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Retour à Mindelo

Ce matin, le réveil a lieu avec l’aube. Une longue route nous attend, la traversée de l’île du nord au sud en Toyota. Je note la lumière nacrée du ciel où se découpent les palmes ébouriffées des deux arbres qui surplombent la cour.

Le minibus emprunte la route de Corda, creusée à sueur d’hommes dans le ventre de la montagne. Pavée à l’origine, les pluies de chaque octobre l’ont ravinée par endroit. La route monte, interminablement. On pense atteindre le col bientôt quand l’on s’aperçoit être déjà sur l’autre versant. En altitude, la brume épaisse d’en bas se dissipe et le ciel apparaît tout bleu. Sur le versant sud la terre est aride et quelques vagues biquettes broutent les seuls arbres plantés en bord de route. Nous croisons des gamins dépenaillés, certains torse et pieds nus, d’autres en uniformes d’école, des fillettes nattées portent des bacs remplis sur la tête.

Nous retrouvons Porto Novo et ses quartiers neufs de béton brut. Le chauffeur est fier de nous montrer un cube en nous déclarant : « c’est ma maison. » Souk de l’embarquement sur le vieux rafiot qui fait l’aller et retour Mindelo-Porto Novo. Paquets, bagages et légumes voyagent en vrac sur le pont avant. On embarque même un taureau, sanglé par le ventre, avec la grue de charge ! Sur le bateau, il est pour nous incongru de voir ici de petits blancs en jeans longs, chemises fermées et chaussures. Ils sont trop pâles, trop habillés, trop réservés, presque fades en regard des gamins capverdiens. Mindelo : nous débarquons. Le rocher isolé avec son phare désert avait déjà fait changer la houle. Nous retrouvons l’hôtel, le même qu’à l’arrivée, et reprenons les mêmes chambres. Après un repas de thon grillé et de frites, de fromage caoutchouteux à la papaye confite, le tout arrosé d’une bière, nous voici libres de visiter à nouveau la ville.

Quelques-uns vont à la plage dans le prolongement du port. L’eau est bleu turquoise, propre, assez profonde pour y nager, protégée des courants, et la plage est de beau sable doré. Enfants et adolescents du coin viennent y jouer et parfois s’y baigner. Un petit Ernani de 8 ou 9 ans, tout seul, vient s’installer auprès de nous. Il s’ennuie et cherche la compagnie comme un jeune animal. Il nous observe et nous sourit mais reste à l’écart faute de langue commune. Toute la communication humaine passe par le sourire, les gestes. Le gamin est caramel, fluet, frisé, laineux, il a de longues jambes et de grands cils. Nous nageons, nous reposons, lui sourions. Il va s’éclabousser, toujours seul, et retombe dans le sable où il se roule. Les grains dorés s’accrochent à sa peau comme un décor de sucre. Il agitera longtemps la main en au revoir lorsque nous quitterons la plage.

Maria avait lu dans le guide à broutards qu’outre les restaurants à homards – très chers – on pouvait aussi visiter le « musée » d’artisanat local. Nous le tentons. Il est sans grand intérêt : tapisseries, batiks, poupées, peintures, tout cela est d’inspiration planétaire avec quelques prétentions « modernes ». Nous rencontrons Joana Pinto en pleine action. Elle est peintre capverdienne et fixe sur la toile des scènes locales en géométries colorées. On distingue des pêcheurs, des femmes, du carnaval et du grog. Ce sont des allégories lumineuses, intéressantes, mais auquel leur entassement nuit probablement. Elles mériteraient d’être vues isolément. Les sculptures métalliques ou en bandes plâtrées sur armatures, qui peuplent la cour, font « travaux manuels ».

Le marché central s’ouvre dans le centre ville. Les étals regorgent de légumes et d’épices, et à l’étage de musique enregistrée. Des CD d’Herminia, Evora, Llobo, Bana, nous sont proposés. On peut les écouter pour s’en faire une idée et toute la boutique en profite. Une affiche de métis bodybuildé au petit nez refait à la Michael Jackson attire mon regard : je viens de croiser le chanteur dans la rue avant d’entrer !

Aujourd’hui vendredi, beaucoup de gamins et gamines essaient leurs costumes pour dimanche. Les filles ont un maquillage de star, les garçons se sont dessiné une grosse barbe noire et des moustaches. Elles se sont affublées de tutus ; ils portent des capes de Zorro. Certains sont en chat, d’autres portent un masque. C’est à la fantaisie de chacun, réalisation de fantasmes, rêves de féminité ou de virilité, idéal mimé pour un soir, fragile starlette ou macho musclé.

Nous prenons en groupe l’apéritif sur la terrasse, au vent qui souffle mais ne dissipe pas la brume. Nous allons ensuite au restaurant « Copa Cabana » près de l’Alliance Française, comme au premier jour. C’est l’un des seuls, selon Xavier qui a bourlingué de longs mois dans les îles, qui serve une cuisine correcte à Mindelo pour pas trop cher, et où nous pouvons nous installer à quinze. Nous payons 500 escudos le plat. Le plat de calmar au safran, avec pommes de terre et riz, n’était pas mauvais, mais le vin rouge portugais que Xavier s’obstine à nous recommander était toujours aussi mal conservé et râpeux, avec un arrière-goût de banane trop mûre.

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Vers San Antao

Tôt réveil pour un petit-déjeuner identique à celui d’hier. Nous devons attraper le bateau de huit heures pour l’île en face, plus sauvage, où nous allons randonner : San Antao. De loin elle paraît sèche et découpée. Le bateau est un vieux caboteur à mât de charge sur l’avant, reconverti en promène-couillons. Il a été rebaptisé Mar Azul (mer bleue) et son unique cheminée vomit une fumée noire à l’odeur de diesel lorsqu’il pousse les feux pour la manœuvre. Touristes et indigènes s’entassent sur les deux ponts dans un mélange très démocratique, en tout cas post-colonial. Des familles entières passent d’une île à l’autre comme on prend le métro, encombrées de mioches et de ballots. La houle atlantique fait vomir plus d’un petit, ce qui est étonnant pour un peuple de marins.

Le débarquement est anarchique. Se croisent les interpellations des uns et des autres, ceux à terre et ceux qui vont débarquer, ceux qui attendent et ceux qui arrivent, ceux qui doivent embarquer plus tard et l’équipage, et ainsi de suite. Les touristes sont les plus discrets, habitués à raser les murs et à chuchoter par leur société dépourvue de soleil et de joie de vivre. Caisses et ballots passent de mains en têtes, car femmes et gosses portent souvent les charges sur le sommet du crâne. Nos bagages sont entassés sur un taxi collectif.

Nous avons le temps de visiter Porto Novo, ce « grand port de débarquement » au sud de l’île, réduit à une jetée de pierres et à deux lignes de maisons le long de la route qui longe la plage rocheuse. Le marché local, un peu plus loin, offre de rares légumes ; des barques à rames ramènent quelques poissons, vite ouverts en deux et mis à sécher au soleil faute de consommateurs immédiats. Âmes en peine, nous errons dans ce délabrement presque caraïbe, la joie en plus. Car les Capverdiens nous apparaissent joyeux de nature ; ils n’ont pas le ressentiment d’anciens esclaves que l’on peut rencontrer dans nombres d’îles caraïbes.

S’offre à nos yeux le spectacle des gens, je ne m’en lasse jamais. Les petites filles portent des nattes pincées avec des bibelots de plastique coloré, des robes courtes qui leur laissent à nu cou, jambes et bras. Elles marchent pour la plupart en tongs. Les garçons vont pieds nus, en short usé et tee-shirt largement échancré au col par les grands frères ou les bagarres. Tous les enfants ont les yeux brillants et la frimousse pleine. Ils paraissent débrouillards, habitués à vivre en famille et en bande. Hors la pêche (archaïque), le tourisme (limité) et l’émigration (espérée mais contingentée), que vont-ils devenir ? A 35 ou 40 ans, déjà vieux, des hommes nous parlent en français. Ils ont travaillé en Europe et vivent de peu une fois revenus au pays. Mais ils gardent la fierté d’avoir connu un autre horizon et d’autres gens, ce vaste monde que les anciens n’avaient jamais vu pour la plupart. Cette volonté de vivre sans rien refuser de la vie est une vertu que j’honore.

Nous voici sur la terrasse face à la mer du Residencial Bar Restaurante Antilhas. Il y a une atmosphère particulière des îles à laquelle je suis sensible. Je l’ai trouvée en Bretagne, en Grèce, aux Caraïbes, sur les îles atlantiques et je la qualifierai « d’aérée ». Le vent participe de ce sentiment, bien sûr, par son omniprésence, mais aussi la lumière, l’espace, le goût de l’air sur la langue, son parfum dans les narines. Il est ici un peu salé, chargé d’humidité ; il est ailleurs chargé d’odeur de terre et d’herbe ou de plantes aromatiques.

L’étendue, sous nos yeux, éclaircit l’esprit, apaise l’âme, comble le regard de son immensité. Plus de limites pour le souffle. Dans les îles, on ne s’intéresse plus aux mêmes choses qu’en ville, au trop proche, au détail. L’esprit s’ouvre comme l’œil, la poitrine et la narine. Tout s’enfle, par mimétisme, le regard, les poumons et le goût de vivre. L’océan infini, toujours changeant, rend l’appétit de tout tenter ; le ciel éthéré, de son soleil impitoyable, donne envie de tout connaître. L’air, l’espace, la lumière, rendent lucide, inspiré, heureux. Lorsque l’œil, alors, accroche le proche, les êtres ou les plantes de l’île, il garde un peu de cet espace en lui, un peu de cette lumière, de cette façon pénétrante de voir, et le goût d’embrasser. Ambiguïté de ce mot « embrasser » qui va du plus proche au plus lointain.

Après avoir dévoré pain, riz et poisson, nous nous entassons dans un minibus rouge Toyota qui nous conduit à l’orée de la piste randonneuse. Nous traversons en voiture un paysage étrange, presque lunaire, halluciné malgré le soleil vif et le bleu amical du ciel. S’étendent des montagnes à la mer des champs de lave solidifiée, sombres et tourmentés, sans un brin d’herbe ni un tronc d’arbre. Un cimetière s’élève d’ailleurs à un endroit, isolé mais parfaitement à sa place. Parfois, un ru à sec a labouré le sol comme si les pluies si rares étaient d’une violence inouïe. De minuscules ponts enjambent ces ribeiras, bâtis, comme tout ici, avec une minutie de fourmis.

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