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Franz-Olivier Giesbert, Mort d’un berger

Le journaliste sarcastique, auteur de célèbres biographies de Mitterrand et Chirac – et plus récemment d’une Histoire intime de la Ve République -, écrit aussi des romans. Dans celui-ci, un brin policier, campagnard, dépouillé, il garde ses critiques acerbes envers les fonctionnaires, les Parisiens, les journalistes, le maire, le vétérinaire, les amis des bêtes, les pro-loups. Il décrit un milieu, celui de Mercantour, et ses derniers bergers en phase avec la nature. Dont le loup est un prédateur redoutable, tuant pas seulement pour se nourrir mais aussi par plaisir, comme un humain psychopathe, enivré de violence et de sang.

Un jeune berger est mort égorgé, le fils du vieux Marcel, plus de 80 ans. Est-ce le chien du voisin, ce Titus horrifique qui montre les crocs à tous, comme son maître Fuchs ex-fonctionnaire dominateur et machiste, procédurier, un brin facho, « toujours en pétard contre le monde entier » ? Est-ce un couteau d’homme qui a tranché la gorge ? Est-ce le loup ? Mais non répondent les écolos en chambre, venus de Paris tout bronzés et affirmant haut et fort que le loup n’attaque jamais les humains. Et d’ailleurs, renchérit le maire qui craint pour le tourisme dans sa commune et pour son entreprise de produits provençaux du terroir, on n’a jamais vu un loup ici ; ils sont réintroduits, certes, mais restent loin des habitations.

Sauf que les faits sont là. Marcel embauche l’aide de son fils, un Arabe de 17 ans qui est muet, sixième enfant du couple prolifique d’une espèce réintroduite aussi récemment. « Visage d’angelot, cheveux bouclés », le garçon fin et vif est appelé Mohammed VI pour son rang dans la fratrie. Il va conduire les moutons au pâturage, garder un œil sur eux, veiller au loup – si loup il y a. Et il y a : des moutons sont égorgés régulièrement, pas pour les manger mais sans raison.

Et puis le voisin irascible, Fuchs, est retrouvé mort de deux balles dans le buffet dans sa maison en cendres, brûlée pendant la nuit. Son chien méchant est introuvable. Qui l’a fait ? Ce ne sont pas les potentiels coupables qui manquent, à commencer par le vieux Marcel, son berger Mohammed VI, les copains racailles du fils égorgé sous la houlette du délinquant Rafic qui ont juré de le venger. Mais Rafic a un alibi, on ne trouve pas de fusil correspondant aux balles chez Marcel, et Mohammed VI ets resté affairé cette nuit-là à besogner avec fièvre la Juliette venue de Paris se mettre au vert après des déboires à la télévision.

Toute l’histoire va consister à débusquer le loup, le Mal réintroduit dans la nature par la culpabilité occidentale écologiste, tandis que les agneaux naissent innocents, que les fleurs chantent leur copulation avec les abeilles et que le vent caresse et érotise toutes les peaux et membranes. FOG fait la fête à la nature, midi l’été mélangeant le Soleil et la Terre pour former la même soupe lumineuse en une fin du monde qui ressemble à l’éternité. « Un plein bon Dieu de bonheur coulait sur le monde, qui se rengorgeait de plaisir. On se trémoussait, on palpitait, on se tortillait, on frémissait. Enfin, on prenait du bon temps sous l’eau du ciel » p.58.

Marcel aura le loup et pourra mourir heureux. Mohammed aura Juliette et pourra copuler heureux. Le maire aura son musée des bergers, les moutons pourront paître en paix et les produits régionaux de son entreprise se vendre aux touristes gogos. Le lecteur saura qui a égorgé le fils, sacrifice à la nature tel Isaac au Dieu vengeur, et qui aura buté et grillé Fuchs, dont le passé violeur et violent conjugal remontera à la surface dans la bouche de sa fille.

Simple, violent, lyrique, sarcastique, heureux. Un bon roman dans le souvenir de Giono.

Franz-Olivier Giesbert, Mort d’un berger, 2002, Folio 2003, 215 pages, €8,30

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Franz-Olivier Giesbert, L’Américain

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L’Américain c’est lui-même et c’est aussi son père. FOG, aux initiales de brouillard, est quelqu’un qui ne s’est jamais aimé et ce livre le montre à l’envi. Sa première phrase est « J’ai passé ma vie à essayer de me faire pardonner » – et la dernière « je me rappelle avoir prié longtemps sur le pas de la porte ». Franz-Olivier, au prénom d’origines mêlées allemande (lointainement juive), américaine et française, dit son écartèlement de fils aîné d’une fratrie cinq dont il ne parle quasiment pas. Car, enfant solitaire, son père battait sa mère – et lui à l’occasion.

Comme Pascal Bruckner, mais avec plus d’émotivité et moins de style, Giesbert raconte son duel entre son père et lui. Il déclare ne jamais lui adresser la parole mais ne cesse de relater des conversations ; il veut le tuer enfant, mais c’est pour l’admirer et se mesurer à lui à chaque instant. Ainsi va-t-il à 15 ans rencontrer Giacometti à Paris pour apprendre à peindre – pour faire mieux que son père peintre. Ainsi feint-il d’admirer l’Amérique, que son père déteste. Ainsi s’improvisera-t-il tueur des lapins, canards et poules parce que son père a en horreur d’ôter la vie (il les cuisine après en cocotte avec du chou et des petits oignons). Ainsi commercialisera-t-il les poulets et lapins qu’il élève, parce que son père méprise les marchands. Ainsi sera-t-il journaliste sans avoir fait d’études, engagé pigiste à 18 ans aux pages littéraires de Paris-Normandie, parce que son père dénigrait les pisseurs de copie. Et l’on pourrait multiplier les exemples…

Il n’a jamais pardonné à son père – c’est bien la peine de se dire chrétien ! Il ne se pardonne donc pas à lui-même, ce qui l’enfonce dans le masochisme et le ressentiment. Il avoue un viol vers dix ou onze ans : un beau jeune soldat ricain blond et bronzé, la chemise ouverte jusqu’au troisième bouton (tous les poncifs homos des années 2000 ?), lui a montré sa queue et demandé de le sucer avant d’user de lui. Dit-il. C’est aujourd’hui tendance de déclarer avoir été violé et, s’il déclare s’être évanoui, il ne manque pas de reconstruire soigneusement des souvenirs en tout un chapitre. Pour conclure par une pirouette : « Je dois à la vérité de dire que je n’étais pas si malheureux d’avoir été violé. Je devins du jour au lendemain un personnage important (…) Je sus aussi, pour la première fois de ma vie, que mon père m’aimait… » p.42.

Il ne manquera pas de se branler frénétiquement ensuite, jusqu’à devenir cave, ce qui a suscité un conseil attentif de son père. Qu’il n’a pas suivi, se vantant même d’avoir appris à se masturber avant même de savoir marcher, en levrette dans son berceau ! Provoquant, ce livre est un repentir, une confession en vue d’une absolution publique. Car FOG est catholique, ses deux grands amours à 14 ans étaient le pape Jean XXIII et le communiste Waldeck-Rochet. Sa mère croit, prof de philo plutôt social-démocrate adepte de Kant avant de virer socialiste ; son père est anticlérical hégélien et volontiers anarchiste de droite, « trotsko-nixonien » dit drôlement le fils. Lui se voue à Spinoza.

Si l’ouvrage se lit bien, l’autodénigrement constant met mal à l’aise, comme si avouer des turpitudes permettait de se rendre intéressant ou, pire, de s’absoudre de ce que l’on est devenu. Alors que le père a débarqué comme soldat à Omaha Beach le 6 juin 1944 et que la guerre l’a brisé. Le lecteur qui connait les biographies et anecdotes sur les autres faites par l’auteur (Mitterrand, Chirac, Sarkozy) ne manquera pas de voir, dans le cynisme des questions, la façon de creuser les secrets et l’ironie grinçante des jugements, combien Franz-Olivier Giesbert pâtit de son enfance. Malgré la Normandie et sa terre sensuelle au printemps, malgré les bêtes et leur attachement.

Meurtri, l’être humain accouche-t-il d’un écrivain pour autant ? Selon ce livre, pas vraiment.

Franz-Olivier Giesbert, L’Américain, 2004, Folio2006, 183 pages, €7.20

e-book format Kindle, €6.99

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