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Lincoln de Steven Spielberg

Ce film historique qui retrace les derniers mois de la vie d’Abraham Lincoln, président des Etats-Unis réélu en pleine guerre de Sécession, porte exclusivement sur le grand projet politique de « liberté » : l’abolition de l’esclavage. Le Treizième amendement de la Constitution est passé in extremis, en butte aux conservateurs démocrates (en général du sud) et à certains républicains (en général bigots des Etats frontaliers).

Il est drôle de noter qu’alors les Républicains étaient « à gauche » et les Démocrates à droite… C’est que l’émancipation est considérée comme une valeur de progrès (donc la liberté républicaine) et que l’égalité ne vient qu’en second (égaux devant la loi, mais pas devant la nature). De nos jours, le politicien « de gauche » cherche à nier toute nature pour s’en faire « maître et créateur » – et accessoirement promettre l’impossible à ses électeurs naïfs.

Le film de Spielberg est bavard, mais Lincoln était avocat. Son décorticage de sa position politique sur le Treizième amendement devant son cabinet est un morceau de choix : il est juridiquement impossible d’abolir l’esclavage aux Etats-Unis du haut de l’Etat fédéral, car chaque Etat a des droits et règle sa vie politique. Le seul moyen est de profiter de la guerre pour « confisquer » la propriété humaine des planteurs du Sud, et l’émanciper dans la foulée pour qu’elle s’engage aux côtés du Nord. D’où la Proclamation d’émancipation de 1863. Une fois la guerre terminée, la loi reprendra ses droits et les anciens esclaves devront retourner aux plantations… Sauf si l’amendement constitutionnel est ratifié par suffisamment d’Etats fédérés pour devenir loi fédérale. Il est donc nécessaire que le vote ait lieu avant la fin de la guerre.

Ce pourquoi, par machiavélisme politicien, Lincoln devra faire un choix tragique : retarder les négociations de paix et voir croître le nombre de morts inutiles pour que les nègres soient enfin libres. Tout le film tourne autour de ce dilemme. Bloquer l’arrivée des émissaires de la Confédération à Washington, corrompre par des postes de fonctionnaires fédéraux les députés démocrates esclavagistes qui ont perdu leur campagne de réélection à l’automne 1864, agir en sous-main tout en tenant des discours humanistes la main sur le cœur en public. L’ambiguïté de la politique est là, entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Quiconque veut réussir doit prendre les moyens de ses ambitions. La fin justifie tout… Même l’engagement du fils aîné du président dans l’armée et l’hystérie de sa femme. A condition que le but soit moral.

Mais changer de force la culture d’une partie de son peuple est-il moral ? Lorsque le président des Etats-Unis rencontre le vice-président sudiste lors de la négociation finale, celui-ci vient de se rendre compte que l’abolition de l’esclavage est la fin de la civilisation du sud, machiste, patriarcale, aristocratique. Désormais, l’égalitarisme va régner et la couleur de peau comme la préférence sexuelle ne sera plus vouée à être discriminatoire ; les nègres vont voter et peut-être demain les femmes ! C’est quitter l’Ancien pour le Nouveau testament et Dieu le Père pour Dieu le Fils, sous l’égide du Saint-Esprit constitutionnel.

L’amendement passe de deux voix, dont celle exceptionnelle du président de la Chambre. L’esclavage est aboli. Le Nord va s’unir pour ratifier tandis que nombre des assemblées législatives reconstruites des États du Sud ratifieront également pour tourner la page et renouer des relations avec le nord. Et Lincoln sera assassiné – comme plus tard Kennedy ; on ne sait pas si des attentats contre Obama ont été déjoués.

Une fois de plus, l’histoire est écrite par les vainqueurs, et réécrite sous l’ère Obama – président noir. Les fake news tiennent au cœur du mythe américain : il s’agit toujours de raconter une belle histoire vendeuse (storytelling) pour motiver les citoyens, du Nouveau monde où tout est possible à la Nouvelle frontière des étoiles, de l’égalité raciale au transhumanisme. La réalité historique, lorsqu’on l’observe crûment, est moins rose : la prédation économique a joué un rôle éminent pour justifier la guerre de Sécession, beaucoup plus que la morale égalitaire raciale ; quant à la diplomatie, elle n’était pas absente, loin de là…

L’importance du film est donc à nuancer, les nombreux Oscars récompensent l’Amérique en son miroir, pas l’universel. Sa longueur scolaire et bavarde, surtout en première partie, rebutera nombre de spectateurs non Yankees, malgré certains traits d’humour et des attitudes humaines du « grand homme » (échalas sec et anguleux portant haut de forme). Sa relation avec son plus jeune fils Tad, fasciné de façon douteuse par les daguerréotypes d’enfants esclaves noirs proposés à la vente, est tendre ; le souvenir de son autre fils William, mort du typhus, lui est douleur ; son opposition toute formelle à son fils aîné qui veut quitter l’université de droit à Boston pour s’engager dans la guerre est un drame insoluble : pour exister, le jeune homme doit le faire mais son père doit le protéger…

DVD Lincoln, Steven Spielberg, 2012, avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, Tommy Lee Jones, Joseph Gordon-Levitt, David Strathairn, Joseph Gordon-Levitt, James Spader, 20th Century Fox 2013, 2h24, €5.24 blu-ray €2.42

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