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Oiseaux du lac Nasser

Nous sommes à la moitié du séjour. J’ai passé une bonne nuit et mes narines s’ouvrent au petit matin aux odeurs d’eau douce et de terre, le plaisir du bateau. Le petit-déjeuner est à sept heures, une heure plus tard que d’habitude. Nous sommes tous levés avant. Les faucons ont leur nid un peu plus haut sur les rochers, ils surveillent les alentours.

Hier soir, un lézard et une araignée assez gros ont tenté de pénétrer sur le bateau par le câble d’amarrage. Ils ont été chassés à coup de balai, engendrant une cavalcade qui nous a un moment inquiétés. Les pêcheurs sont partis tôt ce matin en barques et leurs cabanes sont désertes. Ils vivent ici à l’année mais pas tous en même temps ; chacun passe trois mois, sauf le mois interdit qui se situe en mai.

Après un petit-déjeuner d’omelette et de Vache-qui-rit, nous partons pour deux heures de randonnée. L’objectif est de « voir les oiseaux ». Sur les rives où pousse le tamaris et le roseau, de nombreux oiseaux ont leur nid : les aigrettes, les hérons cendrés, les vanneaux à éperon, même les cigognes. Nous les voyons surtout de loin, nous sommes trop agités et trop bruyants pour eux. En revanche, d’innombrables traces marquent le sable ocre : les chèvres, un félin, le renard des sables, le lézard, les serpents. Des trous de fourmi-lion parsèment le sable. Tous les serpents ondulent vers l’eau.

Le campement du chevrier et (probablement) de son fils n’est pas établi au bord de l’eau, les fauves et les reptiles vont boire, mais à l’intérieur, sur le désert. Les matelas sont dressés sur des armatures de lit surélevé pour éviter les rampants. Pas de troupeau en vue, ni de chevrier. Des toiles d’araignée indiquent qu’ils sont partis depuis un moment, le troupeau ramené à son propriétaire, comme en témoigne un carnet à spirale laissé là qui liste une série de courses avec leur prix pour se faire rembourser. Un abri en briques séchées permet d’entreposer quelques bidons tandis qu’un enclos non terminé protège un peu les chèvres. Le sol est parsemé de crottes de bique et une chèvre morte pue dans un coin. Le coup d’un serpent, peut-être.

Nous retournons au bateau par une boucle dans le désert. La marche dans le sable est toujours aussi pénible au col du fémur, mais dure aujourd’hui moins longtemps. À 10 heures, nous sommes de retour sur le bateau où un grand gobelet de tamarin sucré bien frais nous attend.

Nous avons visité à l’aller les abris des pêcheurs. Une allée bordée de plantations d’herbes aromatiques, de basilic, de citronnelle et d’un plan de pastèque aboutit aux baraques qui sont ouvertes sur un côté. Des centaines de pains sans levain sèchent sur une claie et sur le pont d’une vieille barque. Des mouches agaçantes nous harcèlent lorsque nous sommes près des côtes la journée et les moustiques le soir.

Navigation et lecture jusqu’à une dune de sable jaune d’œuf qui tombe dans le lac. Le bateau amarré à la rive, nous pouvons à nouveau nous baigner. L’eau est encore glauque mais moins chargée cette fois, surtout rafraîchissante. L’un des hommes se baigne avec nous, non par plaisir mais pour déboucher une canalisation sous la coque. La plage est en pente et Prof s’y vautre, le roi n’est à ce moment-là pas son cousin.

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Temple d’Amada et tombe de Pennut

Nous nous levons à six heures comme d’habitude pour un petit-déjeuner à 6h15. Le départ est fixé tôt, à sept heures, avant que le soleil ne soit trop haut car nous avons trois heures de marche plus une heure et quart de visites. Nous allons voir deux temples décorés, colorés, et une tombe de prêtre important. Tous ces monuments ont été démontés et remontés au-dessus du Nil lors de l’élévation du barrage Nasser.

Nous partons depuis le bateau avec nos sacs marcher sur le sable ocre parsemé de pierres noires volcaniques et d’inclusions de grès. La marche est vite pénible aux genoux et au bas du dos car les chaussures chassent sur le sable et mettent en tension la position du corps. Avec la chaleur qui monte et devient vite accablante, plus de 35° au soleil. Mo a senti que le groupe était d’un âge certain, nous avons tous dépassé l’âge de la retraite, et fait sa première pause au col après une montée d’où nous pouvons voir le lac et sa descente vers les temples. Nous ferons deux autres pauses avant d’entamer la descente finale, plus facile aux genoux, dont une pour faire des photos à la mode comme sauter en l’air devant le paysage ou lancer une poignée de sable, le genre de niaiserie qui plaît sur les réseaux. Le paysage est désertique, fort semblable au Sahara des Tassili. Des traces se lisent bien sur le sable où l’on voit même quand le fennec se met à courir.

Lors de la première pause au col, Mo a parlé du militaire qui aurait dû nous accompagner mais dont il est bien content qu’il ne l’ait pas fait. Cela fait bizarre aux touristes de se voir maternés par un homme armé. Lui n’a pas fait son service militaire, ni Prof, ni le mari non plus. Je suis donc le seul à l’avoir fait dans le groupe. En Egypte, l’engagement est possible dès l’âge de 16 ans pour les garçons comme pour les filles. La conscription est normalement à 18 ans et dure de 14 à 36 mois, suivie d’une période de réserve obligatoire de 9 ans. La longueur du service actif dépend de son niveau d’éducation. L’armée est souvent une promotion sociale pour les peu éduqués ; elle gère (comme au Pakistan) des banques, des entreprises, des compagnies de navigation et de travaux publics.

Nous avons droit à un bref repos musculaire à l’ombre du premier temple de Derr en attendant que Prof, en short et sandales mais T-shirt, ait fini de discuter des paramètres de son dernier mobile Samsung avec Mo, appareil qui capte enfin dans sa province et qu’il a acheté en début d’année.

Le temple d’Amada se dresse dans un paysage entre désert et Nil ; il est le seul vestige des temples construits en Nubie lors de la XVIIIe dynastie. Il a été érigé sous les règnes de Thoutmôsis III, Amenhotep II puis agrandi par Thoutmôsis IV afin d’y faire son propre temple des millions d’années. Les scènes sculptées dont la couleur a été préservée par le plâtrage des chrétiens, représentent un bandeau supérieur pour Thoutmôsis III vénérant Amon et un bandeau inférieur pour Amenhotep II devant Rê-Horakhty. Le temple ne pouvant être démonté a été déplacé en son entier avec des cerclages de fer, des poutrelles en béton sous son assise, et son dépô

t sur une plate-forme munie de roues sur des rails. Cela sur 2,6 km et plus haut de 65 m.

Je l’ai plusieurs fois noté, l’intérieur des temples sent la goyave et je comprends pourquoi : ce sont des produits pour chasser les scorpions et les serpents que les gardiens répandent avant notre arrivée. Un gros scorpion jaune a d’ailleurs été capturé par le gardien qui lui a ôté sa queue à venin. Il ne pourra plus se nourrir et mourra.

Juste avant le bateau, la tombe de Pennut, officiel important probablement prêtre sous Ramsès VI (1143-1136 avant). Le pharaon est peint sur le mur est, ce qui est un honneur. D’autres murs contiennent des passages du Livre des morts.

À notre retour, ce n’est pas du karkadé cette fois mais du tamarin qui nous est servi glacé et sucré. Je trouve cela très bon. Le déjeuner est végétarien mais beaucoup trop copieux, comme si nous avions marché non pas trois heures mais trois jours : sur une assiette de riz sont posées en dôme des pâtes puis des spaghettis, le tout surmonté de lentilles sauce tomate, ail et piment, et d’oignons frits carrément brûlés. En dessert, c’est encore un farineux, une banane des rives du Nil. Une formation du cuisinier égyptien à la diététique, même sommaire, serait la bienvenue.

Nous bullons sur le pont supérieur abrité en lisant ou en écrivant. Une hirondelle du Nil vient lancer sa trille aiguë, posée sur le bastingage du pont supérieur où nous sommes. Elle réclame des miettes ; il y en a tous les après-midis à l’heure du thé avec le cake, et elle semble s’en souvenir d’un voyage à l’autre.

Au sud d’Assouan, sur une île, un fort romain n’a pas été déplacé ; il se nomme Kasr Ibrim. Il est en ruines et nous nous contentons de le longer sans nous y arrêter. A l’époque, avant le barrage, il était situé sur une falaise qui surplombait de 60 m le site d’Aniba où siégeait le gouverneur de la province. Sur la rive, les pitons sont en forme de pyramide, les Égyptiens n’ont rien inventé et ont copié les abords du désert de Nubie.

La crique sur une île du lac Nasser près de Toshka est occupée par des pêcheurs, amis du capitaine. Ils rentrent d’ailleurs en barque de leur travail du jour et s’installent devant leurs cabanes montées comme des bidonvilles ; ils y font du feu et la cuisine tout en discutant jusque fort tard dans la soirée. Avec notre équipage, bien entendu. Le cuisinier fou nous refait un repas plantureux : soupe des restes de midi, trop salée, boulettes de viande, poivrons et courgettes farcies, dessert à la noix de coco.

tombe de pennut

tombe de pennut

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Stephen King, Marche ou crève

Cent garçons concurrents entre 12 et 18 ans au départ, une longue marche, un seul à l’arrivée – pour les autres une balle dans la tête. Nous ne sommes pas dans le roman policier ni vraiment dans la « science » fiction, mais plutôt dans la sociologie fiction : celle d’une société américaine qui pousse jusqu’au bout son tropisme à la compétition. Chacun est Pionnier, libertarien à mort, jusqu’à vouloir gagner aux dépends des autres. Même si l’auteur situe l’histoire dans un univers parallèle où par exemple un soldat « a pris d’assaut une base nucléaire allemande » – qui ne saurait avoir existé en 1979.

Ray Garraty a 16 ans et a décidé de participer à la Longue marche annuelle du 1er mai. Pourquoi ? C’est assez mystérieux, il ne le sait pas vraiment lui-même, et la Marche révélera peut-être un désir inconscient de mort. « C’était un grand garçon bien charpenté », le champion du Maine encore au lycée. Les adolescents sont tirés au sort et doivent postuler, sachant qu’il ont une chance sur cent d’en sortir vivants… Tout le sel du roman est dans cette contradiction qui fascine et répugne à la fois, le modèle de la société totalitaire à l’américaine que les émissions de télé-réalité à la Boccolini (Le maillon faible) vont populariser en France dans les années 2000 avec comme slogan : « vous êtes viré ! ». Les garçons candidats sont soumis à des épreuves physiques et mentales par le Commandant, « un sociopathe entretenu par la société », avant de se voir attribuer un numéro, et ont jusqu’à une certaine date pour, s’ils sont choisis, renoncer.

Mais comment renoncer ? Tout est mis en œuvre pour que la pression sociale les force à aller jusqu’au bout. C’est moins le Prix au vainqueur, la toute-puissance offerte par la société américaine devenue totalitaire, que l’orgueil mâle ; les mamans en larmes n’y peuvent rien. Celle de Percy, un peu moins de 14 ans, en deviendra hystérique mais le gamin sera « ticketé » (tué après trois avertissements). Ils sont adolescents, donc épris d’absolu, en quête d’identité, avides de se prouver qu’ils sont des hommes. Le Commandant, qui dirige la Marche, est pour eux un modèle. Avec ses lunettes miroir, il n’est rien, il ne fait que renvoyer leur image à ceux qui le regardent. Ils se voient sous son uniforme, avec sa prestance et ses galons. Il est le Pouvoir, ils veulent devenir comme lui.

Quelques trois cents cinquante pages, quatre jours et quatre nuits, cinq cents kilomètres plus tard, le numéro 47 Ray Garraty reste le seul. Non sans douleur, mais la souffrance est formatrice (masochisme très chrétien) ; non sans avoir perdu tous les amis qu’il s’est fait durant ces longues heures passée à mettre un pied devant l’autre à au moins 6,5 km/h (contrôlé au radar par les soldats armés qui les suivent), soumis aux avertissements dès qu’il ralentit plus de 30 secondes (par exemple pour chier) ou sort de la route (lorsqu’il dort debout) – le troisième avertissement étant le dernier avant la balle fatale : il n’y a pas de quatrième avertissement. Mais tout avertissement est effacé au bout d’une heure de bonne tenue. Il faut donc flirter avec la mort pour tenir malgré ampoules, crampes, diarrhée, insolation, pneumonie, chute, perte de connaissance, panique… Le claquement des fusils qui éliminent un à un ceux qui flanchent rythme les heures.

Le pire ? C’est la Foule. Compacte, vociférante, hystérique, malsaine. La foule acclame les marcheurs mais adore voir tuer un faible, sa cervelle éclatée sur la route, son jeune corps ensanglanté, ses vêtements déchirés. La foule est inhumaine, cruelle, elle est la Société dans son égoïsme passionné – l’essence des États-Unis pionniers et libertariens. A l’inverse, les concurrents deviennent pour certains des amis, des êtres que l’effort en commun vers le même but rapprochent. McVries est le plus proche de Ray, ils se sauvent mutuellement de l’élimination. Il est même sensuellement attiré par lui car les garçons s’observent entre eux, se mesurent, leur désir est mimétique comme dirait René Girard. La sexualité, en cette fin des années soixante-dix, s’est libérée des conventions et préjugés, elle se fait naïve, directe. Scramm, l’un des concurrents, 15 ans, est marié et sa femme attend un petit – il mourra, victime de pneumonie et « tué » d’une balle après sa mort. Ray a une petite amie, Jan, qui ne voulait pas qu’il fasse la Marche et a même proposé de coucher tout de suite avec lui s’il renonçait. Mais ce serait renoncer à sa virilité sociale, et Ray n’a pas voulu. Il reste puceau, comme McVries, qui ne le désire qu’en paroles.

La sexualité est le désir de vie, la négation du désir de mort qui a saisi les adolescents au moment de leur inscription. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la dernière scène où Garraty se retrouve seul avec un concurrent, Stebbins, jusqu’ici marcheur automatique car fils naturel du Commandant, mais qui s’est épuisé. « Stebbins se retourna et le regarda avec des yeux immenses, noyés, qui ne virent d’bord rien. Mais au bout d’un moment il le reconnut et tendit la main pour ouvrir, puis arracher la chemise de Garraty. La foule protesta à grands cris mais seul Garatty était assez près pour voir l’horreur dans les yeux de Stebbins, l’horreur, les ténèbres ; et seul Garatty savait que le geste de Stebbins était un dernier appel au secours. » Désir sexuel de voir sa poitrine nue, désir de vie. Stebbins tombe, il meurt. Garraty a gagné mais il délire, il croit être encore en lice avec une ombre, il poursuit…

Un grand premier roman écrit en 1966 d’un auteur de 19 ans qui allait s’imposer comme un grand de l’anticipation dystopique. Refusé une première fois, le roman est publié en 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachman.

Stephen King (Richard Bachman), Marche ou crève (The Long Walk), 1979, Livre de poche 2004, 384 pages, €8,90, e-book Kindle €7,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Stephen King déjà chroniqué sur ce blog

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Didier Guillot, J’ai appris à rêver…

Chacun a lu dans son enfance L’île au trésor de Robert-Louis Stevenson, ou en a vu l’un des films. Les randonneurs ont sans doute lu Voyage avec un âne dans les Cévennes, du même auteur. Il fait régulièrement des émules, et Didier Guillot est parti sur ses chemins. Oh, il parle peu de Stevenson, juste au détour d’une phrase, l’écrivain écossais est juste une marque, un itinéraire proposé, pas même un guide de vie sauvage ou simplement naturelle.

L’auteur, la cinquantaine, ouvrier devenu juriste à force de cours du soir pour s’en sortir, sortir de soi et de ses brisures d’enfance, a voulu prendre un bol d’air, faire une pause, retrouver une nostalgie : celle de son grand frère Daniel, mort à 23 ans volontairement parce qu’inadapté à l’existence, probablement bipolaire. Didier nous raconte, au fil du chemin, le bonheur d’être grand frère, le seul bonheur du sien. Lui, le petit, se sentait aimé, admiré, protégé, élevé. Dans de belles pages il dit avec pudeur ces moments que la marche lui remémore, la promenade dans les chemins avec l’aîné, la pêche à la rivière, les jeux d’eau, les insectes sur la peau, et toujours ce sentiment d’être là parce qu’un autre qui vous aime est à côté. Il lui a appris à rêver puis, à 13 ans, l’a laissé.

Pour le reste, quelques anecdotes sur les bobos des cuisses et des pieds, la soif et la fatigue, les gîtes et les bistros, les vieux de rencontre ou l’Anglais alcoolo, l’ex-routarde pieds nus qui accumule les plats de terroir par bonheur de donner à manger, la randonneuse qui se targue de ne voyager qu’avec deux slips, le jeune homme généreux de sa bouteille d’eau mais qui canne dans les montées. Un zeste d’humour, beaucoup d’empathie pour les arbres, les roches, la forêt.

Des phrases ciselées avec l’amour du travail bien fait, les mots ajustés en marqueterie, peu d’épanchements et de lyrisme mais les sauts et gambades d’un esprit au fil d’un chemin. Juste un pas de côté.

Didier Guillot, J’ai appris à rêver… sur les pas de Stevenson, 2021, éditions La Trace, 173 pages, €16.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

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