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Gérard Muller, L’âme de la fontaine étourdie

La retraite venue l’auteur, ancien ingénieur aérospatial, met ses connaissances scientifiques et techniques au service de son imagination débordante. Il écrit de courts romans au présent qui illustrent, par le biais d’une intrigue policière, un concept de la physique. Celui-ci se préoccupe de physique quantique.

Une archéologue, évidemment toulousaine, berceau bien-aimé de son auteur, va fouiller au pied des parois à pétroglyphes en Namibie. Elle appartient à une équipe internationale privée que des sponsors financent. Le directeur est américain, l’informaticienne anglaise, les deux autres fouilleurs sont espagnol et namibien, plus un ouvrier du village voisin. Même adolescent, le public visé semble-t-il par ce roman, le lecteur peut logiquement supposer que les échanges entre les protagonistes s’effectuent en anglais, sinon en globish. Pourquoi, alors, faire déclarer à l’Américain que « le tutoiement est de rigueur » (p.32) ? Parleraient-ils tous français en Namibie ? Le tutoiement en anglais n’existe que pour s’adresser à Dieu, sinon on s’appelle tout simplement par les prénoms. L’auteur abuse de l’usage du sud de désigner la personne par un impersonnel comme « la Toulousaine », « la Française », pour la même personne : Lisa. Pourquoi ne pas utiliser son prénom ou dire « elle » ?

Ce n’est pas le seul passage où l’on tique, même si l’on est bon public. Les prélèvements des charbons de bois antiques pour une datation au Carbone 14 ne se font pas comme on verse du sable dans un seau mais nécessitent de multiples précautions afin qu’ils ne soient pas contaminés. Aussi, lorsqu’une datation est donnée trop proche du présent, l’archéologue professionnel (moi) s’attend à ce que l’on évoque au moins cette hypothèse fort courante ; il n’en est rien.

C’est au contraire au profit d’une autre hypothèse, très audacieuse pour des scientifiques, qui permet d’imaginer une transmission de pensée des chamanes locaux d’il y a 50 siècles ! Et l’explication de cette possibilité réside naturellement dans les mystères de la physique quantique. D’où « l’âme » qui serait une empreinte émotionnelle forte au moment de la mort : elle aurait modifié le champ de force pour l’éternité. Il suffit d’être médium, de respirer lentement et profondément dix fois de suite, pour entrer en communication avec les esprits prédestinés. Le bushman d’il y a 5500 ans parle comme vous et moi, il évoque sans sourciller son empreinte quantique et ses qubits ! Ce qui avait commencé comme une belle aventure scientifique se termine dans le délire le plus complet.

Bon, me direz-vous, il suffit d’y croire. Il y a un meurtre, une fontaine qui s’arrête et repart, un léopard qui serait un chamane déguisé, des policiers locaux savoureux. Sans compter le récit détaillé de baises torrides par des couples divins sortis tout droit des studios hollywoodiens, sains, musclés, bronzés, aimants… Tout ce beau monde se vautre alors dans les poncifs les plus à la mode médiatique immédiate chez « les jeunes » : aider les migrants, militer pour le climat, combattre le machisme. C’est un peu trop pour mon goût et n’égale pas Bob Morane, bien mieux écrit et qui reste, malgré les incursions dans les mythes et la science-fiction, dans les clous du rationnel tout en ne cédant rien aux dernières lubies – ce pourquoi on le relit encore un demi-siècle plus tard. Pourquoi par exemple appeler les particules d’âme des soul particles ? La langue anglaise seule pourrait-elle produire ce concept aussi intraduisible en français que humour, privacy et week-end ? Par snobisme globish ? Pour faire encore plus scientifique ? Plus ésotérique ? A cause de la musique 2011 de Quantum Force ? Ou pour copier un roman américain ?

Désolé de paraître trop aimer le beau langage et les récits vraisemblables : si je donne à manger du bio à mes enfants, la nourriture intellectuelle bien écrite et que l’imagination peut croire n’en est pas moins vitale pour leur santé. Le roman précédemment chroniqué était à mon avis meilleur.

Gérard Muller, L’âme de la fontaine étourdie, 2019, éditions Lazare et Capucine, 230 pages, €15.00 e-book Kindle €7.99

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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Gérard Muller, Le soleil noir de Tenerife

Aux Canaries, territoire espagnol, réside le plus haut sommet du pays, le volcan Teide qui culmine à 3718 m. A son pied, l’observatoire astronomique de Tenerife, ouvert en 1964. Il comprend plusieurs télescopes solaires destinés à étudier l’astre et un radiotélescope. C’est dans ce décor que Gérard Muller situe son thriller scientifique : il ne s’agit pas moins que de découvrir le secret de la matière noire !

Cette « matière », invisible et impalpable, constituerait près d’un tiers de la masse de notre univers. L’hypothèse de son existence est déduite de l’écart entre la masse dynamique et la masse lumineuse des observations. Le romancier (car il s’agit d’un roman) imagine qu’une tache noire apparaît soudainement un jour dans le soleil. Les astrophysiciens sont stupéfaits, mesurent, calculent, supputent. La seule hypothèse improbable est celle de la matière noire !

Et voilà Fernando et Monica, sa stagiaire doctorante, pris de frénésie : ils annoncent au monde cette découverte inouïe, et le monde se partage. Non entre les sceptiques et les enthousiastes, mais entre les Etats-Unis militarisés sous son président macho et la Chine qui a laissé Mao et avance en avance en technologie secrète. Justement, un stagiaire doit débarquer dans l’observatoire de Tenerife ; Li a insisté tout particulièrement pour travailler avec Fernando et déploie tout son charme et son intelligence pour le convaincre de quelque chose.

En dire plus serait dévoiler l’intrigue, fort bien menée après des préliminaires un peu lents. Les découvertes dues au hasard montrent comment fonctionne le savoir et l’exploration des hypothèses scientifiques est passionnante, même pour qui n’y connait rien. L’on se prend à aimer les personnages malgré leur peu d’épaisseur psychologique et le fait que l’on ne connaisse absolument rien de leur passé, de leur histoire humaine. Comme s’ils étaient nés aujourd’hui. Les conventions à la mode veulent que deux soient homos, adeptes de la procréation médicalement assistée et des mères porteuses, et que tous, hommes comme femmes, aient un physique de dieux. A croire que l’auteur écrit pour des adolescents.

Les adultes peuvent y prendre plaisir et marcher dans l’histoire. Sauf que Gérard Muller affectionne le mot rare de sérendipité (découverte inattendue, comme Ceylan jadis par les navigateurs), tandis qu’il abuse nettement du mot globish « challenge » que n’importe quel dictionnaire papier ou traducteur en ligne est pourtant capable de mettre en français correct :  « défi », « émulation ». De même, l’usage trop fréquent du terme « global warning » laisse dubitatif sur la culture véhiculée par ce genre de littérature, trop colonisée par l’esprit Yankee. D’autant que lesdits Yankees du président macho n’en ont manifestement rien à foutre du climat et de l’alerte générale !

Au total, une performance heureuse de thriller scientifique avec une hypothèse audacieuse sur l’origine de la matière noire, mais une certaine indigence dans la psychologie des personnages et le vocabulaire de la narration. C’en est presque dommage tant le plaisir à le lire reste grand. Si vous avez 15 ans, prenez-le tant qu’il en est encore temps – ensuite, vous serez plus exigeant.

Gérard Muller, Le soleil noir de Tenerife, éditions Lazare et Capucine 2019, 165 pages, €15.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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