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Les Monstres de Dino Risi

Une série de sketches sur les malversations, les escroqueries, les malveillances des hommes. En tout 19 qui font dans la caricature, non sans humour noir. Le cynisme en noir et blanc se porte bien.

Le père dit à son gamin de frapper le premier plutôt que de défendre ou de se laisser faire ; de ne croire personne ; de profiter de toutes les occasions pour resquiller, arnaquer, voler. Ainsi mange-t-il cinq gâteaux à la pâtisserie et n’en déclare que deux ; ou se fait passer pour un invalide de guerre amputé d’une main et boiteux, pour ne pas faire la queue comme tout le monde. Le fils tuera son père lorsqu’il sera adulte.

Un pauvre de famille nombreuse se lamente de ne pouvoir faire soigner son enfant, payer le docteur, les médicaments ; puis il file à mobylette non pas pour trouver du travail mais pour… assister à un match de foot. Deux orphelins mendient à la sortie d’une église, le plus jeune, un adolescent, joue de la guitare et chante. Il est aveugle. Un médecin spécialiste passe et propose de le soigner gratuitement. Mais le filon est trop juteux et l’aîné s‘empresse de filer avec son aveugle pour garder sa poule aux œufs d’or. Tant pis pour le gamin.

Un président de chambre au Parlement vit à Rome dans un monastère lorsqu’il doit siéger. Loin de sa femme et de ses chiards, il se fait servir par de jeunes moines aux petits soins, soigneusement dressés. Un collègue vient l’enjoindre de faire cesser une enquête d’un fonctionnaire intègre qui a constaté une survalorisation des terrains vendus à l’État pour construire des HLM. Il élude. Lorsque son secrétaire le prévient qu’un général veut le voir sur le même sujet, il le reçoit dans son bureau mais se fait aussitôt appeler pour affaire urgente ; d’obligations en obligations, il sera absent toute la journée et lorsqu’il reviendra tard le soir, le général est encore là. Mais il est trop tard pour invalider le contrat. Pas trop tard au contraire pour que le vieux militaire ait un malaise et parte à l’hôpital. Le parlementaire ne voulait pas prendre partie ; sa vertu n’était que des mots, laisser faire sa règle. Tant pis pour les hommes. Il met le vieux à la retraite d’office.

Même chose pour ce couple de spectateurs, l’homme et la femme, qui regardent un film sur la guerre au cinéma. Lorsque des nazis abattent froidement des civils italiens, dont un enfant qui pleure, l’homme se penche vers son épouse pour lui dire : «  tu vois ce petit mur surmonté de tuiles, ce serait bien pour notre maison, tu ne trouves pas ? » L’indifférence à ce qui n’est pas soi, l’oubli, le monde qui commence ici et maintenant.

Tout fier de s’être enfin payé sa Fiat 500 neuve, un père de famille téléphone à sa femme qu’ils l’attendent avec les enfants pour voir la merveille. Il mettra bien une heure. C’est qu’entre temps, il va parader sur les boulevards avec une jeune pute à ses côtés, qu’il paye cher juste pour la frime. Un autre, marié, rompt avec sa maîtresse, une jeune femme amoureuse de lui qui ne réclame rien. Il se fait victime, dit que c’est pour elle, que lui souffre, avec des trémolos dans la voix. Reparti, il arrive dans un appartement où l’attend une compagne. Mais elle n’est pas sa femme, à qui il téléphone qu’il a dû rester tard au bureau ; il s’agit d’une autre maîtresse…

Égoïste, menteur, queutard, vaniteux : tel est le mâle italien des années 60 vu par Dino Risi. Une vision juste qui ne va pas sans ironie. Tel cet homme qui se fait maquiller, coiffer, manucurer avec soin – alors qu’il va lire à la télé un texte de saint François, le pauvre d’Assise, empli de vanité mais avec des fleurs dans la voix. Tels aussi ces deux plagistes caressant la même jeune femme entre eux sur le sable. Elle se lève, va se baigner, les mains des hommes couchés poursuivent leurs caressent – puis se rejoignent. Au fond, ce n’est pas la femme qui leur importe, mais leur désir. Dans « l’opium du peuple », qui concerne la télé, une jeune femme invite ses amants chez elle pour baiser, alors que son mari est présent. Mais il est tellement absorbé par le programme télé qu’il ne voit rien, n’entend rien, drogué par l’écran, entièrement plongé dans le virtuel. Le jeune amant peut aller derrière lui pieds nus et torse nu chercher un whisky – avec glaçons qui tintent – sans que le mari ne tressaille. Tout au plus dit-il « chut ! » lorsqu’un glaçon tombe à terre. Le désir encore, que cherche à susciter « la muse », une grand snob des lettres qui assure un prix à son poulain, qu’elle voudrait bien baiser mais qui s’avère pédé, un écrivaillon qui écrit comme il cause avec force fautes de grammaire et d’orthographe (pourtant l’italien est simple à écrire !). Au fond, le désir est partout, ni homme ni femme n’en ont le monopole.

Mais le désir de gagner de l’argent est plus fort chez les hommes. Un quadrille en grosse Chrysler noire enlève une petite vieille qui sort de l’église : ils ont besoin d’une vieille pour la jeter dans la piscine pour une scène du film qu’ils tournent ; la petite vieille devra refaire le plan plusieurs fois. Un soldat vient à Rome pour enterrer sa sœur, assassinée. Il a découvert son journal, où elle notait tous ses rendez-vous et « des numéros de téléphone » : 35 000, 25 000… Il se présente dans un grand journal pour dire sa découverte et qu’ils en fassent ce qu’il faut… mais pas sans contrepartie en lires. Sa sœur, il s’en fout, elle était pute et il ne s’en aperçoit pas, elle est morte ; son journal vaut de l’or, il le veut. Désir égoïste encore pour cet ancien boxeur de revenir sur la scène, via un ancien collègue champion qui se la coule douce désormais dans une guinguette de plage avec sa femme. Il l’incite à remonter sur le ring pour un tournoi afin de remporter un gros lot. S’il ne ne couche pas à la première reprise, il permettra à son ami de gagner de l’argent. Le vieux sera tout bonnement démoli par un jeune teigneux et terminera en chaise roulante, mais l’argent est gagné.

Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi se déchaînent, jouant tous les rôles, parfois même féminins. Un égoïsme féroce qui explique combien le vote citoyen mobilise peu en Italie aujourd’hui. Individualisme d’abord, la débrouille, la resquille. Car l’homme qui veut témoigner qu’il a bien vu l’accusé dans un train se voit démonter par l’avocat : il énumère tous ses petits arrangements avec la coiffeuse, la différence de prix entre la classe de première et celle de seconde, et ainsi de suite. Le témoin, citoyen modèle, en est presque accusé de mentir à sa femme, à son employeur, de voler. Quant au père qui initiait son fils à truander, il se lamentait sur les parlementaires véreux et corrompus… Chaque pays a les dirigeants qu’il mérite !

DVD Les Monstres (I Mostri), Dino Risi, 1963, avec Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Michèle Mercier, Marino Masé, Lando Buzzanca, Marisa Merlini, Opening 2009, 1h27, €9,71 blu-ray €14,99

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Françoise Mallet-Joris, Le rempart des béguines

C’est une relation scandaleuse que décrit une Françoise Sagan belge de 19 ans : scandaleuse pour l’époque d’après-guerre, pour son milieu catholique et pour sa position sociale de fille de ministre. D’où son succès, resucé après 68 par un film de Guy Casaril tiré du roman en 1972. Ni le livre, ni la pellicule (même pas en DVD), ne sont restés dans les mémoires. Le lesbianisme, très tendance à la suite de Simone de Beauvoir, ne suscite aujourd’hui qu’un dédain amusé, un batifolage privé régressif.

L’autrice a connu le mariage par trois fois et des enfants par quatre. Le Rempart des béguines, qui se passe en Belgique au bord d’un lac, dans la bonne ville bourgeoise imaginaire de Gers, romance son initiation par une femme plus âgée. Hélène a 15 ans, l’esprit borné, les passions éteintes et les pulsions molasses. Orpheline de mère, son père industriel s’occupe peu d’elle. Elle est seule, bête, ne s’intéresse à rien. C’est une ado laissée en friche et ignorante.

C’est alors qu’elle apprend que papa a une maîtresse, la scandaleuse ex-pute de luxe Tamara. D’origine russe, « achetée » par un vieux juif qui la forme et l’éduque, la jeune femme a appris le français en cinq ans, puis a quitté le mécène pour se mettre en ménage avec Max le peintre, avant de se fait entretenir par René Noris l’industriel papa de l’insignifiante Hélène.

Ça jase dans la ville assoupie dont les rombières n’ont que les commérages à se mettre sous la dent. Mais papa a les moyens et des ambitions politiques. Il invite, il arrose, il se fait aduler par la femme de tête, celle qui fait la mode et taire les commérages. Tamara est instaurée presque épouse, jusqu’au mariage inéluctable socialement. Hélène doit donc savoir. Son père le lui apprend en la chargeant de lui téléphoner pour lui annoncer qu’il ne viendra pas la journée mais le soir chez elle. Elle habite le rempart des béguines, lieu de nonnes puis de putains devenu logements modestes.

Au lieu de téléphoner, Hélène qui s’ennuie à l’école privée et sèche les cours, va la voir. Elle tremble de crainte, timide à crever, mais finit par entrer. Elle découvre une belle jeune femme de vingt ans plus âgée qu’elle, séductrice et sympathique. Pas le premier jour, mais très vite, l’amante du père la met nue dans son lit. Une chair fraîche à caresser, un cœur à prendre et un esprit faible sont une tentation irrésistible pour une prédatrice. Bien sûr la loi condamne, mais qui va dénoncer ? La petite est ravie d’exister enfin aux yeux de quelqu’un, le père aveuglé par sa passion pour sa future, les commères éteintes par les convenances respectées.

Mais Tamara est une froide égoïste qui ne songe qu’à survivre et à se caser après 35 ans. Elle joue des plaisirs et de la passion ; elle oriente l’esprit faible. Hélène va peu à peu s’en émanciper mais non sans niaiserie et torrents de larmes à n’en plus finir. Devenue belle-fille, elle n’ira plus dans le lit de l’amante, réservée au papa. Mais elle n’en aimera pas pour autant les garçons, trop peu attentionnés et doux selon elle. Elle répugnera même à embrasser Max, pourtant bel homme velu viril.

Au total un sujet abordé sans passion ni grand intérêt, décrit avec longueurs et sentiments réduits, une héroïne fort sotte. On s’ennuie. L’année 1951 devait donc être aride pour avoir promu ce mauvais roman !

Si certain ou certaine a apprécié, qu’iel le dise, j’aimerais surtout savoir pourquoi. J’ai peut-être raté quelque chose ?

Françoise Mallet-Joris, Le rempart des béguines, 1951, Pocket 1999, 216 pages, €3.88

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Deux sœurs pour un roi de Justin Chadwick

Après la guerre des deux roses, la guerre des deux sœurs, c’est ainsi que s’écrit l’histoire à scandales de l’Angleterre. La romance britannique en fait des Borgia via Philippa Gregory qui écrit le best-seller qui inspira le film. Lequel est encore moins soucieux de la vérité historique, construisant un drame élisabéthain à la manière de Shakespeare… Reste un beau film somptueusement filmé, la caméra s’attardant sensuellement sur les peaux, les visages, avec une brochette d’actrices et d’acteurs éblouissants. L’intrigue est un peu compliquée pour un Yankee et le film a eu nettement plus de succès en Europe. Vu que nous divorçons culturellement de plus en plus des Etats-Unis, n’hésitez pas à en faire un bon critère de choix !

Le roi Henri VIII (1491-1547) est, à la fin de sa vingtaine, un fort bel homme à la barbe fournie (Eric Bana). Après le Schisme d’avec le pape, l’église d’Angleterre devenant gallicane, il sera caricaturé en Barbe bleue par les catholiques et accusé d’avoir frayé avec « la sorcière » Anne Boleyn – qu’il a d’ailleurs fait exécuter pour se concilier Charles-Quint. Mais le film débute avant, lorsque le diplomate Thomas Boleyn doit accueillir le roi dans son manoir de campagne pour une chasse à courre. Son beau-frère le duc de Norfolk (David Morrissey), qui n’a jamais admis que sa sœur Elisabeth (Kristin Scott Thomas) épouse un homme de basse extraction, a l’ambition d’élever sa famille grâce aux filles de Thomas, notamment l’aînée Anne (Natalie Portman, particulièrement garce).

Mais la rebelle déjà féministe qui monte à cheval comme un homme engage le roi près d’un ravin où il a le malheur de tomber. Légèrement blessé, il est surtout gravement humilié et Anne est disgraciée, envoyée par sa famille à la cour de France pour y apprendre les manières et la culture, ce qui ne lui fera pas de mal. Comme l’autre fille Boleyn (titre anglais du film), Mary (Scarlett Johansson), le soigne, le roi y voit un rayon de soleil. Niqueur forcené, Henri se fait la belle et l’emporte en son antre, la cour, bien qu’elle soit déjà mariée (à Benedict Cumberbatch). Il achète dans le même temps par titres et fiefs Thomas Boleyn (Mark Rylance) et son fils George (Jim Sturgess) en les faisant respectivement comte de Wiltshire et Lord de Rochford.

La famille ambitieuse vend sa chair pour s’élever à la cour, suscitant des jalousies. La reine en titre, Catherine d’Aragon (Ana Torrent), reprise à son frère Arthur mort à 15 ans, n’a su donner au roi que des fausses couches et une seule fille vivante après le bas âge, Marie qui règnera sous le nom de Marie Tudor. L’une de ses maîtresses lui donnera le fils tant désiré, Henri Fitzroy (fils du roy) mais il mourra à 17 ans de tuberculose. Mary donne à Henri un fils (dans les faits, elle aura aussi une fille) et la famille se croit arrivée, mais c’est sans compter avec le dégoût de la chair bébé et de la maternité d’un roi qui a perdu sa mère à 10 ans d’une fausse couche. Il délaisse Mary et Norfolk demande à Thomas de rappeler Anne afin de la faire succéder dans le lit du roi.

Le franc-parler de la belle garce et son apparence moins maternelle et pondeuse séduisent Henri VIII mais Anne se refuse, faisant la coquette comme elle l’a appris à Paris. Elle veut être reine afin que son enfant ne soit pas un bâtard comme celui de Mary. Henri tergiverse, il ne veut pas se fâcher avec l’Espagne et est ennuyé de devoir recourir une nouvelle fois au pape, mais finit par céder. La reine Catherine voit son mariage annulé et est reléguée au rang de reine douairière en tant qu’ex-épouse d’Arthur tandis qu’Anne lui succède, bel et bien couronnée. Violée dès avant mariage par un roi qui veut qu’on lui cède, elle tombe enceinte. Las, c’est une fille… Le film affirme qu’elle l’appelle Elisabeth mais, dans la réalité, c’est le roi qui a choisi le prénom en l’honneur de sa propre mère.

Mais ce n’est encore qu’une fille et le roi désire plus que tout un héritier mâle. La seconde fois où Anne est enceinte, elle fait une fausse couche ; c’était pourtant un garçon. Le film suggère un complot de cour des évincés Blount pour faire avorter Anne mais ce n’est qu’allusion. Désespérée, Anne Boleyn n’ose pas avouer au roi son mari qu’elle a perdu l’enfant (comme si c’était de sa seule faute) et persuade son frère George de lui en faire un à la place pour que le roi, qui ne couche plus avec elle durant sa grossesse, ne s’aperçoive de rien. C’est pousser l’ambition familiale un peu loin… L’épouse de George, marié contre son gré et qui ne l’aime pas, surprend la conversation et le rapporte à Norfolk qui, devant le scandale, dénonce la reine au roi. Même si le film affirme que l’acte ne fut pas consommé (le roman dit le contraire, l’histoire réelle ne sait pas), George est décapité à la hache et Anne à l’épée. Seule subsiste Elisabeth, fille de roi et de reine légitime, qui succèdera à son père ultérieurement sous le nom d’Elisabeth 1ère. Il est affirmé que Mary l’élève à la campagne dans son manoir avec son mari le roturier William Stafford (l’avenant Eddie Redmayne) alors que ce ne fut pas le cas en vrai.

Malgré sa fausseté historique, le film raconte « une belle histoire » dans la meilleure tradition des tragédies shakespeariennes. Deux sœurs s’aimèrent d’amour tendre jusqu’à ce que l’homme parût ; elles furent dès lors rivales, jalouses du mâle, l’une agressive et masculine, l’autre solaire et féminine, cheveux bruns ou cheveux blonds épris de la barbe fleurie. Il n’y a qu’un pas du Capitole à la Roche tarpéienne et toute élévation indue précède la chute. L’orgueil est l’un des sept péchés capitaux : le premier.

DVD Deux sœurs pour un roi (The Other Boleyn Girl), Justin Chadwick, 2008, avec Natalie Portman, Scarlett Johansson, Eric Bana, Mark Rylance, Kristin Scott Thomas, Jim Sturgess , David Morrissey, Benedict Cumberbatch, Wild Side Video 2008, 1h51, €24.90 blu-ray €11.76

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