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Mes huîtres gratinées

Certains l’aime crue, d’autres ne peuvent le supporter ; les Américains, pour des raisons d’hygiène, ont pris l’habitude de cuire l’huître. Et il est vrai que le goût n’est plus le même. Pour ma part, j’apprécie l’huître crue avec son goût iodé, surtout lorsqu’elle sort tout juste des bassins. Mais je l’ai tentée cuite, et une autre saveur incomparable naît au palais. Voici ma recette ; chacun peut ajuster la sienne à ces grandes lignes.

Pour quatre personnes, deux douzaines d’huîtres. Prenez des « spéciales » (creuses), numéros 2 ou 3 selon les provenances, plus elles sont charnues, mieux c’est – sauf les numéros 0 et 1 qui sont vraiment trop grosses – et tiendraient mal dans le plat.

Ouvrez-les selon les rites : le cul vers vous, l’huître fermement tenue dans un torchon ou un gant spécial pour éviter de vous blesser au cas où, le couteau simple ou « à huîtres » dans la main droite (si vous êtes droitier – si vous êtes gaucher, inversez tout, cela n’a aucune importance). Insérez la pointe du couteau dans le cerne de la coquille qui vous paraît faire la limite entre les valves (il faut parfois tâtonner un peu), puis coupez le muscle intérieur. L’huître s’ouvre alors.

Videz-la de son eau et décoquillez-la en casserole. Faites attention aux esquilles, désagréables sous la dent. Vous pouvez pour cela laver les huîtres avant de les remettre dans leur eau filtrée au cul de poule, et laver les coquilles avant de le mettre sur le plat. Gardez la coquille renflée, jetez la partie supérieure plate.

Disposez chaque coquille vide dans un plat métallique à grosses madeleines (le silicone plie trop avec le poids des huîtres). Certains préconisent le « lit de gros sel », mais cela vous en fait consommer des kilos ; d’autres un « lit d’algues », mais si vous n’êtes pas en Bretagne… Il existe aussi de petites billes métalliques pour maintenir les pâtes à cuire, ce qu’on appelle des « haricots », mais elles se salissent et pèsent bien lourd. J’ai essayé tout cela, mais le plat métallique destiné aux grosses madeleines reste à mon avis le plus pratique (d’autant que vous pouvez l’utiliser pour confectionner AUSSI des madeleines).

Chauffez vos huîtres décoquillées dans leur eau filtrée une minute – pas plus – et arrêtez la cuisson lorsque la chair commence à perdre sa transparence. Cette opération a pour but de terminer la sécrétion d’eau par les huîtres, qui noierait votre sauce si vous les laissiez crues (j’ai essayé).

Mettez les huîtres dans une passoire et jetez leur eau : si les huîtres sortent à peine du bassin, vous pouvez la garder et vous en servir pour la sauce, sinon il ne vaut mieux pas, elle contient trop d’impuretés. Placez chaque huître pochée dans une coquille.

Hachez au mixeur deux échalotes avec un jus de citron, quelques pluches de basilic (fraîches ou sèches), un soupçon de curry. Il faut que cette préparation soit sans grumeaux.

Préparez ensuite une béchamel : pesez 40 g de beurre que vous faites fondre en casserole, puis 45 g de farine que vous ajouterez une fois le beurre fondu (je mets volontairement un peu plus de farine que la norme, pour que la béchamel soit épaisse). Une fois la farine assimilée par le beurre, laissez cuire une trentaine de secondes avant d’ajouter le liquide : le bol d’échalotes hachées au jus de citron – mélangez au fouet – puis le liquide qui vous convient (lait, vin blanc, pineau, eau + 2 cuillérées à soupe de Calvados, eau + 2 cuillérées à soupe de crème…).

Laissez cuire en tournant au fouet jusqu’à une consistance lisse. Vous verrez parfaitement si vous avez mis suffisamment de liquide ou pas, si la béchamel colle trop, ajoutez simplement un peu d’eau, mélangez tout en cuisant encore, puis recommencez jusqu’à ce que vous soyez satisfait. Votre béchamel doit avoir la consistance d’une crème fraîche épaisse, elle ne doit pas être trop liquide.

Versez cette béchamel sur chaque coquille contenant son huître pochée.

Lorsque les convives sont prêts (vous pouvez attendre jusqu’à une heure avec la préparation), allumez le grill du four et placez successivement chacun des deux les plateaux de 12 huîtres dans leurs alvéoles à madeleines pour 5 à 6 mn à 10 cm du grill. Pas plus, cela cuirait trop les huîtres.

Il ne vous reste plus qu’à déguster, avec un vin blanc un peu acide comme le Muscadet pour renforcer le goût des huîtres – ou un peu rond comme le Coteau du Layon si vous avez mis du pineau dans la sauce. Les plateaux métalliques et le passage sous grill vous permettent d’attendre une dizaine de minutes avant que les huîtres ne refroidissent.

J’ai testé au préalable d’autres recettes « éprouvées » : au sabayon de jaune d’œuf, en épaississant à la maïzena – mais cette recette via une béchamel reste encore pour moi la meilleure et la mieux réussie à tous les coups.

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Randonnée dans les Carpates

L’après-midi nous montre Vassili dans toute sa splendeur. Il nous « guide » dans une descente vertigineuse et hors piste, tout droit dans la forêt. Un chemin « à la russe » sans doute, dans le genre « allez les gars, sans réfléchir ». Et il se garde bien d’attendre les dernières du groupe qui ont du mal à suivre ; ni d’aider celle qui est tombée ; ni de soutenir celle qui a le vertige. C’est à nous, Occidentaux « individualistes », de lui faire souvenir que nous sommes en groupe et tenons à y rester, qu’il s’agit pour nous d’une randonnée de découverte, pas d’un record à battre ni d’un entraînement spetnaz… Il applique dans la réalité l’exact inverse du discours qu’il nous a fait quelques heures plus tôt ! Il se montre macho narcissique alors que nous nous révélons communautaires.

carpates
Il fait une chaleur moite. Nous sommes heureux d’arriver en bas, où coule une rivière. La Chemoche Noire a creusé son lit entre les prés où œuvrent les moissonneurs en famille. Un tout petit nous regarde passer comme s’il ne nous avait jamais vu (et je crois bien qu’il n’a pas tort). Le fauchage s’effectue encore comme dans les ultimes années 50 chez nos grands pères : à la faux qu’il faut manier d’un geste large de la hanche et aiguiser au fusil plusieurs fois le jour. L’herbe est mise en bottes, puis en meule autour d’un piquet fiché verticalement dans le sol, par les femmes et les enfants. Elle servira de fourrage d’hiver aux élevages bovins aujourd’hui dispersés dans les prés pour se gaver d’herbe fraîche.

foins des carpates

Nous marchons encore 800 m jusqu’au hameau qui dépend administrativement du village quitté ce matin. Dans une boutique rustique nous achetons de la bière. Son degré d’alcool est en général de 4,4% mais on en trouve à 11,5% ! Reste une montée de dix minutes pour accéder au refuge sur la colline d’en face. Notre soif peut enfin être étanchée et les sacs allégés de ce fardeau supplémentaire.

igor des carpates

Le refuge est une ferme d’altitude, ouverte seulement l’été, tenue par un couple de moins de trente ans, Rouslan et Marika, et leur petit garçon de trois ans, Igor. Il est tout blond, très actif et veut tout faire comme son papa. Nous dormons dans une pièce principale aux lits superposés le long de chaque mur.

diner des carpates

La table d’hôte est servie à l’extérieur, sur plusieurs mètres de long et flanquée de bancs de bois. Le bain est un sauna « à la russe ». Il s’agit d’un réservoir d’acier sous lequel on allume des bûches et qui contient de quoi prendre cinq ou six douches avant de devoir être rempli à nouveau. Tout l’art est de le faire bien chauffer avant l’arrivée des randonneurs, puis de remplir le réservoir d’eau froide toutes les deux ou trois douches, de façon à garantir une température à peu près égale pour tous. La cabane de bois, située à l’écart pour cause de feu, brille d’une lueur démoniaque lorsque sa porte s’ouvre dans le crépuscule qui tombe. Le petit Igor se voit d’office recouvert d’une veste supplémentaire, malgré ses protestations. La fraîcheur tombe en effet vite à plus de mille mètres et l’humidité s’élève du sol. Les toilettes sont écolos, une « cabane au fond du jardin » où s’asseoir sur trois planches percées d’un trou, la terre en direct dessous, avec les restes des précédents. Nous dînons campagnard d’un bortch de chou à la betterave rouge et patates, de salade aux poivrons jaunes et malassol, et de tomate au concombre. Une assiette de « pâté de rat », à la couleur grise peu engageante, se révèle être en fait du hareng. Des sprats à l’huile sortis de boite accompagnent les galettes de pomme de terre. La bière fait merveille pour arroser tout cela.

petit dejeuner des carpates

Un peu scoute, Natacha encourage l’hôte à faire un feu pour ne pas aller se coucher tout de suite. Pourquoi pas ? Nous, Français, sommes handicapés faute d’apprendre encore à chanter dans les écoles. Comme nous n’allons plus guère à l’église et que les mouvements de jeunesse adolescente, s’il en fut, sont bien loin, nous n’avons guère de quoi répondre à Natacha et à ses chants généreux, sauf « à la claire fontaine » et encore. Elle a une voix juste, chaude et le russe prend dans son gosier une musicalité admirable. Nous n’arrivons guère à distinguer l’ukrainien du russe, bien qu’elle chante dans les deux langues. Vassili se lance dans quelques chants de marche assez patriotiques, appris en collectifs. Le russe est une belle langue, difficile à apprendre, qui répond aux inflexions du cœur.

Cette fois, la nuit est dure sur un matelas crêpe « à la russe ». Le petit Igor, si vif et si affairé hier soir, dort ce matin comme un loir jusque fort tard. Le petit-déjeuner pantagruélique, lui aussi « à la russe », est servi dehors sur la table. Ce ne sont qu’assiettes de saucisson rose, de fromage local type Pyrénées, de poivrons crus, de biscuits et de graines de halva (tournesol pilé) en bloc sucré. Le « thé » est une tisane d’herbes du coin, à filtrer avant la tasse.

beurre et sucre des carpates

privations, sucre, beurre, diététiquesCe repas est très énergétique, coutume montagnarde certes, mais surtout compensation à la génération suivante des privations des parents et grands parents de l’ère soviétique. Le beurre et le sucre, si rares durant des décennies, sont aujourd’hui des produits valorisés que l’on met à tous les repas – justement les deux produits les moins diététiques que nous connaissions et que nous tentons de fuir au maximum dans l’alimentation. Vassili tartine généreusement son pain de beurre avant d’y saupoudrer du sucre… Il nous raconte qu’il compensait ainsi par une épaisseur de beurre aussi grande que celle du pain la pauvreté des rations, durant ses deux années de service militaire obligatoires dans l’armée rouge. Les sachets de « café » sont de même : au lieu de la poudre de café noir, comme chez nous, il n’y a que 12% de café dans le total de la poudre, pour 32% de crème et 55% de sucre ! Reconnaissons que nos parents, qui avaient subi les restrictions des années d’Occupation, étaient friands, eux aussi, de beurre, de sucre et de viande rouge, tout ce qui avaient manqué. Les recettes de cuisine de la fin des années 50 s’en ressentent dans les proportions de gras et de sucré !

carpates ukraine

Une forte boue dans la pente fait murmurer les filles qui se souviennent du « chemin Vassili » d’hier en fin d’après-midi. Mais cela ne dure pas, nous allons visiter le monastère. Il est tout neuf, de rite gréco-catholique – uniate – et bâti il y a deux ans seulement en pin. Il a remplacé une maison plus ancienne, plus petite et traditionnelle, qui subsiste en contrebas. La chapelle, qui jouxte les pièces à vivre et à dormir du monastère, ouvre ses offices les samedis, dimanches et fêtes seulement. Le moine, seul en ce moment pour cause de maladie de son compagnon, prie chaque jour mais pas en public. Il obéit aux règles bénédictines bien qu’appartenant à l’ordre des moines « vassiliens ». Deux jeunes chats, dont un noir tout jeune, meublent son actuelle solitude.

ferme des carpates

La maison traditionnelle, une cinquantaine de mètres plus bas, a 124 ans. Le moine l’a rachetée aux héritiers d’un fermier qui venait de mourir. Elle est bâtie tout en bois, coupé selon les phases de la lune pour assurer la longévité des fibres. Elle est typiquement goutsoul, nous dit-on, faite pour abriter un couple, cinq ou six gamins et quelques bêtes. Les enfants dormaient sur le poêle, une construction intérieure en maçonnerie « à la russe » sur un coin duquel on cuisine. La maison, tout en largeur, comprend trois parties. L’entrée est au centre et distribue le passage vers la cuisine-chambre à gauche et l’étable à moutons à droite. Un escalier de bois, sous l’auvent, mène au grenier à foin. Vassili nous vante « la vie saine » des Goutsouls d’hier : rien de chimique, le grand air et les efforts permanents des montagnes, l’occupation incessante aux tâches pratiques et l’élévation spirituelle une fois la semaine, la vie en commun autour du poêle, les contes aux veillées. On croirait du Jean-Pierre Chabrol. La ferme était autonome comme une forteresse. Nul besoin de se rendre à la ville, sauf pour les vêtements mais on les faisait durer et on n’habillait guère les enfants l’été. Alentour, il y a de l’eau potable en quantité, du bois pour se chauffer et des animaux pour le lait, la laine et la viande. Un âge d’or, quoi. Le chauvinisme « à la russe » apprend que la terre ne ment pas…

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