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Pour l’Europe

Je suis profondément POUR l’Europe. Contrairement aux démagogues des extrêmes, réactionnaires xénophobes ou populistes jacobins, je crois que l’union des pays européens est bénéfique pour les peuples et pour leur place dans le monde. Ce n’est pas ce processus d’union qui est en cause, à mon avis, dans les doutes nés depuis quelques années sur l’Europe : c’est son absence de limites, son absence de projet et sa lourdeur bureaucratique.

L’Europe est loin d’être une idée neuve.

Elle a commencé sous l’empire romain qui a unifié le droit, le commerce et une grande part des mœurs dans un creuset de civilisation commun.

Contrairement à l’imagerie des xénophobes du XIXe que les profs perroquettent (qui ont abouti à cette merveilleuse guerre de 14 que nos élites zélotes s’empressent de glorifier faute de savoir enchanter le présent), les « barbares » qui ont fondé le royaume Franc n’étaient pas des incultes, mais des Germains romanisés. La transition s’est faite en douceur, avec les siècles. Et Charlemagne (le premier grand Charles), a créé la seconde Europe de l’histoire, dont le latin était la langue commune et le réseau de juristes la première administration.

Mais l’Église devenait trop puissante, portée au césarisme latin et à la théocratie byzantine. Ce fut le grand schisme de la Réforme qui a coupé l’Europe en deux, un cœur franco-hispano-italien et des marges germaniques et saxonnes. Napoléon a créé la troisième Europe en libérant les peuples des dynasties archaïques avec ses 134 départements français et ses pays satellites dirigés par des rois de sa famille.

union europeenne carte

La quatrième Europe est née des décombres des deux guerres mondiales, de la seconde surtout qui a montré qu’aucun peuple ne pouvait s’imposer aux autres à l’intérieur du continent. Lorsqu’on ne peut pas dominer, et que l’on est menacé par deux blocs, autant négocier. L’alliance atlantique a précédé la Communauté charbon acier puis la Communauté économique européenne, mais cette dernière a accouché d’une Union.

Si elle reste bancale, la faute en est à la France, qui a refusé la CED, Communauté européenne de défense. Ce pourquoi « nos » soldats interviennent seuls en Afrique, les autres pays ne voyant pas leur intérêt à rejouer le colonialisme, même sur demande, même pour la « bonne » cause.

Si l’Union est lourde à bouger, la faute en est à la France, qui a insisté pour intégrer très vite les ex pays de l’est après la chute du mur de Berlin, ne créant la monnaie unique qu’en contrepartie de son feu vert à la réunification allemande. Tout s’est fait dans la précipitation, avec l’idée un peu stupide qu’il suffit d’y aller pour bâtir en marchant. Sauf que l’Union à 28 est trop disparate pour créer quoi que ce soit d’autre qu’un grand marché. Et que la monnaie à 18 est trop écartelée entre économies différentes pour ne pas observer tensions et fissures quand le vélo croissance ne roule plus.

Les reproches que l’on peut faire à l’Europe, ce sont à « nos » politiciens qu’il faut les faire : à Chirac le grand Fout-rien qui n’a jamais cru à l’Union, à Jospin qui ne se préoccupait que de « socialisme » et pas des peuples, à Hollande qui doit se dépêtrer d’une situation fragile où il espère que la baisse de la dette ira plus vite que la révolte des socialistes nationaux et des jacobins socialistes. Il n’y a que Sarkozy, il faut le reconnaître, qui a su galvaniser les autres pays européens par trois fois lors de la crise bancaire de 2008, lors de la quasi-faillite grecque puis durant l’attaque sur l’euro. Le récent accord sur le mécanisme de sauvetage des banques en est la suite. Insuffisant mais important.

zone euro carte 18 pays au 1 janvier 2014

Reste que les peuples ayant vécu une génération entière à crédit comme les Grecs, les Portugais, les Italiens et les Espagnols – et les Français – croient que seul le triptyque dévaluation, protection, inflation les sauvera – alors qu’il leur faudrait productivité, innovation, compétitivité… Ce que proposent les politiciens français n’est pas à la hauteur : ignorance, démagogie, égoïsme sont les beaux sentiments soulevés par les tribuns pour appeler à « sortir de l’Europe ».

Ce ne sont pas que des mots ; remuer la fange finit par sentir mauvais. Les pays en déficit doivent emprunter. Qui voudra leur prêter s’il n’est pas sûr d’être remboursé ? Qui voudra accepter des taux d’intérêt aussi bas que ceux de l’Allemagne s’il craint pour la solvabilité de l’État à qui il prête dans le futur ? Ce pourquoi les agences de notation ont dégradé les notes de certains pays européens et de l’Union elle-même pour ses emprunts en commun. Seuls six États ont encore la meilleure note AAA : Allemagne, Danemark, Finlande, Luxembourg, Royaume-Uni, Suède. Ce sont tous des pays qui ont eu le courage des réformes – et pas seulement d’augmenter les impôts.

Les négociations sur le budget pluriannuel de l’UE ont nécessité deux sommets de chefs d’État, fin 2012 puis début 2013 et des heures de négociations : le soutien à l’Union de la part de certains États membres faiblit. Depuis 2007 et le début de la crise financière, la contribution des États notés AAA au budget de l’UE a été divisée par deux à 31,6%.

  • Le Royaume-Uni rêve de rester une île, liée aux États-Unis et au grand large, avec pour terrain de jeu l’Europe du seul marché – Turquie incluse.
  • L’Allemagne fait comme la Chine : tache d’huile, sa puissance douce lui suffisant pour imposer ses vues aux pays limitrophes, sans volonté de puissance.
  • La France voudrait une Europe pays, une sorte de France aux 400 départements, centralisée à Strasbourg et codirigée par un aréopage hiérarchique de type impérial.
  • Les « petits » pays rêvent plutôt d’une grande Suisse…

Rien de tout cela ne se fera. Si la conjonction des bêtises populistes xénophobes ne la détruit pas de l’intérieur, appelant d’autres barbaries comme jadis la chute de Rome ou celle de Napoléon, l’Union se poursuivra lentement, pas après pas, n’avançant que par crise ou parce qu’un ennemi extérieur la pousse aux fesses. Les mentalités sont lentes à changer : la glorification du patriotisme de 14-18 et le rappel rituel de la Shoah sont là pour montrer que l’Union est certes un peu dans l’économie, mais vraiment pas encore dans les têtes.

Surtout pas celle de nos dirigeants. Ils ne savent ni définir des frontières de civilisation (oui à l’Ukraine mais non à la Russie et à la Turquie), ni construire un projet fédéral cohérent (les socialistes français n’ont RIEN répondu aux avances allemandes il y a 2 ans), ni compenser la bureaucratie proliférante par des contrepouvoirs politiques (comme les élections d’un Parlement unique le même jour dans tous les pays de l’Union, un sénat des pays et une assemblée des partis, la disparition du Conseil au profit de la Commission).

Mais je crois pourtant à l’Europe, cette belle idée de civilisation commune, cette entité économique et politique à construire dans un monde désormais globalisé.

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La Banque centrale européenne ne peut pas tout

Le Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne a laissé inchangé son taux directeur à 1,5% mais annonce des mesures non conventionnelles pour soutenir la liquidité bancaire. Le danger reste en effet que les banques ne se prêtent plus entre elles, pour cause de défiance sur leurs engagements en emprunts d’États risqués (dette grecque, portugaise, espagnole, italienne…). Donc que les fonds manquent pour prêter aux entreprises. Les banques prêtent environ six fois leurs dépôts, en empruntant ce qu’elles n’ont pas à mesure. Cette situation de pénurie de fonds prêtable s’appelle en français assèchement du crédit (credit crunch en anglais).

Contre cette situation, trois outils : baisser les taux, recapitaliser les banques, redonner confiance : la BCE ne peut pas tout.

  1. Baisser les taux est une arme efficace… sauf lorsque les taux sont proches de zéro. Puisqu’on ne peut pas payer les gens pour emprunter, les taux négatifs sont impossibles car ce qui manque est l’envie ou le besoin d’emprunter. Ce qu’on appelle la trappe à liquidités. La BCE garde la possibilité de baisser ses taux de 1.50% à 1%, voire en-dessous si la conjoncture s’aggrave. L’inflation devrait reculer, du fait de l’inertie des prix pétroliers, et la BCE ne tire pas toutes ses munitions de suite car la psychologie compte beaucoup en finance.
  2. Recapitaliser les banques passe par un appel aux actionnaires ou aux États. Mais pas avant d’avoir réglé politiquement le problème des dettes des États défaillants de la zone euro. Les emprunts d’État – dits « sans risques »… – entrent en effet dans les ratios de fonds propres exigés des banques pour garantir leurs dépôts et leurs risques de prêts, selon les accords de Bâle. Les actionnaires ne veulent pas s’engager sans projet, quant aux États, ils sont contraints par leur endettement. S’ils devaient à nouveau « sauver » le système bancaire, nul doute que les banques seraient nationalisées ou du moins largement contrôlées – ce qui serait au détriment de leur place internationale. Une action en dernier ressort.
  3. Redonner confiance aux établissements pour qu’ils se prêtent à nouveau entre eux passe par une politique claire : que les actionnaires prennent leurs risques (acceptent une dévaluation de 50% des emprunts grecs qu’ils possèdent, par exemple) ; et que les États avancent dans le processus politique européen. Le fonds de garantie européen est prévu pour garantir les emprunts grecs, mais serait insuffisant si l’Espagne ou l’Italie, pays autrement plus gros, devaient faillir à leur tour. C’est surtout la concertation économique et fiscale qui manque à la zone, toujours handicapée par des élections quelque part. La recapitalisation est un processus politique qui prend du temps.

A moins qu’une aggravation brutale de crise force les politiciens à faire enfin leur métier, qui est de contraindre les opinions publiques dans l’intérêt général. Pas plus lors de crises financières que sur un champ de bataille on ne tient compte des sondages sur les soldats engagés : on commande et on évalue ensuite. C’est ce que fit Roosevelt dans les années 1930 et les États-Unis ne s’en sont portés que mieux.

En attendant les politiciens, la BCE déploie les outils de crise à sa portée :

  1. les enchères illimitées à taux fixe pour les opérations de refinancement des banques jusqu’en juillet 2012.
  2. des opérations de refinancement à 12 mois aux enchères en octobre et décembre.
  3. un programme de rachat de Covered Bonds (obligations adossées à des créances hypothécaires ou à des créances du secteur public) jusqu’en octobre 2012 pour un montant total de 40 milliards d’euros.
  4. Une éventuelle baisse du taux directeur en décembre ou plus tard.

La Banque centrale applique le principe de séparation entre les mesures statutaires pour la stabilité des prix à moyen terme, et des mesures non conventionnelles pour aider à une meilleure transmission de la politique monétaire à l’économie réelle via les banques. Le taux de refinancement à 1,5%, compte tenu d’une inflation à 3%, donne aujourd’hui des taux réels négatifs. Mais les tensions sur les emprunts d’États européens et la contagion au système bancaire font monter les primes de risque exigées, tandis que les banques peinent à trouver la liquidité pour prêter.

La tâche de la BCE est de tenter de passer le cap en attendant que les politiciens européens trouvent, dans la lenteur électorale et les palabres démocratiques, une réponse crédible globale à la crise des dettes souveraines. Fournir la liquidité aux économies reste indispensable à la croissance (déjà très faible). Car plus la crise dure, plus la confiance disparaît et met du temps à revenir, plus les investisseurs comme les consommateurs hésitent à agir. L’austérité budgétaire n’est utile aux États que si elle force les opinions aux réformes d’organisation et d’efficacité des services publics, pas si elle pénalise l’investissement public et coupe brutalement dans les filets sociaux.

Parmi les trois acteurs que sont les banques, la Banque centrale et les États de l’Eurozone, chacun doit y mettre du sien : les banques en acceptant des pertes sur leurs emprunts grecs et en cantonnant leurs investissements financiers risqués, la BCE en jouant sur ses leviers des taux et des enchères de rachat d’emprunts éligibles, les États en se réformant mieux et en organisant une concertation européenne qui manque cruellement (y compris sur la régulation du système financier). Vaste chantier pour les futurs élus polonais, français et allemands !

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