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Wonder Wheel de Woody Allen

Nous sommes renvoyés dans les années cinquante, au parc d’attraction de Coney Island au sud de Brooklyn à New York, où tourne la roue de la fortune (Wonder Wheel). Les destins de quatre personnages se croisent et explosent…

Une jeune fille un peu vulgaire aux gros seins bien mis en valeur, selon les normes sexuelles américaines, arrive avec une petite valise dans le parc de loisirs que borde une longue plage bondée. Carolina (Juno Temple), 25 ans, cherche Humpty (James Belushi), son père qu’elle n’a pas vu depuis cinq ans pour avoir épousé bêtement un mafioso. Après son veuvage et l’abandon de sa fille, Humpty s’est remarié avec Ginny (Kate Winslet), une ancienne actrice lunatique que son mari jazzman a quitté parce qu’elle le trompait. Elle a emmené avec elle son petit garçon Richie (Jack Gore), gamin de dix ans perturbé et nettement pyromane.

Carolina a balancé les gangsters et la mafia la recherche pour lui faire son affaire ; elle se cache. Mais elle ne peut réfréner sa puterie et se laisse draguer par le premier venu un peu séduisant : un marin, un soldat, le maître-nageur d’un secteur de la plage. Sa bêtise d’ado ne l’a pas assagie ; elle aime risquer si c’est pour jouir. Ginny s’est déclassée d’actrice de théâtre à serveuse au Roi de la palourde, un fast-food de la plage où elle gagne peu et fait de longues heures. Humpty opère un manège de chevaux de bois qui vivote. Richie, laissé à lui-même, sèche l’école et pique des sous pour aller au ciné se gaver de pop-corn, avant d’aller bouter le feu n’importe où avec n’importe quoi.

Dans cette ambiance glauque et sans futur, les femmes rêvent. Elles restent poussées par leur vagin et leurs désirs irrésistibles. Ginny trompe une fois de plus son mari avec Mickey, le maître-nageur jeune et musclé de la plage (Justin Timberlake) ; il l’écoute et partage son amour du théâtre. Lui veut être dramaturge et accumule des histoires en faisant parler les gens. Il profite de la situation pour baiser agréablement. Carolina le rencontre fortuitement alors qu’elle fait des courses avec Ginny ; elle le revoit, et c’est le coup de foudre de lui pour elle. Il ne se passe rien car il baise Ginny, mais Ginny, qui l’apprend, devient jalouse.

D’une jalousie féroce qui va nouer les fils de la tragédie. Car tout se terminera mal, dans l’explosion des couples.

Les mafiosos poussés par le mari délaissé cherchent Carolina et finissent par la dénicher car elle s’affiche trop volontiers. Habituée à la grande vie des palaces pour riches gangsters, elle n’en fiche pas une ramée et, engagée au bar de palourdes, se fait remarquer. Ginny voit qu’Humpty réserve les économies du ménage à sa fille, qui suit sans conviction des cours du soir pour devenir prof (elle connaît à peine Hamlet !). Elle en vole une partie (qu’elle a contribué à gagner) pour offrir un trop beau cadeau à Mickey pour son anniversaire : une montre-ognon plaquée or à 400 $ de l’époque.

Et ce monde artificiel, marqué par des lumières trop colorées, montre sa trame : les névroses, les égoïsmes, la migraine, l’alcoolisme, le manque d’amour maternel, un gamin dont on ne s’occupe pas au profit d’une pétasse qui n’écoute que son cul, le « divertissement » absurde et répété des jeunes qui tirent au fusil sur des pipes à cinq mètres.

Mickey voit qu’il est allé trop loin avec Ginny. Il prend du plaisir mais ne l’aime pas, donc pas question qu’il accepte ce cadeau qu’il ne mérite pas. Ginny jette la montre sur la plage vide et le quitte en furie. Et lorsqu’elle apprend qu’il est amoureux plutôt de Carolina, elle décide que la fille est de trop. Apprenant par hasard que les mafieux se sont renseignés au Roi de la palourde et qu’il savent où Carolina (qui ne peut décidément la fermer) est allée dîner avec Mickey dans une pizzeria connue de Brooklyn, elle décide affolée de la prévenir puis, saisie d’une pensée glaçante, raccroche avant de lui parler. Elle laisse faire le destin…

Exit Mickey, qui comprend tout lorsqu’il apprend la disparition de Carolina ; exit la fille trop bête qui a trahi son père, son mari et sa cache par sa frivolité. Humpty se résigne et retourne à la pêche avec ses copains, là où il est bien ; Ginny se résigne, elle ne sera ni aimée, ni actrice, ni bonne mère ; car Richie continue de foutre le feu partout – peut-être un symbole du désir irrépressible qui saisit les adultes, et surtout les femmes ; peut-être un symbole de ce monde artificiel de Coney Island qui va finir dans la récupération immobilière ; peut-être l’annonce d’une révolution des mœurs dans les années soixante. Au fond, rien n’a changé après ce coup du destin mais les fissures se révèlent.

Les rêves sont des fantasmes qu’il ne faut jamais prendre au sérieux quand on n’en a ni les moyens, ni la volonté. Chacun joue un rôle dans le théâtre de la vie, et le maître-nageur est ici le metteur en scène, lui qui voit la vérité des gens nus toute la journée. Mais au final, message optimiste, « personne ne se noie jamais, ici ».

DVD Wonder Wheel, Woody Allen, 2017, avec Justin Timberlake, Juno Temple, Robert C. Kirk, Kate Winslet, Jim Belushi, AB Vidéo 2018, 1h37, €4,65, Blu-ray €14,62

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