Articles tagués : filles nubiles

Denise Mina, Résolution

Il y a quelque chose d’autobiographique dans ce thriller qui ne « thriller » pas beaucoup, n’ayant de « policier » qu’une accusation de meurtre et la menace de représailles sur personnes fragiles. Maureen est, comme son autrice, une fille paumée qui a quitté ses études avant d’entrer en dépression. Elle fait plusieurs petits boulots, dont le principal est la revente de cigarettes de contrebande sur le Paddy’s, le marché parallèle des bas quartiers de Glasgow. À la fin, comme Denise Mina, Maureen reprendra ses études, ayant accompli sa mission.

Celle-ci est avant tout de se dépatouiller de la domination masculine, puis de sortir les filles venues de Pologne de la prostitution. Vaste programme, comme dirait l’autre. Maureen a été soignée par Angus, un psychiatre « gentil », mais qui lui a suggéré qu’elle avait pu être violée dans son enfance par son père avant que lui-même tue par jalousie l’amant de Maureen, Douglas. Cela dans une crise de LSD – substance fournie par Maureen via son jeune frère Liam qui, souvent torse nu et souvent amoureux comme le dit avec délice l’autrice, a fini par se ranger des voitures et a repris des études.

Les fameuses études semblent l’alpha et l’oméga de ce milieu de jeunes égarés dans un monde trop dur pour eux, tous issus d’une famille dysfonctionnelle. Winnie, la mère de Maureen, Liam, Una et Marie, est une alcoolique notoire qui a divorcé de Michael, le père biologique des enfants, pour se mettre avec George. Maureen lui en veut de ne l’avoir pas protégée durant son enfance, bien que le soupçon de viol ait été probablement suggéré par le psy et non pas réalisé. Mais, au lycée, sa copine Pauline, qui a eu le même psy, a été réellement violée par son père et son frère, le second prenant à loisir des vidéos de la scène sodomite pour les revendre à des amateurs.

Le procès d’Angus le psy doit débuter incessamment, et Maureen redoute qu’il soit acquitté, les preuves de sa pleine conscience au moment du meurtre n’étant pas établies. Mais le sire est d’un pervers narcissique qui veut se distinguer de sa famille bigote et petite-bourgeoise austère et fermée, sans père, et il entreprend de déstabiliser la fragile Maureen en lui faisant envoyer sous enveloppe personnelle des photos mettant en scène de très jeunes filles et de très jeunes garçons nus et attachés, ainsi que la vidéo de Pauline pénétrée par l’anus à maintes reprises. Maureen se saoule mais ne faiblit pas et elle témoignera au procès. Angus sera acquitté, et il voudra se venger.

Mais il y a une fin et Maureen accomplira avec ses deux copines Leslie et Kilty son triple objectif, mettre hors d’état de nuire Michael, devenu malade et sénile, contrer Angus le psy pervers, et dénoncer un réseau de prostitution du fils d’une de ses connaissances du quartier, Ella la Flamme, mystérieusement décédée à l’hôpital d’une « crise cardiaque » après une « chute » chez elle, alors qu’elle venait de faire déposer plainte contre son fils par Maureen pour non-paiement des ménages qu’elle faisait à son bordel.

Ce roman policier est un roman de mœurs sur la jeunesse désemparée des années 2000 dans l’Ecosse provinciale de Glasgow, jadis centre commercial et industriel prospère, reconverti dans le culturel et la rénovation urbaine, ce qui a accentué les inégalités entre les beaux quartiers et les bas quartiers de l’East End que fréquente Maureen et ses copines. La trilogie traditionnelle anglaise des B (bite, bière et baston) se décline ici au féminin, mais il s’agit bien de la même chose. Le livre se lit bien malgré la profusion des personnages qui demande une certaine attention. Il est le troisième tome d’une série qui commence par Garnethill et Exil (sélection Marie-Claire), mais il peut se lire indépendamment.

Denise Mina, Résolution (Resolution), 2001, J’ai lu 2007, 512 pages, €10.50

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , ,

Tran-Nhut, Le temple de la grue écarlate

Roman insolite, policier historique, décentré en Asie, voici un petit gros livre qui réjouira le lecteur féru d’imaginaire. Nous sommes au Vietnam au XVIIème siècle. C’est un peu la Chine avec ses mandarins impériaux recrutés sur concours et ses lettrés qui étudient encore et toujours les œuvres classiques pour en passer et aspirer à servir. Le mandarin Tân est un vigoureux jeune homme issu de la campagne, d’une famille de paysans, et qui s’est élevé par ses mérites au rang de fonctionnaire d’empire. Gouverneur d’une province, il a le pas sur le mandarin militaire Quôc, sur le maire Lê, sur le maître d’école Ba et – bien entendu – sur l’entrepreneur Ngô. Nous sommes dans le système confucéen où les lettres dominent le politique, les deux dominant le militaire et l’économique. Un système curieusement français…

Ce pourquoi le lecteur ne sera pas dépaysé, malgré l’exotisme des paysages, des mœurs et des nourritures. Les habitants de la province n’ont qu’une obsession : s’élever dans la hiérarchie sociale en mariant leurs filles nubiles à ce prestigieux fonctionnaire envoyé de l’empereur. L’empereur lui-même n’a qu’une obsession : assurer la descendance de chaque aîné mâle des familles, donc pousser le mandarin Tân à se marier. Ce ne sont donc que défilé de filles de 15 ans devant les yeux du jeune homme. Sauf que le fonctionnariat a son éthique : on ne se marie pas dans la province où l’on gouverne. Pour éviter népotisme, clientélisme et corruption… Le défilé ne fait donc que préparer le futur, lorsque le mandarin sera nommé dans une autre province.

Mais ces jeux de la comédie humaine seraient bien anodins s’il ne venait se greffer sur eux de vrais crimes sanglants. Des cadavres d’enfants difformes sont retrouvés poignardés, la tête écrasée, sur les chemins alentour. Un témoin aperçoit parfois la forme gigantesque d’un être noir qui s’active sur eux comme un démon. Le maire Lê est bien incapable de raisonner et de relier deux fils, le maître d’école Ba ne sait rien de ces enfants nés handicapés qu’il ne veut surtout pas éduquer, le militaire Quôc n’a qu’une idée : chasser les moines experts en arts martiaux formés en Chine qui menacent son pouvoir de contrainte. Quant à l’entrepreneur Ngô, riche et socialement arrivé, il veut cacher ses liens troubles avec le temple de la Grue écarlate, son passé de commerce et ces êtres contrefaits appelés les Rejets de l’Arbre nain. D’où viennent d’ailleurs ces enfants, tous âgés d’environ dix ans, et que les moines élèvent en les faisant travailler chez les artisans du village ?

Pas facile au mandarin Tân, aidé de son ami le lettré Dinh, de débrouiller les fils de ces mystères enchevêtrés d’intrigues ! D’autant qu’un beau matin on tente de l’empoisonner via une veste de soie doublée que le tailleur Tau vient de confectionner dans le coupon cadeau que vient d’envoyer l’empereur ! Mais n’est-ce pas l’intendant Hoang qui a conseillé à son maître de la porter à même la peau en cette saison ? Les personnages truculents ne manquent pas, comme Madame Jade, prestigieuse beauté solitaire dans son auberge des monts sauvages où coule une source de jouvence. Mais pourquoi joue-t-elle avec une boule à grelot remplie de mercure ? Les filles de joie portent habituellement dans le vagin ce godemiché qui tinte joliment à chacun de leurs pas.

Le maître d’école Ba lui-même prend un plaisir sadique à cingler le torse nu de ses élèves adolescents, attachés à un arbre, avant de leur enduire la peau d’eau sucrée au pinceau afin que les fourmis de feu viennent torturer lentement tout élève rétif. Il choisit ses victimes parmi les meilleurs garçons, ceux qui ont des facilités pour apprendre et dont il croit que c’est paresse qu’ils ne retiennent pas. Nous rencontrons aussi le bonze Méditation lascive – son vrai nom secret alors qu’il se fait appeler officiellement Pensée vertueuse.

C’est dire que ce roman écrit allègrement ne manque pas d’humour ! Le plaisir de l’intrigue, subtile et bien menée, en est multiplié. Les auteurs, qui sont deux sœurs scientifiques d’origine vietnamienne écrivant en français, s’amusent en inventant des noms imagés des prises d’arts martiaux. « Le mouvement de la Danseuse Lubrique permit à Minh d’atteindre le menton de son ennemi. Celui-ci recula avec un masque de douleur mais répliqua avec le geste de la Banane qui Roule » p.243. Connaissez-vous aussi la technique de la Galette sur la Flamme, celle de la Grenouille ailée ou celle de la Salade qu’on Essore ?

Le lecteur savourera ces moments de plaisir que les auteurs ont manifestement jubilé à écrire. Sagesse sera sollicitée, petites cellules grises autant que morale confucéenne ; justice sera rendue, mais pas sans rebondissement inattendu. Un beau roman à goûter dans les moments de détente.

Tran-Nhut, Le temple de la grue écarlate – une enquête du mandarin Tân, 1999, Picquier poche 2002, 376 pages, €9.21 

Catégories : Livres, Romans policiers | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,