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Jean-Marie Déguignet, Mémoires d’un paysan bas-breton

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Né fils de journalier agricole en 1834, dernier d’une famille nombreuse pauvre, obligé d’allier mendier son pain parce l’école n’était pas obligatoire, ce Quimpérois d’un hameau de l’Odet est l’exemple même de l’arriération bretonne comme de la méritocratie républicaine. Son témoignage est crucial sur le tournant du siècle et les débuts de la IIIe République.

Il a tout vécu, Jean-Marie : les rois, l’empereur, le général tenté par la dictature (Mac Mahon), la république. Il a été mendiant, vacher, domestique, soldat, sous-officier, cultivateur métayer, bistrot, courtier d’assurances, tenancier d’un bureau de tabac. Il a été en Crimée, à Jérusalem, en Italie, en Kabylie et au Mexique. Il ne s’est marié qu’à 34 ans, s’est toujours méfié (avec raison) des bonnes femmes, a eu cinq gosses qu’il a élevé comme il a pu, leur assurant au moins le pain et les hardes. Il est devenu veuf d’une femme abîmée dans la soûlerie, séparé d’une compagne pathologiquement jalouse, exclu de ses enfants devenus adolescents – donc productifs – par sa belle-famille, avant de finir à l’hospice.

Paranoïaque en diable (on le serait à moins), athée républicain bouffeur de curés, il se réfugie dans l’histoire de sa vie parce que son intelligence dépasse de loin le milieu dans lequel il vit, parce que sa curiosité n’est en rien celle des Bretons de son entourage, et qu’il pense par lui-même au lieu de suivre les autorités de naissance ou de religion. Il est petit (moins d’1m54), accroché à la vie, tenace ; il ne tient pas en place tant du corps que d’esprit, usant de toutes les occasions pour apprendre : la terre, la savate, l’italien, la philosophie… Il est sociable, il écoute, il teste – mais reste inébranlable sur ses convictions politiques (les emplumés et ensoutannés exploitent le peuple par leurs belles paroles) et religieuses (le fils de Madame Joseph était un noceur qui a renié ses frères).

Sa faiblesse ? Ne pas savoir refuser un service à qui en a besoin. Ce qui va l’entraîner à quitter l’armée sous-officier avant d’y revenir simple soldat, faute de travail en Bretagne et par jalousie des ‘cousins’, puis à se marier sans l’avoir voulu, puis à soigner ses enfants qui seront bien ingrats (sauf le garçon de 19 ans dont la mort lui arrache un cri de désespoir), enfin à confier ses cahiers à Anatole Le Braz, pape du régionalisme breton d’époque, qui attendra sept ans avant de réaliser sa promesse de l’éditer dans La Revue de Paris.

bretons paysans 19e

Il aura le bonheur de se voir survivre par l’écriture, avant de mourir quelques mois plus tard. Sa vie, en 24 cahiers de 2854 pages, est un roman d’aventure écrit d’une belle langue française, avec des mots bretons, italiens et espagnols glanés dans ses campagnes. Il écrit vrai, Déguignet, et remet à leur place les folkloristes et leur romantisme du ‘c’était mieux avant’. Non ! C’était pire avant : les enfants mouraient en bas âge, l’ignorance était entretenue par les curés et les nobliaux pour exploiter les métayers et les journaliers, la vanité se mesurait aux railleries bretonnantes, chaque canton avait sa langue et comprenait à peine les autres Bretons, encore moins le français, la routine régnait en maître jusque dans les familles, où les femmes étaient les pires conservatrices de ce qui se fait et doit se faire éternellement, où aucune réussite n’était possible sans sacrifier au clientélisme local et faire allégeance…

Sur la fin de sa vie, il tire ce bilan personnel : « Si j’avais été une brute complète, sans pensée et sans réflexion, je serais sans doute la plus heureuse des créatures, puisque j’ai du pain à manger et un trou pour me cacher. Mais je pense, je réfléchis et je raisonne sur les maux et les tourments de mes confrères, et sur les canailleries, les fourberies, les iniquités et les injustices dont ils sont victimes de la part des voleurs et des bandits qui ont l’impudence, le cynisme et l’effronterie de se dire les gouvernants, les représentants et les protecteurs du peuple, lorsqu’ils n’en sont que les seigneurs et les égorgeurs » p.414.

A lire pour se réjouir de la vitalité d’un Breton qui refuse la complaisance folklorique, un brin méprisante, des élites qui utilisent le régionalisme comme tremplin personnel. A lire pour ce grand bol d’air de l’aventure dans une société archaïque et coincée, qui paraît si loin alors qu’elle n’a qu’un siècle. Et qu’il en reste de nombreux traits aujourd’hui !

Jean-Marie Déguignet, Mémoires d’un paysan bas-breton, 1905, édition An Here 1998 établie par Bernez Rouz, ou Pocket 2001, 462 pages, €2.62 à 31.55 ou €3.94 en Kindle

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Voyage aux Gambier 2 : les missionnaires

L’église catholique débarque aux Gambier le 7 août 1834. Quelques prêtres et frères convers s’étaient embarqués au Havre à bord de La Delphine. Les prêtres étaient en soutane blanche, les frères en redingote noire. Ils appartiennent à la Congrégation des Sacrés-Cœurs dite de Picpus, fondée par l’abbé Coucrin en 1805. Le symbole des religieux évangélisateurs des Gambier sont les Sacrés-cœurs de Jésus et Marie, emblème de l’ordre missionnaire.

Un voyage difficile et assez inconfortable de 5 mois. Une escale à Valparaiso après 4 mois de navigation où, dans la chapelle du couvent des Cordeliers, ils sentiront le sol bouger, une secousse de 4 à 5 minutes. Le tremblement de terre se situait à Conception… [Était-ce une autre visite de l’archange Gabriel ? – Arg.] Monsieur Charles Darwin, savant anglais, arriva à Talcahuano trois jours après le séisme.

Nos missionnaires embarquent le 4 avril 1835 sur La Peruviana. Le 9 mai 1835, 8 heures du matin, l’archipel des Gambier leur apparaît. Ils débarquent sur l’île d’Aukena. Qui sont ces indigènes qui viennent frotter leur nez contre le nez des arrivants ? Les accueillant avec des Enakoe, Enakoe ! (bonjour). Les autochtones décrits par les Pères ont la peau cuivrée, des cheveux noirs, le front haut et le nez épaté, les dents très blanches. Les hommes portent une longue barbe. Hommes, femmes et enfants vont nus. Les pères essaieront de les vêtir, cela ne se fera pas sans difficultés ! Ils voudront aussi leur apprendre le travail. Les pères éprouveront des difficultés à comprendre l’autochtone et ses habitudes.

Les missionnaires catholiques ont été bien accueillis par la population car la prophétesse Toapere avait, en 1830, vu deux bateaux avec voiles blanches. Le premier arrivé, anglais, n’a pas été autorisé à débarquer, il a du rester au large car il ne correspondait pas à la description de Toapere. Le second, celui des catholiques était le bon, ils débarquèrent. Les Gambier sont depuis le cœur du catholicisme polynésien.

Les constructions édifiées par ce clergé du bout du monde, avec des moyens limités, demeurent belles malgré les outrages du temps. Ils ont beaucoup construit. Certains édifices ont été ensevelis par la végétation, d’autres ont résisté mais nécessitent de sérieux travaux. La cathédrale de Rikitea a pu bénéficier d’une restauration dans les règles de l’art grâce à des moyens financiers conséquents. D’autres églises et couvents s’éteignent lentement.

Les pères s’attaquent aux idoles et avec l’autorisation du roi, de la reine et du peuple vont les détruire en les brûlant. Quelques-uns échappent à l’autodafé, tel Tu à quatre jambes, dieu supérieur invoqué pour une bonne récolte de maiore (uru). Échappe aussi Nitita-en-corde, qui entortille l’âme de ceux qui lui ont manqué de respect. Puis Rao, le Dieu de la débauche évidemment : on baise toujours dans les îles, malgré les curés célibataires. Ronao l’arc-en-ciel qui attire la pluie, un tambour que le roi a donné aux missionnaires, un coquillage sacré, un bâton dont le dieu Mapitoïti se servait pour assommer les hommes et onze autres idoles prendront le chemin de Rome et de Paris. Les lecteurs qui ont vu l’exposition des Gambier ont pu faire connaissances avec quelques-unes de ces idoles.

L’action missionnaire est une réussite à Magareva (1500 habitants), à Aukena (80 habitants), à Akamaru (300 habitants), à Taravai (150 habitants). Depuis le baptême du roi le 25 août 1896, il n’y a pratiquement plus « d’infidèles ». Si les pères parlent de succès aux Gambier, c’est un échec à Tahiti. C’est que Monsieur Evans Pritchard, sujet de sa très gracieuse Majesté, missionnaire protestant de son état, menace le clergé catholique, impose sa volonté à Tahitison et abuse de son influence auprès de la reine.

Le soir de notre arrivée, turamara au cimetière. Il faut honorer les morts. Tombes peintes en blanc, sable (corail) blanc, fleurs à foison, bougies… Toutes les fleurs poussent ici en particulier en cette saison orchidées et lys.

Une petite idée des constructions entreprises par les pères et frères :

  • 1839 à 1858 cathédrale de Rikitea
  • 1836 église de Taku
  • 1847 Sainte Anne à Rikitea
  • 1847 Saint Pierre à Rikitea
  • 1842 presbytère à Rikitea
  • 1847 tissanderies à Rikitea
  • 1842 maison du roi
  • 1848 les tourelles du roi
  • 1860 goélette
  • 1842 « couvent » de Rouru
  • 1861 porte monumentale de Rouru
  • 1837 St Raphaël de Puireau à Aukena
  • 1853 collège de Aukena
  • 1847 croix en pierre du cimetière à Aukena
  • 1837 Notre-Dame de la Paix à Akamaru
  • 1841 Saint Gabriel à Taravai
  • 1856 première cathédrale de Papeete par les Mangaréviens.

C’était juste une petite idée de ce qu’ont entrepris les pères et frères bâtisseurs des Gambier. Nous allons visiter ce chapelet d’îles pieuses.

Commençons par Aukena dont la tour de guet veille sur la mer.

L’église Saint-Raphaël date de 1840 mais est pratiquement inaccessible.

Le Père Laval avait fait construire un collège pour les jeunes Mangaréviens. Restent les murs qui, si rien n’est fait, seront recouverts par la végétation.

Il demeure un four à chaux, une meule et une tour de guet. Les magnifiques perroquets qui nagent en contrebas de la tour sont énormes, mais ne rejoindront pas les assiettes : ils sont non consommables.

Hiata de Tahiti

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