arrière-garde de romantisme dévoyé. D’où la légère déception du spectateur d’aujourd’hui. Mais les paysages brumeux à la clarté lunaire et les formes des rochers qui prennent des allures fantastiques restent. Ils sont inspirés de près par les illustrations de Sidney Paget publiées dans The Strand Magazine, bien connu des lecteurs de Sherlock Holmes. Si la raison tente de se frayer un chemin parmi ces décors d’un autre âge, c’est autant de plaisir. La Hammer a donné le premier film en couleurs du célèbre détective, dans son histoire la plus connue.

DVD Le chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), Terence Fisher, 1959, avec Peter Cushing, André Morell, Christopher Lee, Maria Landi, David Oxley, BQHL Éditions 2024, anglais ou français, 1h23, €24,00, Blu-ray €22,54

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Les deux visages du Dr Jekyll de Terence Fisher

Le roman de Robert-Louis Stevenson, L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, recyclé par le cinéma des années optimistes donne un étrange résultat. Mister Hyde est éclipsé au profit d’un Docteur Jekyll revigoré en jeune homme imberbe au sourire hardi. Comme si « le mal » était l’énergie, l’appétit sexuel, l’égoïsme sacré de la jeunesse…

Le vieux Jekyll (Paul Massie) barbu et grisonnant s’est usé sur ses recherches solitaires, délaissant ses patients, délaissant ses pairs, délaissant toute critique. Sa névrose obsessionnelle envers l’objectif de « changer l’homme » rappelle la névrose stalinienne issue du marxisme. Mais il est ici question de chimie et pas de sociologie, de manipuler la psyché humaine par l’injection d’un sérum, testé sur le singe, qui lui donne une énergie considérable. Mais une énergie purement animale qui, sur l’humain, va le faire régresser à la bête. Avis aux nouveaux « transhumanistes »…

L’épouse flamboyante du docteur au nom de chatte, Kitty (Dawn Addams) a pour amant un jouisseur raffiné et joueur invétéré, Paul Allen (Christopher Lee). Il est le pendant civilisé du bestial Hyde, tout aussi profiteur, tout aussi énergique, tout aussi porté au sexe et à l’égoïsme, mais socialement acceptable, ce qui est une critique acerbe du grand monde hypocrite qui voile ses instincts sous une fausse vertu. La société victorienne qui affichait sa pruderie vivait au fond dans le vice, l’alcool, le sexe, la drogue. La plus belle pute est danseuse avec cobra, ce qui en fait une Eve vénéneuse et satanique, même si elle camoufle un cœur d’artichaut ; elle ne pourra que tomber amoureuse du séduisant Hyde qui ne la paie pas et ne l’aime pas, mais désire prendre son seul plaisir.

Jekyll, qui n’est pas dupe, va chercher à se venger de sa femme et de son amant lorsque, sous l’apparence de Hyde, il découvre sa femme qui devait aller à un dîner ennuyeux danser entre les bras d’Allen dans une maison de plaisirs nommée Le Sphinx. Le sérum a fait de Jekyll un Hyde psychopathe sans aucune empathie, un pervers narcissique, manipulateur. Ce que le système anglo-saxon du business va réaliser dans les décennies qui suivent, notamment vers les années 2000. Il y a une bête en chacun et seul l’amour, qui est sortie de soi, civilise. Kitty voudrait le connaître mais elle erre entre un mari maniaque qui la délaisse après l’avoir épousée et un amant volage qui s’amuse avec elle sans jamais s’investir, comme le joueur invétéré qu’il demeure. Le sérieux de la recherche scientifique individualiste ne paie pas et, lorsque le docteur Jekyll se transforme en riche inconnu Mister Hyde, il agit tout à l’inverse : léger, dépensier, jouisseur.

Parfois les deux faces du même dialoguent d’une voix sourde, effrayant les partenaires alentour. Hyde doit se cacher pour redevenir Jekyll. Dans le roman, la bête prend le pas sur l’homme et Jekyll est supplanté par Hyde. Dans le film, c’est l’inverse et le tribunal de police qui conclut au suicide de Jekyll après meurtres assiste à la métamorphose de Hyde lavé de tout soupçon en Jekyll condamné. La société se venge, comme la morale, mais est-ce bien réaliste ?

Je préfère le roman, chroniqué sur ce blog en son temps, mais le film ouvre des perspectives sur la société qui sont digne de considérations.

DVD Les deux visages du Dr Jekyll (The Two Faces of Dr Jekyll), Terence Fisher, 1960, avec Paul Massey, Dawn Addams, Christopher Lee, David Kossoff, Francis De Wolff, Sony Pictures 2009, 1h28, €37.90

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