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Maxime Chattam, L’illusion

Recentré sur la France pendant le confinement, l’imagination reste un peu faible pour ce nouvel opus… jusqu’à la fin. Il faut en effet persévérer avant de voir brutalement, dans les toutes dernières pages, les pièces du puzzle s’assembler dans le tragique et le sadique – à la Chattam. Mais, durant tout le thriller, l’auteur se veut dans la mode tendance d’aujourd’hui, avec ésotérisme, terreur viscérale enfantine, isolement du monde et baise politiquement correcte. C’est un roman pour ados qui me rappelle la série des Mystères d’Enid Blyton avec aventures entre copains et copines et rebondissements convenus. Mais avec la patte du thriller à l’américaine et un montage adéquat. Ça se lit, ce n’est pas un grand cru, trop délayé du ventre avant le finale grandiose.

Hugo est un jeune homme sensible et inquiet, acteur qui n’arrive pas à percer et écrivain raté à ses heures perdues. Il vient de se ramasser dans son couple après sept ans et veut trancher son ancienne vie. Il répond pour cela à une petite annonce, aiguillé par un forum sur le net, qui consiste à être polyvalent d’entretien d’une station de ski familiale l’été dans les Alpes du sud, sur les hauteurs de Guillestre. Une avenante Lily l’accueille à la gare la plus proche, puis le conduit à toute vitesse par une route en lacets à vous rendre malade, vers la station désertée par les touristes de Val Quarios. Elle a été construite par un original, dit-on, Lucien Strafa, un magicien autrefois célèbre selon sa page Wikipedia, qui a brusquement quitté la scène pour créer la station il y a des années après sa 666ème représentation. Elle est en forme de gigantesque A avec un phare sur la pointe, le Vaisseau-mère en guise de trait et les deux bâtiments du Gros B et du Vioc en prolongement. A son habitude, l’auteur fournit un dessin pour situer le paysage. Et Hugo finit par découvrir que le plan est un pentacle.

Sitôt présenté à l’équipe, qui mêle tous les âges au-dessus de 25 ans ainsi que des locaux, Hugo se voit attribuer un appartement. Il peut faire ses courses à l’épicerie ouverte le matin ou manger à la cantine avec les autres, chacun faisant la cuisine à son tour. Sa tâche consiste au début à débiter des sapins trop vieux, malades ou susceptibles de tomber sur la station avec JL, un local, fils de Simone l’épicière. Il passera ensuite avec le vieux moustachu Max pour réparer les chaussures de ski à louer pour la saison.

En ce vaste lieu désert dans la nature, qui rappelle inévitablement Shining, d’ailleurs cité par Lily, d’étranges impressions lui viennent. Un je ne sais quoi de menaçant qui enflamme son imagination au point de parfois lui faire sentir des présences. Comme une araignée géante toute prête à le manger ; ou ce monstre dans la piscine de verre ouverte sur le paysage lorsque l’orage a fait claquer la lumière. « Toujours aller plus loin que la réalité, combler les manques, anticiper le pire, l’horreur de préférence… Si mon cerveau n’avait pas cette déviance, je ne pourrais pas écrire. C’est de ce genre de projections tordues que naissent les romans. Sinon, ce n’est que le monde tel que nous le connaissons, insipide, sans surprise, d’une banalité normalement suicidaire » p.129. Je n’adhère pas à cette conception à la Stephen King de l’existence, révélatrice des angoisses profondes de la psyché que la raison ne peut dompter. L’homme heureux n’a pas d’histoire ; il n’en écrit pas, ajoute Maxime Chattam. Mais Hugo l’impressionnable mal grandi n’est pas au bout de ses surprises.

Il est fasciné par le solitaire magicien qui vit non loin de la station dans un manoir interdit d’accès, gardé par d’étranges sculptures d’être torturés sur les troncs des arbres. Il ne peut que désirer le rencontrer, au point d’enfreindre les interdits, arrimé à la main amicale de Lily avec qui il couche après avoir hésité sur Alice qui s’en va. C’est très gamin, Chattam reprend d’ailleurs des expressions d’ado contemporain venu du vocabulaire gay en évoquant « les bras autour de son torse » alors qu’il ne s’agit que de sa poitrine – à moins d’avoir des tentacules aptes à faire le tour du tronc. Le chapitre 29 écrit en outre une somptueuse description de baise politiquement correcte après le mitou marketing, la montée de l’extrême-femme empêchant de jouir jusqu’au dernier moment, au cas où la fille aurait décidé, entonnée pendant l’acte, qu’il s’agit finalement d’un viol non consenti.

L’une des employée, Alice, est repartie en catimini après ses six mois, alors qu’elle devait dire adieu à tout le monde. Elle a anticipé avec un jour d’avance, soi-disant parce qu’elle n’aime pas les adieux. Mais ne voilà-t-il pas un mystère de plus ? Hugo regrette de l’avoir laissée seule son dernier soir alors qu’il aurait pu baiser – et peut-être en savoir plus. Car Alice ne répond pas au téléphone ni à sa boite mél. D’autres disparitions inquiétantes ont d’ailleurs eu lieu au fil des années dans la station. Quelques personnes sur des milliers, dit la raison, mais quand même, dit l’angoisse imaginaire. Hugo cherche, Hugo entraîne Lily – dont le prénom complet est Lilith, le démon femelle qui a précédé Eve aux côtés d’Adam dans la Bible, et qui peut-être joue Lily pute pour mieux enserrer Hugo dans ses rets. Le jeune homme entraîne aussi Jina dans son délire paranoïaque, l’autre fille qui aime à se faire peur mais pas trop, comme Annie dans le Club des Cinq. Luc Cifer est-il le diable ? Lucien Strafa est en effet un anagramme du démon. Val Quairos est-il conçu comme une gigantesque toile d’araignée qui emprisonne dans sa toile les proies dociles prêtes à être sucées dans leur âme et leur corps ? Hugo a de ces fantasmes d’arachnide géante tapie dans les recoins sombres. Ou y a-t-il plus prosaïquement un tueur en série qui sévit depuis des années, incognito ? Mais alors qui ?

A moins que ce soit pire… Mais tenez jusqu’au bout pour le savoir, si le chemin est banal et parfois répétitif avec ses hallucinations cassées nettes à la fin du chapitre, le finale vaut la lecture.

Maxime Chattam, L’illusion, 2020, Pocket 2022, 538 pages, €8,75 e-book Kindle €8,49

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Le Loup-garou de Londres de John Landis

Dans le crépuscule d’un paysage de landes au nord de l’Angleterre, deux yeux jaunes trouent l’obscurité. C’est une bétaillère qui s’arrête à un croisement de routes. Le chauffeur descend, va ouvrir l’arrière et laisse descendre deux jeunes Américains en sac à dos, assis parmi les brebis. Une fois leurs études secondaires terminées, David (David Naughton) et Jack (Griffin Dunne) font leur tour d’Europe, du nord de l’Angleterre au sud de l’Italie. Mais la malédiction de l’Ancien monde, d’où sont partis les puritains pour créer la Nouvelle Jérusalem, ne peut que les rattraper. Telle est la vision yankee du monde : nous ou le chaos.

Les deux étudiants amis suivent la route du parc national des North York Moors jusqu’au village d’East Proctor serré autour de son église et de son pub. Lequel a pour enseigne grinçant dans le vent qui se lève L’agneau abattu, curieuse dénomination d’autant plus que la figure est celle d’une tête de loup décapité. Lorsque les jeunes entrent à l’intérieur, il se fait un grand silence. Les consommateurs de bière se figent et les regardent en chiens de faïence. Ils demandent à manger – il n’y en a pas ; du café (à l’américaine) – il n’y en a pas ; alors un thé – il n’y en a pas (mais je peux vous en faire). Déjà le ton est donné, entre frissons et ironie.

Car le loup-garou est peut-être une superstition médiévale que personne ne peut plus croire à la fin du XXe siècle, mais l’étoile à cinq branches peinte sur le mur du pub date d’il y a longtemps et personne n’a repeint dessus. Pour les Yankees c’est l’étoile du Texas car il n’existe rien en dehors de leur propre univers, mais pour les Anglais locaux c’est un pentacle, une protection contre le mal. Ils y croient mais ne veulent pas l’afficher, cela ferait trop plouc devant des jeunes venus d’Outre-Atlantique, mais ils n’en pensent pas moins. Lorsque Jack demande brusquement ce que l’étoile fait là, avec le sans-gêne et l’art des pieds dans le plat propre aux mœurs yankees qui se croient les maîtres du monde, les hommes leurs disent d’une seule voix « partez ! ». Seule la tenancière au comptoir tente de les mettre en garde mais, refroidis, les deux amis s’en vont.

« Restez bien sur la route et méfiez-vous de la pleine lune », dit quand même le patron. Mais les étudiants venus du pays phare de la terre s’en foutent, en bons jeunes, imbéciles et Yankees sûrs d’eux-mêmes de surcroit. Ils dérivent donc hors de la route sans s’en apercevoir, tout en discutant de sujets futiles ou se moquant du chien des Baskerville hululant dans la lande chez Conan Doyle. Et c’est là qu’un hurlement les saisit…

L’obscurité les empêche de voir et ils se sentent cernés par le son, complètement perdus à force de tourner en rond bien que leurs gilets ne soient pas jaunes mais rouge vif ou vert. Un feulement et c’est le drame. L’un d’eux est croqué, c’est Jack, l’autre fuit mais, penaud, se reprend et revient pour sauver son ami mais c’est trop tard. David va lui-même succomber aux griffes monstrueuses du Goliath velu, déjà lacéré à la joue et au torse comme d’une caresse amoureuse avant l’égorgement à pleine mâchoire, quand des coups de feu éclatent. Avant de s’évanouir, le jeune homme a le temps de voir un cadavre étendu, nu, mort, troué de plusieurs balles en pleine poitrine. C’était un loup-garou et les gens du pub, pris de remords d’avoir laissé partir les Américains avec leurs doutes, ont pris leur fusil et leur courage dans leurs deux mains pour mettre fin à la malédiction.

Mais comme chacun sait la malédiction se répand comme une pandémie ; il suffit – comme le sida ou le Covid – d’être touché ou griffé pour être contaminé. David passe trois semaines sans le savoir, sous sédatifs dans un hôpital de Londres. Ses plaies ont été pansées et les villageois ont déclaré à la police locale qu’il avait été attaqué par un vagabond devenu fou. Son premier mot saisi par l’infirmière à son chevet, lorsqu’il se réveille, est « Jack ». Le docteur Hirsh (John Woodvine) qui le soigne vient l’interroger sur ce dont il se souvient. David alors raconte l’histoire du loup-garou qui les a attaqués et le docteur ne le croit évidemment pas. Scotland Yard, mandaté par le consulat américain, vient l’interroger. David alors raconte l’histoire du loup-garou qui les a attaqués et l’inspecteur (Don McKillop) ne le croit évidemment pas. Il n’y a que le sergent (Paul Kember), moins imbu de raison intellectuelle, qui est enclin à le suivre mais son supérieur le fait taire : le jeune homme a subi un choc, il fait des cauchemars et prend ses rêves pour des réalités, l’affaire est classée. Autre moment ironique du film d’horreur.

Sauf que Jack va se manifester dans la chambre de son ami, tout ensanglanté et défiguré. Il va d’ailleurs apparaître trois fois, à chaque fois plus putride et décharné, effets spéciaux une fois de plus ironiques. Jack va rappeler à David la malédiction du loup-garou : il a été infecté par la bête et il va se transformer à la prochaine pleine lune (qui survient une fois par mois comme chacun sait, d’où les trois semaines de sommeil nécessaires à l’histoire alors qu’elles le sont peu du point de vue médical pour quelques égratignures). Le mieux qu’il ait à faire, c’est de se tuer avant de tuer les autres. David le sait au fond de lui mais n’y croit pas ; lorsqu’il raconte sa vision à l’infirmière Alex (Jenny Agutter), elle lui dit qu’il a vraisemblablement halluciné, ce qui est normal après un grand choc psychologique.

David va finir par sortir guéri mais, ne sachant où aller et sa jeunesse désemparée ayant tapé dans l’œil de la nurse, elle l’invite chez elle. « Je n’ai eu que neuf amants », déclare-t-elle dans une autre phase ironique du film, « certains une seule fois, et je ne suis pas de celles qui se font des mecs un peu partout – mais vous me plaisez et je ne vais pas passer à côté ». David baise donc Alex, ce qui est toujours curieux à lire en français dans le résumé avant de voir le film, car les anglo-saxons ont la manie d’invertir les prénoms : ce qui est masculin chez nous est féminin chez eux.

Mais la pleine lune arrive et tout se déchaîne. Jack apparaît encore une fois à son ami avant sa première transformation, un chien lui aboie dessus sans raison tandis qu’un chat roux feule et crache à son approche, mais David est obligé de se sentir brûlant à arracher d’un coup son tee-shirt et d’ôter d’un mouvement son pantalon avant de sentir pousser ses poils et ses os s’allonger comme son mufle aux crocs saillants. Il sort courir dans Londres, à poil évidemment, et hurlant à la lune. Un jeune couple fera son repas puis trois clochards peu ragoutant juste pour le plaisir de tuer. David se retrouvera au matin tout nu dans la bauge des loups du zoo de Londres, sur la paille tel un Jésus nouveau-né. Il se sent très en forme et les fauves viennent lui renifler la main, amicaux ; il est un des leurs. Mais il doit regagner l’appartement d’Alex et ruser pour trouver de quoi être décent – une nouvelle ironie dans le film avec la vieille victorienne puis le gamin aux ballons.

L’infirmière a passé la nuit à l’hôpital, elle ne sait rien. Les journaux se déchaînent cependant sur les cinq crimes de la nuit et le docteur a des doutes. Il est allé rendre visite au pub du village isolé et s’est trouvé confronté aux mêmes villageois taiseux, sauf le plus jeune qui lui a laissé entendre qu’il se passait des choses bizarres dans la lande, un loup-garou dit-on. Il faut retrouver David et l’enfermer pour tenter de le soigner. Mais c’est peine perdue. David ne veut rien savoir en Américain sûr de lui-même et qui sait tout. En taxi en route pour l’hôpital avec Alex, qui l’a retrouvé normal, il le fait stopper. Il se perd dans la foule, entre dans un cinéma porno – autre ironie du film – avant de se transformer à nouveau avec le soir qui tombe, haletant alors que lui viennent les poils comme le couple toujours à poil sur l’écran…

Je vous laisse découvrir la fin, les carambolages à l’américaine côtoyant la ruée de policiers non armés et des badauds qui s’agglutinent sans prendre conscience d’un quelconque danger – toute cette caricature de l’imbécilité humaine qui est une fois de plus ironique. Car les moments de tension alternent avec les moments de détente, l’horreur avec la satire, durant tout le film avec les effets spéciaux réalistes de Rick Baker (qui réalisera les effets spéciaux de Star Wars, Greystoke, Gremlins 2 Men in Black), et les chansons du temps qui évoquent la lune (Moon comme la secte). C’est ce qui fait son charme et depuis sa sortie un film de venu culte.

Il se termine par un encadré félicitant Diana d’être devenue princesse par son mariage avec le prince Charles le 29 juillet 1981. Etait-ce une prophétie ? Un loup-garou américain à Londres ? Une malédiction ? Diana s’affichera vite avec son amant arabe tandis que son fils cadet Harry multipliera les frasques, se déguisera en nazi, avant d’épouser une métisse qui le poussera à l’exil, le Megxit…

DVD Le Loup-garou de Londres (An American Werevolf in London), John Landis, 1981, avec David Naughton, Griffin Dunne, Jenny Agutte, Don McKillop, Paul Kember, Universal Pictures France 2001, 1h37, €14.00

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