Articles tagués : 2007-2008

Nos trente prochaines années

Article repris sur Actualités999.

Il est difficile de faire des prévisions, surtout quand elles concernent l’avenir. Commençons donc par le passé. Notre génération, qui a dans les 50 ou 60 ans aujourd’hui, a connu deux périodes successives de trente ans : la première glorieuse jusqu’à notre adolescence, la seconde piteuse dans notre âge mûr. De quoi demain sera-t-il fait ? Si l’on examine le temps long, l’essor économique suivi du palier de stagnation est suivi d’une étrange période de peur et d’attente. Après les Trente glorieuses, puis les Trente piteuses, place peut-être aux Trente frileuses…

Trente glorieuses

La période de 1945 à 1973 a été qualifiée de Trente glorieuses par Jean Fourastié à la fin des années 70. Sa marque est une croissance forte ininterrompue. La demande est supérieure à l’offre, reconstruction oblige, puis alimentée par le désir de progrès et la mode des biens de consommation et d’équipements, jusqu’alors inaccessibles aux ménages. Le marketing vise l’information du consommateur sur l’existence du produit et sur son intérêt.

Les entreprises sont en compétition pour les ressources, matières premières et main d’œuvre, mais il y a de la place pour tout le monde. La production s’envole, guidée par la demande, sur le modèle actuel des pays émergents. La domination par les coûts exige une standardisation de l’offre (industrialisation) et la recherche d’économies d’échelles (concentration).

Difficile de ne pas regretter la période, au vu de la photo ci-contre, où la consommation était réduite au strict minimum. Mais on ne refait pas l’histoire… sauf par une bonne guerre préalable à une nouvelle reconstruction, ce que personne ne souhaite, si ?

Trente piteuses

La crise pétrolière de 1973 marque la fin de la période glorieuse. Suivent une trentaine d’années ‘piteuses’, selon l’expression de Nicolas Baverez à la fin des années 90. L’offre et la demande s’inversent. Les entreprises font face à des marchés saturés et leurs capacités de production deviennent excédentaires. La seule capacité de croissance est l’augmentation des parts de marchés par la recherche de l’avantage concurrentiel (un téléphone, mais par n’importe lequel pour Apple ; une auto, mais pas n’importe laquelle pour Audi ou Toyota).

Le consommateur est incité à renouveler ses équipements, la stratégie de domination passe par la différenciation. L’offre des Trente glorieuses était standardisée, l’offre des Trente piteuses est sophistiquée. Pub choc (voir l’illustration…), effet de mode, image de marque, innovation permanente, permettent à l’offre de se distinguer socialement. Il s’agit d’apparaître ultramoderne, dans le vent, toujours jeune, porté par le dernier cri, le dernier gadget.  Cela permet aux entreprises de limiter les comparaisons entre produits pour maintenir des prix élevés dans l’univers concurrentiel. Le Samsung Galaxy III est meilleur techniquement que l’Apple iPhone 5, dit-on – mais cela n’empêche pas les fans d’acheter le gadget de la firme à la pomme. Le marketing du désir et de l’esbroufe prend toute sa place. L’offre est toujours plus différenciée ; elle veut s’adresser à chacun dans son groupe (les cadres, les femmes, les homos, les ados, les aspirants jet-set, les sportifs…). On tente le sensoriel, le situationnel, le design, the retailtainment (retail+entertainment), the funshopping des centres commerciaux ludiques…

Trente frileuses

Patatras ! L’explosion de la finance en 2007-2008, nous replace dans la situation de Grande dépression des années 30. Les fondements sociaux s’en trouvent bouleversés, le chômage augmente, il est connu de plus en plus tôt et dure de plus en plus longtemps, les industries se délocalisent, les usines ferment. La consommation hédoniste et gaspilleuse est remise en cause, l’incertitude sur l’avenir est maximale. Naît alors une nouvelle économie : prudente, épargnante, durable.

La croissance des Trente piteuses a été largement financée par la dette, celle des consommateurs américains surtout, mais aussi en France par l’engouement pour les cartes de crédit. La politique d’emplois publics et de redistribution d’État-providence atteint ses limites. Dans le monde, la puissance économique des pays occidentaux s’érode au profit des émergents, surtout en Asie. L’énergie devient rare avec le pic pétrolier et les craintes sur le nucléaire, la raréfaction et la compétition pour les ressources deviennent urgentes. Fini de danser : le crédit est moins accessible, les matières premières plus chères et la main d’œuvre bon marché plus rare. Nous sommes contraints… comme le montre la pub Dolce Gabbana ci-dessous.

Pour les entreprises, la stratégie d’activité ne peut plus reposer sur la sophistication de l’offre. Le prix redevient un critère déterminant, d’où l’essor récent du low cost. Mais il ne s’agit pas seulement d’être moins cher, il s’agit de proposer le produit le mieux adapté, avec un coût bas. Chaque produit est dépouillé de ses annexes pour n’en retenir que le cœur. Après l’aérien, la grande distribution et l’hôtellerie, le modèle du low cost se développe dans les télécoms (Free Mobile), l’automobile, (Dacia), la joaillerie de luxe (Mauboussin), les assurances (Amaguiz), et même la banque (microcrédit). On peut ajouter tout le divertissement : les jeunes ne lisent plus un livre, ou presque ; ils préfèrent le télécharger sur Internet gratuitement ; même chose pour la musique et les films. Le marketing se recentre sur la réponse apportée par le produit ou le service aux besoins, au détriment de la mode.

Nous changeons de monde, changeons d’économie. Hélas ! Ce qui arrive n’est pas rose. Et comme l’économie est la base de nos représentations mentales, nul doute que notre culture va changer. Déjà la politique n’agite plus les mêmes groupes d’intérêts. Peut-être serait-il temps de méditer cette métamorphose ? Et de cesser de regarder le présent avec les idées du XIXème siècle ?

Catégories : Economie | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Misère de l’Islande après crise

Article repris par Medium4You et Ideoz voyages.

Ce matin, il pleut à nouveau, un vrai temps de Terre-Neuve. Notre camion-bus 4×4 arrive, haut sur pattes, un Unimog Mercedes rouge vermillon conduit par Robert. Il n’a pas de nom, ou plutôt il est, comme tous les Islandais, « fils de ». Hommes et femmes s’appellent par leur prénom, se distinguant seulement par le nom du père pour les garçons (Machin-son) ou mère pour les filles (Machine-dottir) accolé au nom : Leif Ericsson était fil d’Eric le Rouge.

Robert est fermier dans les fjords du nord-ouest mais, avec 200 moutons seulement, doit faire des travaux d’appoint pour s’en sortir. Il passe deux mois par an dans le tourisme. Sa cabine est toute décorée de cailloux collés, de pièces de monnaie, de griffes d’oiseaux, de plumes noires et autres vertèbres de requin. Un véritable antre de sorcière runique ! Discret, il parle anglais et m’expliquera que c’est son père qui a aménagé ce camion, acheté aux surplus militaires, et décoré ainsi la cabine. Sur les flancs extérieurs du camion est écrit Halendingurin. Je lui demanderai quand je le connaîtrai mieux ce que cela signifie. Cela veut dire « hommes des montagnes » ou montagnards. Façon de marquer ce qu’il transporte.

Nous sortons en début de matinée d’un Reykjavik désert pour prendre la route n°1 vers le nord, vers le Hvalfjördur ou fjord de la baleine qui est une avancée au-dessus de Reykjavik. Nous ne verrons des files d’autos rentrer vers la capitale qu’en fin d’après-midi, des chalets secondaires. Le temps gris avive la couleur des façades, pimpantes pour agrémenter le paysage. Le guide en profite pour nous expliquer que le décor cossu est désormais Potemkine. Les Islandais sont ruinés et ont des dettes pour des décennies après la faillite de leurs principales banques et la mise sous tutelle du FMI. Les belles maisons ne sont parfois plus même à eux, les grosses voitures sur le point d’être vendues.

En octobre 2008, les trois banques du pays ont implosé par excès de dettes, huit à dix fois le PIB annuel du pays ! La bourse a chuté de 95%, la couronne a été suspendue et les banques nationalisées en catastrophe. Le gouvernement britannique, qui ne fait jamais dans la dentelle avec les faibles, a inscrit l’Islande sur la liste des états terroristes pour avoir « escroqué » les épargnants en ligne avec leur banque Icesave. L’économie, ouverte volontairement sur l’extérieur, a profité du boom mondial pour atteindre 4% de croissance par an de 1998 à 2008. Les moyennes entreprises de niches dans la découpe alimentaire, les prothèses, ou les usines de traitement de la bauxite en profitant de l’énergie bon marché ont favorisé l’essor.

Mais l’économie est allée trop vite et le système forcément incestueux dans un pays où tout se monde se connaît a encouragé les excès. La Banque centrale a dû augmenter ses taux pour juguler la hausse des prix. Ces taux attractifs ont aspiré les capitaux internationaux, à la recherche de rendement, permettant le carry trade : emprunt en devise à bas taux pour placer en devise à rendement élevé. L’endettement en devises étrangères est alors devenu un sport national. Les rachats d’entreprises à l’étranger aussi. La vie s’est mise à crédit, sur le modèle américain. D’où la catastrophe lorsque tout s’est brutalement retourné : il faut désormais rembourser en devise avec le travail rémunéré en couronne dévaluée !

Eva Joly, a été invitée le 8 mars 2009, un dimanche à 12 h 30, sur RUV TV, la télévision publique islandaise, par le présentateur Egill Helgason, très francophile. « Je voulais qu’elle nous donne son avis sur la banqueroute de l’Islande où plus de 100 milliards de dollars se sont volatilisés, que notre petit pays de 320 000 habitants mettra trois générations à rembourser. » Un tiers de la population a subi l’interview comme un électrochoc. Deux jours plus tard, la ministre de la Justice Ragna Arnadottir embauche Eva Joly comme conseillère du gouvernement pour assister le procureur Hauksson. Quatre grandes banques islandaises, Kaupthing, Landbanski, Glitnir et Straumur Burdaras, ont été nationalisées parce qu’elles étaient en faillite. Au moment du boom quelques milliardaires se partageaient l’économie islandaise avec l’argent facile des banques et grâce à la complicité des politiques au pouvoir. Ils ont disparu depuis octobre 2008, exilés à l’étranger. Mais Eva Joly est prudente : « L’Islande est une petite communauté où tout le monde se connaît, où le beau-frère et le cousin ne sont jamais loin. Il y a aussi des gens qui sont contre ces investigations, qui préféreraient attendre que la poussière retombe. »

La dette phénoménale envers les banques anglaises et hollandaises (3,9 milliards d’euros) a été refusée par référendum au printemps, ce qui suspend les prêts du FMI. Les Islandais ne veulent pas payer pour les banksters ! D’autant que les autorités de régulation anglaise et hollandaise n’ont manifestement rien vu, rien surveillé… La dette par foyer fiscal islandais serait autour de 50 000 euros, la dette d’État à fin 2009 est de 105 % du PIB selon un rapport du FMI d’avril 2010, la dette globale envers l’étranger de 300%. C’est la crise, la ‘kreppa’ comme on dit ici.

Hors le tourisme, la pêche est réglementée pour cause de disparition des espèces. L’énergie hydroélectrique et géothermique, très peu chère en Islande, a attiré des usines de traitement d’aluminium mais la crise les fait tourner au ralenti, tandis que la production d’énergie a été privatisée auprès d’entreprises canadiennes… Dans ce contexte, avec quelle production rembourser l’énorme dette ? Déjà couper dans les dépenses d’État où les fonctionnaires ont augmenté de 30% en dix ans. Puis l’émigration d’une partie de la jeunesse, confrontée au chômage. L’annulation de dettes à certaines entreprises par les banques, à nouveau privatisées.

Mais la récession 2009 a été moins forte que crainte, de 6,5% seulement, et le taux de chômage n’est pas allé au-delà de 10% de la population active grâce aux mesures budgétaires de soutien et au coup de fouet aux exportations grâce à la chute de la couronne. Environ 30% des crédits à la consommation et 15% des crédits immobiliers sont l’objet de défaut, mais heureusement assez rares sont les Islandais qui ont des prêts en devise (c’est finalement loin d’être la majorité).

Catégories : Economie, Islande | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , ,