Une méthode dangereuse (A dangerous method) de David Cronenberg

La méthode dangereuse (pour la morale bourgeoise chrétienne) est celle de la psycho-analyse, que Freud (Viggo Mortensen) impose d’abréger en psychanalyse. « Science juive » – il le dit dans le film – cette obsession à chercher du sexe dans tout désordre psychologique hérisse Carl Gustav Jung (Michael Fassbender), qui n’est pas juif et pense élargir le concept aux archétypes culturels et à l’inconscient collectif. Mais Freud, jaloux de son autorité et très paternaliste, cigare à la bouche (substitut de pénis ?) à la tête de ses six enfants et de ses nombreux disciples envoûtés, refuse de sortir du matériel (le sexe) pour des spéculations (et pourquoi pas la télépathie ?). Cet aspect impérieux du personnage, dialectique et sûr de lui, est une réussite du réalisateur.

Le film est tiré d’une pièce du britannique Christopher Hampton The Talking Cure inspirée d’un roman de John Kerr – autant dire qu’il simplifie la simplification et outre les propos ! Il tente de saisir la psychanalyse vers 1900, lorsqu’elle n’est pas encore admise et est plutôt crainte comme une « peste », ainsi que Freud le déclare à Jung sur le bateau qui les emmène en conférences aux Etats-Unis.

Pour rabaisser Jung, médecin suisse à l’épouse riche qui risque de lui faire de l’ombre, Freud fait miroiter son héritage à la tête du mouvement psychanalytique et lui envoie une patiente diabolique, la juive russe Sabina Spielrein (Keira Knightley). Son jeu d’actrice est à l’excès, presque surjoué, à croire que la névrose est aussi dans sa vie. Cette demoiselle qui rêve d’être médecin et pourquoi pas psychanalyste elle aussi, est hystérique, parcourue de spasmes. Son père l’a humiliée nue dès l’âge de 4 ans et certains mots ne peuvent sortir car elle jouit lorsqu’elle est battue et se précipite dans l’autoérotisme, ce qui lui fait honte. Elle ne rêve que de s’envoyer en l’air dans les étoiles ou du grand voyage dernier qui est le suicide. Sa thèse, plus tard, aura pour sujet Destruction comme cause du devenir : pour elle, donner la vie donne la mort, on ne peut que s’effacer en mettant des enfants au monde, sexe et mort sont liés. Jung l’écoute, la cure par la parole, lui laisse entendre avec optimisme que rien ne s’oppose à ce qu’elle soit un jour médecin. Il la guérit – mais pas sans ce phénomène du transfert, bien connu des psychanalystes, qui rend sa patiente amoureuse de lui.

C’est alors que Freud lui envoie un autre patient, son disciple Otto Gross (Vincent Cassel), anarchiste et drogué, obsédé de sexe comme Freud mais qui lâche ses désirs sans contrainte comme préconisé deux générations plus tard en 1968. Il a déjà fait trois petits-fils bâtards à son magistrat bourgeois de père qui, s’en est trop, l’envoie se faire soigner. Gross va convaincre Jung, moins au fait que Freud et lui de l’ensorcellement dialectique, qu’il doit céder à ses désirs pour soigner vraiment. Seule la vérité mise au jour importe, n’est-ce pas ? Et le piège se referme sur Carl Jung.

Il cède à sa patiente Sabina, nymphomane avide de le baiser ; il la fouette, il la « défonce » (terme de Gross), et elle adore ça. Cette physique expérimentale est bien meilleure que celle qu’il peut tenter avec sa femme Emma (Sarah Gadon), qui ne lui donne que deux filles avant de « réussir » un garçon. Cette humiliation sociale de l’époque patriarcale la rend tolérante aux frasques extra-conjugales de son mari, qu’elle devine avant d’en savoir plus par la rumeur.

Lorsque, par bienséance (et parce que son épouse vient de lui donner enfin un fils), l’aryen Jung veut rompre avec la juive Sabina, celle-ci se révolte : à la fois comme amante, comme juive et comme femme. Pourquoi ne pas continuer à la « soigner » alors que cela n’enlève rien à l’épouse ? Tout l’écart entre la Vienne autrichienne juive moderniste et le Zurich suisse aryen et bourgeois est illustré. L’intelligence serait du côté Freud, la mystique du côté Jung. C’est un peu simple, mais on ne fait pas de film sans caricature et Cronenberg, étant lui-même d’origine juive lithuanienne, ne pouvait que privilégier les siens.

Mais la psychanalyse soigne-t-elle vraiment ? A suivre les personnages, aussi bien les médecins que les patients, on peut en douter… C’est ce qui fait la mélancolie du film, malgré les scènes « hystériques » très bien jouées entre Sabina et Jung, entre Gross et Jung et même entre Freud et Jung.

DVD Une méthode dangereuse (A dangerous method) de David Cronenberg, 2011, avec Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen, Vincent Cassel, Sarah Gadon Warner Bros 2012, 1h35, blu-ray €8.39, standard €8.47


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4 réflexions sur “Une méthode dangereuse (A dangerous method) de David Cronenberg

  1. Intéressant.

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  2. J’ignore si le patient « y croit », en tout cas, il espère, il s’engage. La psychanalyse n’est pas vraiment un échange de paroles, encore que les thérapeutes sont amenés à parler davantage aujourd’hui (comme Freud ) car leurs interlocuteurs peinent vraiment à trouver les mots pour exprimer ce qu’ils vivent, ressentent, pensent. Les faits survenus avant trois ans sont imprimés dans le corps. Ils peuvent être décelés et peuevnt faire l’objet de suppositions étayées à la lumière d’attitudes récurrentes chez l’adulte. Je pratique les thérapies narratives. Cette approche prime, non l’exactitude du souvenir, mais la façon dont le narrateur le construit ou le reconstruit, avec ses mots et sa vision dans le présent. La réalité actuelle se substitue au passé jusqu’à un prochain récit réactualisé. Bon, cela mérite un large développement, impossible ici. Les parents,amis ou autres ne font peut-être pas de la psychologie sauvage, mais en prêtant simplement l’oreille, ils accueillent une parole qui cherchait seulement à être dite et écoutée.
    Quant à conférer un statut scientifique à la psychanalyse, seul Freud l’a vraiment souhaité. La plupart s’accordent à dire que psychanalyse et thérapies diverses relèvent de l’art, comme la médecine, et ne sont aucunement des sciences exactes. La nature humaine est d’une complexité infinie et son exploration illimitée. Détermination, confiance et temps sont nécessaires à la compréhension d’un bout de soi-même. Les thérapies brèves et les thérapies cognitives comportementales, très en vogue,- aux antipodes de la psychanalyse- centrées sur l’obtention de résultats à court terme ne sauraient dénouer l’écheveau psychique en un coup de cuillère à pot comme la société de l’urgence le voudrait. D’autant que le flot d’informations circulant 7j/7 et 24h/24 désoriente l’individu, de plus en plus au courant, et de plus en plus incertain de sa place. Je cite volontiers ici Jean d’Ormesson : « L’homme règne comme jamais sur l’univers qu’il a conquis, au moins par la pensée. Tout se brise et tout se brouille en lui et autour de lui. On n’en finit pas de le soigner et d’essayer de le guérir. Et on n’en finit pas de soigner le monde et d’essayer de le guérir. » ( Un jour, je m’en irai et tout sera dit, Pocket 15880).
    Le soin de soi, vaste programme ! À ceux et celles qui désirent néanmoins cheminer en « Psy » avec légèreté, je recommande la lecture de  » L’art de la thérapie, de Irvin Yalom, Galaade éditions.

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  3. Merci pour la précision concernant Sabina, je l’ignorais.
    Sur la psychanalyse, si le patient « choisit », c’est qu’il y « croit » : ne serait-ce donc qu’une forme d’homéopathie ? De méthode Coué ? De religion qui aide à voir un sens à sa propre existence ?
    Y a-t-il autre chose dans la « cure » que le simple échange de paroles, donc de souvenirs ? Dès lors, quid de la mémoire avant l’âge de la parole vers 2 ou 3 ans ? Les « traumatismes » enfouis pourraient-ils vraiment ressurgir ou seraient-ils reconstruits – voire inventés ?
    La « relation véritable » a-t-elle besoin d’une discipline telle que la psychanalyse pour exister ? Auquel cas, quelle est la prétention « scientifique » de la psychanalyse ? Parents, amis, maîtres à la Socrate, curé, confident, font-il de la psychanalyse sans le savoir comme l’autre de la prose ?
    Beaucoup de questions sur cet événement qui attire trop de jeunes à étudier une impasse, dans leurs souhaits pour l’université.

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  4. l faut savoir que le roman et le film doivent beaucoup au journal et aux lettres de Sabina découverts fortuitement à Genève en 1977, longtemps après le décès d’un des premières femmes psychiatre et psychanalyste. Journal et correspondance ont été publiés en français chez Aubier Montaigne en 1981.
    Quant aux vertus curatives de la psychanalyse, elles sont réelles dans la mesure où la personne a choisi cette approche pour explorer son trouble existentiel. La thérapeutique, quelle qu’elle soit, opère si le patient l’a choisie de son plein gré, et si et seulement si, une relation véritable s’établit entre consultant et consulté.

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