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Théophile Gautier, Le roman de la momie

Théophile Gautier, né en 1811, copain de Gérard de Nerval, est l’auteur de récitations et de romans d’aventures, dont Le capitaine Fracasse. Romantique, il participe à la bataille d’Hernani auprès de Victor Hugo. Egyptomane après Volney et Bonaparte, il livre un roman sur la momie d’après la Description de l’Égypte, une encyclopédie de savants issue de la campagne de Bonaparte de 1798 à 1801.

Gautier orne une trame simple d’une multitude d’émaux antiques, profusion de détails archéologiques et artistiques tirés des publications savantes. En le lisant, vous saurez tout sur Pharaon, la vie quotidienne, les décors et le mobilier, la moisson, les soldats et les femmes. Une excellente introduction à tout voyage en Égypte sur les traces de l’antiquité.

Evandale, un jeune lord anglais beau comme l’antique et riche comme un noble héréditaire, finance une expédition de fouilles d’un tombeau inviolé avec l’aide du docteur Rumphius, égyptologue allemand, et de la découverte de la lecture des hiéroglyphe par le français Champollion en 1824. La tombe, qui s’enfonce dans le sol calcaire de la vallée des Rois, sur la rive gauche du Nil en face de Louxor (écrit Louqsor à l’époque), reprend celle de Séthi 1er mais s’avère, dans le roman, celle d’une femme : Tahoser. « La seule femme a avoir été Pharaon », écrit l’auteur. En fait, il en eut cinq, dont Cléopâtre et Hatcheptsout. Taousert, grande épouse royale de Séthi II, a assuré deux ans la régence à partir de -1188. Elle est la première à être enterrée dans la vallée des Rois (KV14) et non des Reines. Son nom signifie « la Puissante ».

Le lord tombe amoureux de cette jeune femme dans sa fleur, d’une beauté sans égale, révélée sous les bandelettes. Il l’emporte dans son domaine anglais telle la Belle au bois dormant et n’épousera nulle autre de son vivant. Destin tragique du romantisme échevelé. Mais l’occasion de « découvrir » un papyrus sous son épaule, qui raconte son histoire.

Une histoire simple, banale au fond, d’un amour non partagé. Mais cela se situe au sommet de l’État, dans cette étroite élite de fille de grand prêtre, de Pharaon et d’intendant royal. Tahoser a 16 ans et brûle de désirs comme à cet âge : « seize est le nombre emblématique de la volupté », énonce le vieux Souhem qui en a vu. Elle est éperdument amoureuse de Poëri, intendant royal mais esclave hébreu, tandis que Pharaon, qui revient d’une guerre victorieuse, tombe raide dingue de la jeune fille qu’il aperçoit d’un œil lors du défilé des troupes dans Thèbes, appelée Oph à l’égyptienne dans le roman. Il n’a de cesse de la faire quérir, tandis que Tahoser file hors les murs, déguisée en pauvresse, pour aller se proposer à Poëri comme servante ; elle n’aspire qu’à être à ses côtés et le le voir tout le jour.

Mais, à la nuit, le jeune homme bien sous tous rapports, beau, gentil, lumineux (en bref, un Juif), quitte la maison d’intendance où la récolte est rentrée pour passer en solitaire le Nil et s’enfoncer dans le quartier misérable où les Hébreux sont parqués, forcés de travailler aux briques pour les palais de Pharaon. Tahoser le suit, s’épuisant à passer nue le Nil à la nage, en portant sa robe en boule au-dessus de sa tête. Il va rejoindre la belle Ra’hel dont il est amoureux, couple idéal beau, gentil, lumineux (en bref, romantique). Tahoser est effondrée, elle s’évanouit autant du choc de ses amours brisés que de fatigue d’avoir lutté contre le courant, et de froid d’être nue.

Ra’hel la recueille, la soigne, elle avoue son amour le soir suivant à Poëri, qui l’accepte, Ra’hel consentant elle-même généreusement à ce qu’il ait une seconde épouse. Mais la servante Thamar, vieille aigrie qui déteste les jeunes amoureuses et surtout les non-juives, la dénonce au palais et Pharaon vient lui-même la chercher dans la cahute. Il l’enlève et la mène dans son antre somptueuse, où elle est désormais physiquement sa prisonnière. Le faste, le luxe, le prestige, vont détourner son amour de Poëri vers Pharaon. Thamar peut prendre tout l’or qu’elle peut porter, et ses griffes rapaces (en bref, juives, selon les préjugés du temps) s’empressent d’en remplir un plein sac, qu’elle a beaucoup de mal à porter.

C’est à ce moment de l’histoire que Moïse intervient, vieux juif de 80 ans à la coiffure en cornes, flanqué de son frère Aaron magicien. Il veut que Pharaon autorise le peuple juif à aller au désert honorer le seul Dieu, YHWH. Pharaon, par orgueil du pouvoir, refuse ; ce sont alors les dix plaies d’Égypte citées dans la Bible, dont Gautier oublie la vermine. Lorsque son premier-né meurt, Pharaon lassé laisse les Hébreux fuir. Puis, pris d’un sursaut d’orgueil, les poursuit avec ses chars. La « mer des Algues » dit Gautier, s’ouvre sous le souffle de Dieu pour laisser passer son peuple élu, puis se referme sur les mécréants, noyant Pharaon et ses engins. Tahoser devient alors Pharaonne, mais pour quelques mois seulement, avant de mourir à à peine plus de 16 ans.

Théophile Gautier mélange l’histoire et la légende pour en faire un roman romantique. Nul n’est sûr qu’un personnage nommé Moïse ait vraiment existé, il pourrait être une image reconstruite à partir de plusieurs, dont un majordome de Séthi II (1200-1194) nommé Beya devenu chancelier d’Égypte, qui a intrigué avec Taousert. Quant à la tombe de la reine, si elle est bien dans la vallée des Rois, elle a été vidée avant le XIXe siècle, la momie ayant été reléguée ailleurs. Reste un éblouissement de bijoux, de fleurs et de corps féminins à peine voilés de gaze, un pays de cocagne à la civilisation avancée il y a plus de trois mille ans – en bref un mythe romantique agréable à lire malgré l’ampleur et la minutie des descriptions. Mais vous enrichirez votre vocabulaire : vous saurez ce qu’est un hypogée, une psychostasie, un calasiris, un thuriféraire, un dromos, un amshir, un basilico-grammate, la dourah, l’harpé, le népenthès, l’hypostyle, le psylle…

Théophile Gautier, Le roman de la momie, 1858, Livre de poche 2007, 192 pages, €5,90, e-book Kindle €1,99

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Claude Simon, Le jardin des plantes

claude simon le jardin des plantes
Du jardin des plantes à Paris, vous saurez peu, l’auteur ne l’évoque que succinctement, et surtout sur la fin. Peut-être pour dire que le roman est moins « un miroir promené le long d’un chemin » comme le voulait Stendhal qu’un jardin, organisé mais touffu, sauvage mais apprivoisé, nature mais reconstruit, « un spectacle chaque fois différent pour le promeneur qui parcourt ses allées ».

Derrière le structuralisme, grande pensée figée de l’époque, platonisme rêvé de la structure, le « nouveau » roman se veut sans sujet et sans histoire : il se contente de décrire le symbolique, les relations des êtres et des objets entre eux. D’où ces descriptions maniaques et interminables, Robbe-Grillet passant deux pages sur une poignée de porte, Simon étudiant chaque boursoufflure du cheval mort… Mais le structuralisme a passé, comme le dogmatisme marxiste qui suivait le fusionnel citoyen, après l’inquisition catholique. Claude Simon réintroduit le sujet et l’histoire dans le roman.

Miracle, cet opus est devenu lisible. Oh, certes, le lecteur subit encore cette potacherie de vieille coquette qu’est le texte inséré dans le texte, en carré, en diagonale, en double colonne, en retrait, ou ces listes d’œuvres de peintre – mais les trois-quarts du texte se présentent comme une suite, parfaitement accessible, bien que fragmentée et encartée d’extraits de romans de Proust ou Dostoïevski (ses auteurs de prédilection, grands rivaux) ou du journal de Rommel.

Car la mémoire, selon l’auteur, n’est pas une photographie mais une impression. Comme le peintre, l’écrivain impressionniste suggère plus qu’il ne livre, il multiplie des angles selon les années qui passent, retrouve, retaille, oublie. Ce n’est pas pour rien qu’une citation de Montaigne, en exergue du roman, évoque une existence dont « nous ne délibérons qu’à parcelles ». Car « chaque pièce, chaque moment fait son jeu ». Comme les cages des fauves dans le jardin, ou les plantes ramenées ici dans un certain ordre mais que le promeneur découvre seulement par son propre itinéraire, chaque jour variable, comme un jeu associatif.

Qui aura lu d’autres livres de Claude Simon y retrouvera ses obsessions : l’inepte « guerre » de 40 à cheval tandis que Rommel fonce avec ses chars, l’évasion du camp de prisonniers, le Comandante italien qui livre à l’Espagne anarchiste des armes d’un cargo norvégien, divers voyages en Inde, à New York, dans l’URSS de Gorbatchev, une interview au Figaro de 1990 sur « la peur » et l’œuvre, le bain forcé enfant dans un bassin de square, la mort de sa mère, le collège et le manquement en athlétisme, la première expérience sexuelle à 16 ans avec une anglaise à Cambridge après un premier essai où seule la culotte fut enlevée… N’écrit-on que sa vie ? L’auteur déclare que « le seul véritable traumatisme qu’il est conscient d’avoir subi (…) fut (…) ce qu’il éprouva pendant l’heure durant laquelle il suivit ce colonel, vraisemblablement devenu fou, sur la route de Solre-le-Château à Avesnes, le 17 mai 1940, avec la certitude d’être tué dans la seconde qui allait suivre » p.1064 Pléiade. Ce fut le colonel qui fut tué.

Il monte son roman comme une pâtisserie, par associations, glissements, contrastes, répétitions, variantes. La fin se termine même en plan numéroté de cinéma, comme si la littérature devenait désormais impuissante face à l’image animée, d’une plus grande force de communication.

Le prix Nobel de littérature obtenu en 1985 a lâché les hyènes du décorticage critique sur cet auteur difficile. Qu’apportent-ils de neuf qu’une lecture amateur et bienveillante ne pourrait livrer ? Nul besoin de glose préalable pour lire, nul besoin de cuistres pour vous dire ce qu’il faut en penser. Ne soyez pas impressionnés, lisez.

Nul doute que ce roman couronne son œuvre – et son existence. On ne peut faire un récit exact de sa vie, mais seulement une reconstitution romanesque. Bien que l’existence soit sans cesse en mouvement, la mémoire n’en retient que quelques images fortes, liées aux émotions – dont la plus puissante est la crainte de la mort. D’avoir été près de mourir, ou confronté à la mort, fait voir immédiatement le monde plus beau.

Peut-être est-ce là l’ultime leçon de ce vieil écrivain né en 1913, qui avait 84 ans à la parution du Jardin des plantes.

Claude Simon, Le jardin des plantes, 1997, éditions de Minuit, 377 pages, €22.40
Claude Simon, Œuvres 1, Pléiade Gallimard 2006, 1583 pages, €63.50

Les œuvres de Claude Simon chroniquées sur ce blog

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