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Spotlight de Tom McCarthy

C’est un grand film en tension que l’on revoit en restant captivé comme la première fois tant il est bien monté. Il porte sur le journalisme d’investigation avant tout, mais aussi sur le système de l’église catholique, sur la communauté de Boston et sur le comportement bienséant de la bourgeoisie née dans la ville qui s’apparente à celui de la mafia. C’est dire la mise en abyme de l’histoire qui va au-delà du simple fait divers.

Comme indiqué en titre, « le film s’inspire de faits réels ». L’église catholique de Boston a couvert des pratiques pédocriminelles de la part de ses prêtres et le scandale a éclaté en 2002. Des journalistes d’investigation du Boston Globe, dans l’équipe spécialisée Spotlight, ont enquêté et publié ; ils ont reçu le prix Pulitzer.

Le tout début du millénaire voit la presse papier concurrencée par l’Internet ; les journaux se doivent alors de changer de modèle et de passer du « facile » au « difficile », soit de la description avec jugement moral (dans les « chroniques ») à l’enquête approfondie d’investigation avec des preuves. C’est plus long, coûte plus cher, mais réalise le vrai métier de journaliste qui est de chercher, de découvrir et de livrer des faits étayés. Marty Baron (Liev Schreiber), juif venu du New York Times et étranger à Boston, est engagé pour ça. Chacun croit qu’il va compresser les coûts, il veut surtout redonner l’envie de lire – ce qui n’est pas si courant (notamment dans la presse française).

Le lectorat décline et seule l’investigation permet de se distinguer. Cinq journalistes sont dédiés aux enquêtes dans une équipe nommée spotlight (projecteur). Ils commencent une affaire de corruption policière mais un concurrent révèle que l’avocat Mitch Garabedian (Stanley Tucci) défend plusieurs familles qui accusent les prêtres catholiques d’avoir « abusé » de leurs enfants. Baron voit là une affaire qu’il faut creuser.

L’enquête démarre par les archives et montre que le fléau remonte à loin, 1976 au minimum ; il a toujours été étouffé par les instances de l’Eglise et de la magistrature. Le cardinal Law (Len Cariou) était-il au courant ? Il a toujours éludé la question. Baron conseille de ne pas en faire une affaire de personnes mais celle de tout un système. Les journalistes sollicitent donc les témoignages des victimes, des avocats qui ont proposé les transactions à l’amiable avec clause de confidentialité pour étouffer le scandale, d’un prêtre psychologue qui soigne les prêtres tentés sexuellement par les enfants. Pour ce dernier, selon son expérience de plusieurs dizaines d’années, il y aurait la moitié des prêtres qui ne peuvent obéir au vœu de chasteté et environ 6% de pédocriminels, le plus souvent des immatures qui ont une sexualité prépubertaire. Sur Boston, cela ferait environ 90 prêtres !

Un avocat en a avoué 13 ; les archives évoquent 20 ; l’épluchage systématique et fastidieux des annuaires de mutations des prêtres du diocèse en soupçonne 87 ; les témoignages avérés en révèlent jusque-là 70 – les témoignages ultérieurs en donneront 249. Non seulement l’ampleur en a été sous-estimée mais l’Eglise savait et n’a rien fait, notamment la hiérarchie. Même un évêque auxiliaire qui a alerté le cardinal a vu sa lettre enterrée. C’est donc un ensemble de pratiques institutionnalisées qu’il faut dénoncer !

D’autant que Boston, ville bourgeoise et ancienne, se tient les coudes. Aucun citoyen de renom ne souhaite voir éclater un scandale qui ternirait l’image de son église, de son lycée, de sa ville. Le cardinal fait pression, les hauts magistrats étouffent les affaires, un juge classe des pièces confidentielles, les dossiers publics sont expurgés, les enquêteurs sont « amicalement » dissuadés de poursuivre. Seuls le rédacteur-en-chef Baron (qui est juif et non bostonien), l’avocat Garabedian (qui est arménien et d’origine modeste) ou le journaliste Michael Rezendes (Mark Ruffalo) qui est issu des quartiers pauvres et d’origine portugaise, ne se sentent pas liés par l’omerta des « gens biens », trop bien-pensants et imbus de leur classe sociale.

Car la plupart des abusés sont des enfants de milieux modestes à qui l’on impose le respect (le prêtre représente Dieu lui-même), que l’on peut soudoyer pour qu’ils se taisent (quelques milliers de dollars suffisent), et qui ne feront d’ailleurs jamais parler d’eux tant ils sont bas dans la société. La liste des abus va des attouchements à la fellation et au viol avec pénétration répétée et touche des enfants (des deux sexes mais surtout garçons pour éviter le risque de grossesse) de 6 à 12 ans. Même le gars gai et qui le sait depuis l’âge de 10 ans n’aurait pas souhaité être initié comme cela, comme il le déclare à la journaliste.

Les dénonciations des années 1980 et 1990 se sont égarées dans les archives et dans le sable de l’indifférence : autre temps, autres mœurs ; l’Eglise devait garder tout son prestige et les émois sexuels des jeunes garçons étaient dans l’esprit 68. D’ailleurs un prêtre abuseur se défend : « je n’ai jamais pris de plaisir en faisant cela » – donc je suis blanc comme neige aux yeux des Commandements. Mais qu’en est-il des enfants ? Les émois interdits, le péché de chair, les menaces de l’enfer à propos du sexe hors mariage font partie de l’idéologie chrétienne pour tenir le peuple des croyants. A l’âge impressionnable, les dégâts sont considérables et les âmes aisément perdues ; une fois adulte, la foi laisse place au doute, ou au passage vers d’autres sectes chrétiennes qui n’imposent pas le célibat aux clercs.

Les attentats du 11 septembre 2001 viennent perturber la dénonciation du scandale : le passé va-t-il se reproduire et la longue enquête être reléguée en pages intérieures locales ? Après les fêtes 2001-2002, la révélation fera plus grand bruit. Malgré l’impatience et les scrupules moraux de certains journalistes, attendre est de bonne politique : l’impact de l’information en sera plus grand.

Une fois publié, le Boston Globe se voit submergé d’appels de victimes qui veulent témoigner, ce qui fera l’objet de « 600 articles » comme le dit le panneau de fin, tandis que le cardinal Law qui savait, lettres à l’appui, démissionne et est muté à Rome dans une sinécure prestigieuse, la basilique Sainte-Marie Majeure – signe que l’Eglise protège ses membres comme tout parti politique ou toute mafia légale ou non, sans se soucier ni des lois ni de la morale qu’elle impose pourtant par la terreur de l’au-delà !

En prenant de la hauteur, c’est bien le journalisme comme quatrième pouvoir qui est encensé dans ce film. La religion, la justice, la police et la bourgeoisie mettent une chape de plomb sur les actes « inappropriés » – c’est à la presse de s’en saisir et de les dénoncer. Ce serait le parti communiste ou les partisans de Trump, ce serait la même chose. Bien que scandaleuse, l’Eglise catholique est ici un prétexte à la transparence entre la morale revendiquée et la morale pratiquée.

DVD Spotlight, Tom McCarthy, 2015, avec Mark Ruffalo, Michael Keaton, Rachel McAdams, Brian d’Arcy James, Liev Schreiber, John Slattery, Stanley Tucci, Billy Crudup, Len Cariou, Warner Bros 2016, 2h04, standard €6.80 blu-ray €10.29

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