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Musée Prinsenhof à Delft

Le Prinsenhof – la cour des princes – est le bâtiment où Guillaume de Nassau est venu se réfugier en 1583 avant d’y être assassiné un an plus tard par Balthazar Gérard ; il était originellement le couvent Sainte-Agathe. Nous y voyons le couloir où il a été arquebusé, deux trous de balle encore conservés dans le mur. Le prince d’Orange, dit « le Taciturne » car il parlait peu, chef de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d’Espagne Philippe II, fils de Charles Quint. Les Espagnols offriront une prime à qui l’assassinera et, après avoir échappé à plusieurs tentatives, la dernière sera la bonne. Poutine n’a rien inventé.

Le bâtiment organise une exposition consacrée au Delft de Vermeer. Elle présente le contexte culturel et historique de l’époque du peintre. J’en ai parlé antérieurement. Des tableaux de ses contemporains montrent que les sujets qu’il traitait était ce qui plaisait au public, quelques documents prouvent que non seulement il a existé mais qu’il a eu une vie et laissé des peintures en héritage.

Quelques paysages de Delft sont présentés, mais pas aussi vivants que celui de Vermeer. Il y a les mêmes filles, les mêmes intérieurs, les mêmes portraits et les mêmes scènes de genre, mais d’un talent moins affirmé.

Les tableaux d’autres peintres présentent des scènes de bordel avec les mêmes codes esthétiques : les perles, le petit sourire, la chaufferette pour se faire des sensations sous les jupes, les lèvres pulpeuses, le regard direct, la lettre. Pour moi, la Jeune fille à la perle est peut-être prête à s’offrir, mais elle a à peine 13 ans et reste virginale. Comme le guide dérape parfois dans des envolées émotionnelles d’inverti lyrique, laissons-lui son avis. En tout cas, nous en saurons plus sur Vermeer en revenant parce que nous y aurons réfléchi.

Une salle est consacrée à la fabrication de la faïence, parfois affinée pour ressembler à la porcelaine avec plusieurs cuissons successives.

Le musée ferme à 17h30. À la sortie, un joli petit garçon–fille de 4 ans, ou peut-être fille–garçon. « Iel » a les cheveux longs, blonds, un pantalon de jean mais une chemise fleurie à col rond sous le pull. « IIe » a une attitude décidée de garçon mais les jeunes parents sont peut-être branchés, adeptes du sans–genre.

Il y a de la circulation sur l’autoroute pour rentrer à Amsterdam en ce samedi soir. De très nombreuses voitures sont de couleur noire, peut-être un reste du vieux fond austère calviniste. Les champs sont séparés par les canaux de drainage et d’irrigation. On cultive surtout des fleurs. Nous revenons à l’hôtel vers 18h30, fatigués d’en avoir trop vu d’un seul coup. J’ai besoin de décanter. À l’arrêt du bus, au retour, toute une bande de Chinois attend le car. Ils sont venus peut-être pour l’exposition du siècle. La plupart portent encore des masques, le tourisme reprend.

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Marmots à Marmottan

marmottant expo 2016 l art et l enfant affiche

Jusqu’au 3 juillet 2016, l’exposition L’Art et l’enfant, chefs-d’œuvre de la peinture française présente près de 75 œuvres provenant de musées et de collections particulières sur le thème de l’enfant (filles et garçons), du XIVe au XXe siècle. Sept sections chronologiques couvrent les thèmes.

Enfant-Dieu, enfant-roi, enfant-héritier, le petit ou la petite ne sont que des maillons d’une lignée jusqu’au siècle de Rousseau qui réhabilite l’attachement en raison des progrès de la médecine qui réduit la mortalité infantile. On se préoccupe alors d’allaitement maternel plutôt que de nourrice, d’éducation plutôt que de liberté, de jeux plutôt que de travail.

Avec les révolutions, Gavroche envahit la peinture, enfant martyr comme Bara, enfant des barricades, jeune clairon ou tambour. La préoccupation sociale s’occupe aussi de montrer petits miséreux ou bourgeois, vendeurs de violettes aux vêtements déchirés ou adultes en réduction comme papa ou maman. Le siècle industrieux enivré de grandes idées sur l’Humanité croit même à la « page blanche » sur laquelle la société et les parents peuvent tout écrire. L’Église, l’hygiénisme médical et l’État vont embrigader l’enfance dans les carcans de la morale et de la discipline. L’enfant qui était l’avenir de la lignée devient l’avenir du pays avant d’être le miroir du couple – ou de l’artiste.

À l’aube du XXe siècle, le dessin d’enfant rencontre les avant-gardes et les dessins de bohèmes en herbe comme Maurice Denis et Jean Lurçat sont présentés pour la première fois au public. Quand l’infantilisme saisit l’art « moderne » pour explorer décidément toutes les impasses contre « l’asphyxiante culture ».

freres le nain enfants avec une cage a oiseau et un chat bpk berlin

Les œuvres sont le reflet de la société dans laquelle elles sont nées. Le statut de l’enfant a évolué avec les mœurs et les pratiques. C’est donc moins le portrait que les scènes de genre qui sont privilégiées dans cette exposition, aboutissant au statut à part entière de l’enfant que le XXe siècle magnifiera au-delà de tout raisonnable – jusqu’à l’infantilisme de caricature.

Encore qu’il faille nuancer fortement les propos des « chers professeurs » qui commentent le catalogue sur les âges farouches : la représentation picturale n’est pas la vie réelle et si les scènes peintes jusqu’à la fin du XIXe siècle paraissent souvent empruntées, c’est qu’elles avaient le but symbolique d’éterniser le statut social. Le sentiment, c’est autre chose, il restait dans l’intime, les parents en avaient un peu honte en public. Il n’est d’ailleurs que de se souvenir du siècle bourgeois, qui a duré jusqu’en mai 1968 : si l’on pouvait vivre en slip dans le jardin clos, pas question de sortir dans la rue sans être habillé des pieds à la tête, col boutonné et veste de rigueur. Il fallait se montrer sous un jour « respectable ».

L’enfant est longtemps représenté comme accessoire : fils de Dieu (Philippe de Champaigne, Louis XIV offrant sa couronne et son sceptre à la Vierge tenant l’Enfant, v.1650), de roi (Henri Testelin, Louis XIV roi de France et de Navarre, 1648) ou de paysan (frères Le Nain, Enfants avec une cage à oiseaux et un chat, v.1646). D’enfant-lignée qui va prendre la suite des adultes dans les années futures, le juvénile est peu à peu valorisé pour lui-même, préservé comme « innocent » jusqu’à la cucuterie (Pierre Mignard, Louis-Marie de Bourbon, v.1681) ou abandonné dans les insurrections (Philippe-Auguste Jeanron, Les petits patriotes, 1830) ou dans les rues jusqu’à l’indécence (Fernand Palez, Un martyr, le marchand de violettes, 1885).fernand palez un martyr le marchand de violettes muses beaux arts paris

Il y a de la quête d’identité dans la représentation de l’enfant, de la sensualité sauvage à la discipline (Jean-François Millet, La précaution maternelle, v.1855), puis la célébration des rôles sociaux en ces petits en situation (Eva Gonzalès, Enfant de troupe ou Le clairon, 1870), jusqu’à s’intéresser à l’enfance comme « race » à part (Félix Vallotton, Le ballon, 1899), vivant par tous les sens hors de raison (Pablo Picasso, Le peintre et l’enfant, 1969), jusqu’au culte de la jeunesse éternelle et du spontanéisme immature revendiqué aujourd’hui. Même les adultes se veulent désormais « mignons » et androgynes comme l’enfant mythique, légers et joueurs comme lui, vivant au seul présent sans se préoccuper ni du passé, ni des autres, ni du futur.

philippe auguste jeanron les petits patriotes musee beaux arts caen

Une expo bien classique, à vocation édifiante, qui a le mérite de présenter des œuvres rarement sorties de leurs cimaises ou des alcôves privées. Mais n’attendez aucune révolution du regard : il est bien formaté par l’université.

Musée Marmottant, 2, rue Louis-Boilly 75016 Paris, ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, plein tarif 11€, tarif réduit 6.50€

Billetterie en ligne à la Fnac

Musée Marmottant présentation

Exposition L’art et l’enfant jusqu’au 3 juillet 2016, (très) courte vidéo de présentation

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