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Top secret ! d’Abraham et frères Zucker

Avant la chute du Mur puis celle de l’URSS, les Soviétiques étaient déjà considérés comme des sortes de nazis avec répression des opinions (dissidentes), unanimisme de façade (élections à 99%), camps de travail (qui rend libre), surveillance généralisée et délation. Les auteurs d’Y a-t-il un pilote dans l’avion s’en donnent à cœur joie pour ridiculiser ces fossiles de l’Histoire qui sévissent en RDA. Ils n’imaginent pas moins qu’un complot militaire pour attaquer les forces de l’OTAN censées traverser le détroit de Gibraltar un samedi à 8 h du matin. Ils ont emprisonné pour ce faire un savant pour lui faire réaliser dans les temps une mine magnétique si puissante qu’elle attire les sous-marins. Toujours le gigantisme foutraque d’une armée à la soviétique, férue de technologie délirante mais incapable de contrôler ses hommes de troupe. On le voit avec Poutine et son fiasco ukrainien.

Le miroir entre nazis et soviétiques n’est pas nouveau, je ne l’ai pas inventé en évoquant Poutine. Il existait déjà à la fin des années 1930 sous la plume d’intellectuels russes, puis en 1945 sous celle du journaliste de guerre Vassili Grossman (Vie et destin). Il se ravive aujourd’hui avec le despote asiatique Poutine, convaincu sincèrement du bien-fondé de faire le bonheur du peuple malgré lui et de conforter l’État avant les individus. Ce film américain des années Mitterrand se moque de ces prétentions totalitaires en mettant en scène des résistants, en cheville avec les Occidentaux, qui veulent délivrer le professeur et empêcher la guerre.

La propagande de l’Est n’est jamais en reste et veut récupérer les vedettes internationales pour servir son image. Rien de nouveau sous le soleil rouge, du festival de la jeunesse de Khrouchtchev aux jeux olympiques de Sotchi de Poutine, les Soviétiques imitent les Nazis des JO de Berlin 1936. La République démocratique allemande invite donc officiellement Nick Rivers, un jeune rocker américain, à venir se produire dans un festival international de musique. Les vieux sbires du régime ne connaissent rien au rock’n roll mais la célébrité du chanteur leur suffit ; c’est un gage d’ouverture qui ne coûte rien et fait bien dans le monde.

Le gamin (Val Kilmer jeune, étonnamment frais avec une chevelure mi-longue qui lui va mieux que les cheveux courts) arrive donc en train à Berlin-est, flanqué de son impresario (Billy Mitchell). Il assiste à l’arrestation sur le quai d’un homme qui porte un paquet dans les bras et que les chiens policiers repèrent tout de suite. Molesté par les nervis en uniforme nazi, le double S des SS est remplacé par deux traits, le paquet tombe et les bergers allemands l’éventrent : il s’agit de biscuits pour chien ! L’homme est emmené pour avoir résisté et l’on entend un coup de feu. Les gags ne sont jamais loin des horreurs, ce qui fait le sel du film.

Le beau Nick se voit refuser l’entrée au restaurant de son hôtel de prestige car il porte une chemise au col largement ouvert ; on l’invite à aller se changer dans un salon annexe. Pendant ce temps Hillary, la fille du professeur en prison, membre de la résistance (Lucy Gutteridge), a rencontré un espion anglais (Omar Sharif) qu’une dénonciation a fait enfermer dans un taxi que le chauffeur a mené dans une casse où la voiture est happée et rétrécie en cube. L’espion n’est pas écrabouillé mais peut encore marcher, avec son uniforme d’acier autour de lui ; il confie les deux places d’opéra qui permettront à Hillary de prendre contact ; elles sont « dans la boite à gant ». Mais la jeune fille est traquée, la police politique à ses trousses ; elle se réfugie dans l’hôtel où Nick Rivers va dîner seul, son impresario ayant du travail. Voyant qu’elle va être refoulée, il l’invite. Le menu, traduit par elle, est révélateur des pénuries soviétiques, enjolivée dans un style de chef français : tripes de porc garnies d’intestin de cochon finement émincé entourant des roustons de porc flambés. Hilarant.

Le général comploteur, venu avec le chanteur classique d’opéra à ses côtés, demande au maître d’hôtel de le présenter pour qu’il donne aux convives un exemple de ses talents. Nick Rivers, en bon yankee égocentré, croit qu’il s’agit de lui et s’élance sur la scène avant que le vieux ne se soit seulement levé de sa chaise. Il distribue une partition aux musiciens et se lance dans un rock endiablé, qui ne tarde pas à enflammer la salle et l’orchestre, ravi. Le général, réactionnaire comme tous les Soviétiques, sort, outré. Il envoie la police armée mais Hillary entraîne Nick vers une sortie pour fuir. Lequel fouette tous les vélos qui hennissent comme des chevaux avant d’en enfourcher un.

Il est invité à l’opéra où l’on joue Casse-noisette. Dans une loge, il revoit Hillary, venue pour son contact, mais il s’avère que c’est un policier au masque en caoutchouc. Le voyant aux jumelles de théâtre sortir un pistolet, Nick se rue et entraîne Hillary. Le chanteur américain ne tarde pas à se retrouver dans les sous-sols de la prison pour avoir résisté aux policiers qui envahissaient sa chambre, Hillary fuyant par le balcon dans une parodie de James Bond. Son impresario vient lui rendre visite et lui apprendre que ni le gouvernement américain, ni l’ONU, ne peuvent rien pour lui, ce qui n’a guère changé depuis car l’URSS-Russie a droit de veto au Conseil de sécurité et des bombes nucléaires. Nick lui offre un godemiché électrique made in RDA, en vente dans la prison, pour sa femme. Il apprendra plus tard qu’il en a usé pour lui-même et est mort électrocuté – piètre qualité soviétique !

Le jeune homme va être fusillé si le sergent qu’il a laissé tomber du balcon en s’esquivant meurt – ce qui est le cas, le général attend la nouvelle au téléphone bien que les huit étages soient de fait mortels. Nick est d’abord torturé, battu aux poings par un demeuré puis fouetté « comme à l’école », ce qui semble le faire jouir. Mais sa chemise reste soigneusement repassée et sans une toile d’araignée quand il s’enfile dans les conduits d’aération pour s’évader. Il se retrouve avec le professeur Flammond (Michael Gough) dans son laboratoire-prison. En touchant l’engin de mort presque prêt, il déclenche l’attraction magnétique et… un sous-marin défonce les murs, attiré irrésistiblement. Les policiers casqués soviéto-nazis entrent et mettent en joue tout le monde, capitaine du sous-marin compris.

Nick est conduit au poteau d’exécution mais le politburo de RDA déclare qu’il ferait mauvais effet qu’il ne se produise pas sur scène avant, comme prévu. Il est donc évadé officiellement et reconduit à son hôtel pour sa prestation. Il joue et les groupies se pâment comme devant Elvis. Sa guitare, montée par une corde, redescend au final et Hillary, d’en haut des coulisses, lui fait signe de grimper. Il serait arrêté sinon et fusillé.

Dans une librairie scandinave, les deux jeunes trouvent un refuge pour la huit et Hillary raconte à Nick son histoire, naufragée enfant sur une île déserte avec un garçon de son âge, Ange (Christopher Villiers). Très Lagon bleu, elle a connu avec lui ses premiers émois et le sexe avant qu’un jour il disparaisse à la pêche, sans doute noyé. Sauvée par un bateau qui passait par là, elle a vu son père réprimé puis mis en prison afin qu’il réalise l’engin de guerre qu’il ne voulait pas construire. La science est abâtardie par le soviétisme pour ne servir que le mal et pas le bien de l’humanité. Rien de changé avec Poutine, notez-le. C’est le cas de tous les nationalistes, étroitement réduits à leur petit territoire et à leur population génétiquement pure. Nick avoue avoir été perdu à 6 ans par sa mère dans un grand magasin, élevé par une vendeuse, puis repéré pour avoir amélioré un jingle publicitaire pour le magasin quand il était jeune ado. Des gags d’histoires familiales merveilleuses. D’ailleurs, ils tombent amoureux.

Le libraire les fait évader dans une charrette de foin conduite par un cheval qui braie l’opéra, façon de décrire une Allemagne restée dans son jus du siècle précédent. La ferme où ils arrivent abrite la résistance, un commando d’une dizaine de déjantés portant tous des surnoms loufoques qui les décrivent : Déjà-vu, De quoi, Mousse au chocolat (car il est noir) et ainsi de suite. Leur chef, la Torche, n’est autre qu’Ange qu’Hillary croyait perdu et qui se révèle dans sa beauté des îles, en pagne, un collier de longues coquilles ornant sa musculature nue. Hillary est partagée entre son amour d’enfance et son amour adulte. Mais la ferme ne tarde pas à être attaquée, le général prévenu par pigeon voyageur casqué. Un traître est parmi eux !

Qu’importe, Nick Rivers apporte des informations sur le professeur et l’endroit où il se trouve. Il s’agit de le faire évader de la forteresse et c’est tout un plan qui est élaboré par Ange, les autres se contentant d’opiner et de suivre, habitués à obéir à la discipline nazie puis soviétique. Deux se déguisent en vache pour se mêler au troupeau rentré chaque soir par les soldats qui gardent la prison ; une vache avec des bottes, mais une vache est une vache et les sbires soviétiques n’ont pas à prendre l’initiative d’observer ni de penser. La vache va couper le courant dans une cabane située à l’écart des murs (ce qui est peu stratégique) tandis que les autres lancent des grappins pour prendre d’assaut les remparts et neutraliser les gardiens, parodie du film Les Douze salopards. Mais le traître sévit et sabote l’opération en faisant remettre le courant, ce qui déclenche l’alarme. La vache entraîne des allusions sexuelles très en vogue au début des années 1980, un veau vient téter les pis et suce Ange, qui est à l’arrière-train ; ensuite le taureau entreprend de le monter, ce qui occasionne du plaisir dans la douleur. Mais Ange à l’habitude, violé et séduit par tout l’équipage du bateau soviétique qui l’a recueilli en mer lorsqu’il était jeune et ingénu, vite convaincu par les caresses des bienfaits du régime (parodie des Cinq de Cambridge).

Le professeur évadé ne veut pas partir sans sa fille, or celle-ci est prise en otage dans la camion Mercedes qui devait les emporter par le traître qui la braque. Nick n’écoute que son courage et enfourche une moto tel un cheval fougueux pour rejouer une scène de La Grande évasion en sautant par-dessus les barbelés. Il rattrape le camion, délivre la belle, et les autres le rejoignent après avoir arrosé une Kubelwagen remplie de soldats mais fonctionne encore après avoir juste touché une Ford Pinto, ce qui la fait exploser – qualité germanique ! Ce modèle de Ford, pire des quatorze voitures de tous les temps, avait le réservoir d’essence très peu sûr à l’époque : une voiture modèle cercueil.

Le finale est grandiose dans le sirupeux style Magicien d’Oz de rigueur, le savant, sa fille et Nick partent en avion, un vieux Dakota de la Seconde guerre mondiale pour rallier l’Angleterre tandis que le commando de résistants reste pour résister. Mais l’OTAN est sauvée, leurs sous-marins pourront passer Gibraltar sans se faire attaquer.

Bien servi par un Val Kilmer épatant, bien qu’il ne change jamais ses doigts sur le manche de sa guitare lorsqu’il sort des arpèges, la suite de gags dans la lignée d’Y a-t-il un pilote dans l’avion 1 et 2 ne relâche jamais le rire. Un très bon moment.

DVD Top secret !, Jim Abraham, David et Jerry Zucker, 1984, avec Val Kilmer, Lucy Gutteridge, Billy J. Mitchell, Christopher Villiers, Michael Gough, Parmount Home Entertainment 2002, 1h30, €7,91 blu-ray 14,99

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