Egalité ou équité ?

Les gens confondent bien souvent les deux notions, dans une brume artistique née des lacunes de l’éducation. L’équité traite chacun selon ses particularités ; l’égalité traite tout le monde pareil. Dans un cas vous avez une attention, dans l’autre une globalisation.

Faut-il offrir à chaque personne ce qui lui est dû (équité) ou bien diluer l’offrande globale de façon arithmétique à part égale entre tous les sujets, les assujettis, les citoyens abstraits ? Il me semble que le « mouvement » des gilets jaunes s’inscrit dans cette confusion. L’Etat, dans sa grande abstraction, par la flemme de ses fonctionnaires décideurs et par le goût d’ouvrir le parapluie de la « neutralité », redistribue la manne de l’impôt sans tenir compte des particularités des ayants-droits. D’où le sentiment d’injustice de la plupart.

Les allègements d’impôt « pour la croissance » ont en effet été financés par la baisse des prestations « d’assistance » aux classes moyennes et populaires – qui arborent plus volontiers le gilet. Un article tout récent du sociologue Pierre Merle, paru dans La vie des idées, le montre bien. Si « les riches » payent plus sur leurs revenus, ils payent moins sur leur patrimoine – mais les épargnants modestes se voient laminés par le différé d’abolition de taxe d’habitation, la hausse de la CSG pour les retraités, la baisse des dotations sociales, la non-compensation de l’inflation pour les retraites et pour le Livret A – et le mauvais prétexte de « l’écologie » pour surtaxer carburant, électricité et automobile.

L’Etat français redistribue plus que les autres et, dans les statistiques, l’inégalité entre les plus riches et les plus pauvres y est moins forte qu’ailleurs. Mieux, elle s’est moins accentuée qu’ailleurs sur la dernière décennie malgré la mondialisation, l’essor des technologies et la crise financière. Mais les statistiques mesurent une masse et une moyenne, pas la dispersion des cas individuels. Globalement tout va mieux ; pour chaque groupe, c’est moins sûr.

Surtout lorsque la classe « moyenne » voit que les impôts qu’elle paye s’alourdissent alors qu’elle bénéficie de services en baisse ;  que les revenus qu’elle tire de son travail ne permettent plus de faire progresser son patrimoine comme avant, en tout cas moins que la classe immédiatement supérieure des plus aisés sans être « riches ». Quant aux « vrais riches », les ex-millionnaires aujourd’hui milliardaires, l’écart se creuse mais ils sont infiniment peu nombreux. S’ils attisent l’envie (et font rêver), ils ne constituent pas des rivaux en société : ils ont le talent sportif, artistique ou d’invention – ou sont héritiers. La classe « moyenne » ne ressent pas la jalousie de la classe populaire pour ceux qui « ont » ; elle exprime plutôt le ressentiment de ne plus pouvoir accéder à l’espoir de devenir un peu plus riche elle-même par le travail et par l’épargne – ce moteur de la démocratie. Elle paye (en proportion) autant d’impôts que les riches (qui en payent plus en volume) car les tranches d’imposition grimpent très vite, mais a besoin plus que les riches des services publics : écoles publiques, hôpitaux publics, transports publics, retraites publiques, aides publiques à l’emploi… Les vrais riches n’ont pas besoin de tout ça : ils peuvent se payer le privé.

D’où la rancœur de voir que « l’écologie » est un prétexte moral à leur faire encore plus payer de taxes sur leur mode de vie périphérique ou semi-urbain, sur la voiture, le chauffage, les vacances, les assurances obligatoires. La pression étatique les incite à quitter famille, campagne et pavillon pour rentrer en ville, où vivre en bobo sans voiture et en vélo, ayant peu d’enfant ou pas du tout en DINO (double income, no kids), prenant le TGV ou l’avion pour les congés et faisant livrer ses courses par Internet. Et ils n’ont pas leur mot à dire, le politiquement correct des intellos pilonnant les médias consentants pour déterminer le Modèle auquel se conformer. Les politiciens suivent le vent (comme d’habitude) et concoctent lois et règlements pour formater les comportements (bio, tri, transports électriques, patinettes et vélos n’importe où sur les trottoirs, à contresens des voies – mais 80 km/h sur les routes moyennes, interdiction progressive de tout diesel et des herbicides, taxe carbone, etc.). Le compte n’y est pas.

Dans cet égalitarisme, il semble y avoir des gens (les urbains hédonistes des métropoles) plus égaux que les autres devant la loi (uniforme partout et pour tous). Ce ne sont pas « les pauvres » qui endossent le gilet jaune : eux habitent les taudis des villes ou les cités des banlieues, ils ont des aides sociales et pas d’impôts. Ce sont les classes moyennes, surtout inférieures, qui ont la hantise de déchoir de leur position sociale et régresser, qui manifestent. Le terreau du populisme, terme générique qui englobe les volontés de « changer de voie » d’extrême-gauche et d’extrême-droite – mais dont on voit aujourd’hui, selon les enquêtes de terrain, que l’aspect conservateur, « réactionnaire », porté à droite, l’emporte sur le reste. En cas de « crise », le réflexe est de se protéger : ce qui fit il y a moins d’un siècle le lit du fascisme. Il ne faut pas avoir peur du mot : il faut examiner les faits.

Un « grand » débat national changera-t-il les choses ? Il permettra d’éclairer, de parler, d’approfondir – à condition d’y participer. Permettra-t-il d’adapter la redistribution, de corriger le « tout le monde pareil » et autre « je ne veux pas le savoir », typiques du traitement de masse de l’Administration à la française ?

Rien n’est moins sûr.


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