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François Nourissier, La fête des pères

François Nourissier (avec un seul R) est décédé en 2011 à 83 ans après un Parkinson. Il est aujourd’hui oublié – et à mon avis justement – parce qu’il était trop en phase avec son époque et sa génération, sans jamais accéder à cet universel qui passe le temps.

En témoigne ce petit livre, « donné » en 1987 par les compagnies pétrolières Elf et Antar à leurs clients qui se rechargeaient en essence. Il évoque en 36 heures et 9 personnages « la paternité ». Je ne sais quelle fut celle, réelle, de Nourissier, mais ce livre dédié « à Mario » est intitulé « roman ». Hélas, Nourissier parle toujours de lui dans ses romans. Il est définitivement Un petit bourgeois qu’il décrit en 1964, à seulement 37 ans. Il le sait, et se décrit ici en « N. », littérateur invité à un Cercle littéraire de province pour une causerie entre bourgeois oisifs qui se piquent de littérature.

Alcoolique, dopé, trop vieux pour ses désirs, N. apparaît dégoûté de lui-même, faiseur devant ces dames, faisan de la littérature. Je n’aime pas cette platitude qui se plaît à se rabaisser, reste de convenance chrétienne. Cette introspection complaisante, comme pour se faire plaindre ou à réduire le soi à la médiocrité de Tout-le-monde me dégoûte. Quant au style, dont on a vanté les qualité du français, il s’étale en phrases interminables, avec des circonvolutions intestinales qui, dans le fond ne disent souvent pas grand-chose, ou de pompeuses banalités. Là aussi une complaisance à étaler les mots, de presser le suc, sans la pensée qui devrait être derrière.

Le narrateur N., qui n’a que ça à penser lors du long voyage en train (avant le TGV), ne lit pas la presse, ni un livre, ni ses notes. Il ne songe qu’à lui-même, à son existence flanquée d’un fils, Lucas de 17 ans, qu’il a vu grandir mais qu’il n’apprécie plus une fois sorti de l’enfance. Car il veut le contrôler, le façonner à son image, dire pour lui ce qui est bien pour lui. Évidemment l’ado se rebelle, d’ailleurs gentiment, car il n’est pas son père, il n’a que la moitié de ses gènes, et c’est dans son programme biologique de s’émanciper. Mais le père qui croit « l’aimer » ne le comprend pas, ne l’accepte pas, il s’en désole. Ce n’est pas cela, être père. Ce n’est pas cela « aimer » un enfant. Tout le contraire : il faut accepter que l’autre issu de sa chair (ou adopté) soit différent ; il faut l’accompagner dans sa quête de lui-même ; il faut tout simplement « être là » sans s’imposer.

N. découvre dans cette province de l’est une ancienne petite-amie, Nicole, qu’il a baisée lorsqu’elle avait 20 ans et lui 40 et que Lucas venait à peine de naître. Elle est désormais mariée et nantie d’une fille, Bérénice de 16 ans. Il ressent une inclination pour cette enfant mieux élevée que son propre fils, dans une famille unie et non pas divorcée, avec un père présent bien que tonitruant et non pas désordonné. Il la désire, comme un homme vieillissant peut désirer la jeunesse féminine, ce mélange d’adolescence spontanée et de féminité qui s’affirme. A sa stupeur, il reconnaît en elle quelques traits de son fils Lucas. Le narrateur ne l’avoue pas, mais Bérénice est probablement sa fille, « les dates » parlent.

Il connaît donc cet écart entre l’enfant élevé plutôt mal – par lui – et l’enfant élevée plutôt bien – par un autre. S’il s’entend mal avec Lucas, c’est qu’il s’en est détourné, comme de sa mère Sabine, en prétextant la mauvaise entente, le divorce, le travail, son confort. Il convoite la bonne entente de Bérénice avec ses parents, l’union familiale, la réussite de son éducation ; il en est jaloux, masquant cette gêne sous un mauvais désir qui le titille. Elle est l’enfant qu’il n’a pas eue et qu’il n’aura jamais. De quoi avoir un retour d’amour tardif pour le garçon resté à Paris, qui se détache.

Mais on ne refait pas les années ; pour lui, c’est trop tard. Il n’a plus que ses regrets, et pas même la volonté – toujours possible – de réparer, de renouer. En gros ours maladroit et surtout très égoïste, N. le Nourissier nous livre le parfait manuel de tout ce qu’on exècre aujourd’hui : la vanité du petit-bourgeois content de lui, l’égoïsme du petit macho des lettres, la repentance perpétuelle de l’éternel petit raté des relations. Tout apparaît « petit » chez Nourissier.

On comprend qu’un tel tempérament soit « oublié ». Le livre n’est même pas réédité.

François Nourissier, La fête des pères, 1985, Livre de poche 1987, 157 pages, occasion €0,01, e-book Kindle €8,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

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Cartes de vœux

Nous avons changé d’époque, en voici encore un indice : les cartes de vœux.

Au début des années 2000, j’en envoyais à chaque fin d’année une vingtaine. Il n’y avait que très peu de téléphones mobiles et encore moins d’Internet.

Huit ans plus tard, c’était fini : les courriels et les textos avaient remplacé près de neuf envois sur dix. Il était même très snob d’envoyer des bons vœux dès le 1er janvier à zéro heure une minute de n’importe où – jusqu’à cet embouteillage qui a mis fin à la mode.

Aujourd’hui, huit autres années plus tard, c’en est quasiment fini des souhaits de bonne année : si vous n’en envoyez pas, vous n’en recevez aucun. J’ai fait le test.

Les Anglo-saxons, Américains, Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais et Anglais, en envoient toujours : mais la niaiserie française est de n’adopter jamais le meilleur des modes anglo-saxonnes mais le pire (les cadenas d’amour « pour la vie » qui dure jusqu’au divorce imminent, la fête des citrouilles en guise de halle au vin – prononcer allo ouine – la fête des mères, des pères, des maîtresses, des anniversaires, des happy ci ou ça).

Nous pouvons constater, banalisation et habitude aidant, une moindre utilisation des nouveaux jouets technologiques avec les années. Ils deviennent des outils et moins des jouets, des usages courants et moins des exceptions de branché. Ils remplacent sans espoir de retour la succession de tâches fastidieuses qui consistait à trouver de bonnes cartes de vœux, à acheter le bon format d’enveloppe, à acquérir des timbres au bon tarif (les augmentations s’effectuant justement au 1er janvier), à mettre à jour le carnet pour avoir les bonnes adresses, à écrire un mot personnalisé voire un bon mot, à prendre le temps d’aller à la poste – et enfin de prier pour qu’il y ait ni grève, ni je-m’en-foutisme administratif et que « le contrat » de faire parvenir le courrier partout en France en 48 heures soit bien respecté.

Plus rien de tout cela : il suffit d’allumer l’ordinateur.

Je ne suis pas un nostalgique du passé mais je réfléchis au changement qui intervient.

Hier, la cérémonie des vœux était un moment de silence dans une soirée. Comme un recueillement. On pensait aux amis en choisissant la carte et en préparant les mots dans le silence de la plume et le soin de l’écriture à l’encre.

Aujourd’hui, tout est standardisé et raccourci : pas de longs discours en courriels, quelques phrases seulement, encore plus bref en tweet ou en texto – d’où le besoin du téléphone pour appuyer le message parfois auprès des proches. Mais tout cela avec des phrases moins longues et des idées plus courtes, une expression moins réfléchie et plus spontanée. Un immédiat peut-être plus sympathique mais plus superficiel. Hier, on gardait les cartes de vœux, elles donnaient des nouvelles ; aujourd’hui, on jette à la poubelle numérique les tweets, textos et courriels, ils ne disent que des banalités.

C’est ainsi que la vie va et il est vain d’en regretter le cours. Je n’ai envoyé qu’une seule carte cette année, à des plus vieux que moi qui, jamais, ne se mettront à Internet. Pour le reste, la préséance de l’âge traditionnelle m’a fait attendre des plus jeunes que moi un geste : il n’en a rien été. A l’exception des plus proches pour cause d’affection, d’amis chers soucieux de prendre des nouvelles, de rencontres fortuites dans la rue et de deux courriels intéressés à demander quelque chose, tout en souhaitant accessoirement une bonne année.

L’usage est donc de balancer l’envoi des vœux comme non pertinent de nos jours dans les relations sociales « mélangées » de nos cultures « métisses » d’un monde « globalisé ». Puisque cela ne se fait pas partout sur la planète, il serait dominateur de le faire, au risque de choquer les musulmans, les juifs, les hindous, les chinois, les bantous, les inuits et « nos amies les bêtes » – dont aucun n’envoie de vœux. Il est donc politiquement correct de s’abstenir. Une fois de plus. Quand le climat se réchauffe, les relations humaines se refroidissent.

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François Weyergans, Trois jours chez ma mère

Un tissu d’anecdotes banales écrites d’un ton plat par un angoissé dépressif – tel est, en bref, le « meilleur » de la littérature française contemporaine selon ce Prix Goncourt 2005 ! Désolé, je ne suis pas…

J’ai trouvé ce livre dans un hôtel italien, abandonné parmi nombre de romans anglo-saxons dans la bibliothèque du salon. La page 62 était cornée et le reste, immaculé – signe que le lecteur (ou plus probablement la lectrice, puisque les femmes lisent plus de romans que des hommes), en était resté là. Il/elle n’a pas eu le désir d’aller plus loin avant d’abandonner le livre au hasard des autres. Moi si : je suis allé jusqu’à la page 145, au moment où un roman dans le roman inaugure une nouvelle ère de platitudes. Et puis j’ai survolé, profondément ennuyé par cette prose sans goût.

Vous avez un personnage fictif qui se dit Weyergans mais intitule ce vague récit roman pour fabuler à l’aise, sauf que la fabulation ne décolle pas. Il insère donc un certain Weyergraf, qui est lui dans un état second, manuscrit avorté qu’il a eu peine à lancer.

Pas d’histoire, pas de style, pas de musique – ou très faible, au début. La leçon de cuisson d’un homard (vivant) au four retient l’attention (p.31). Sadisme latent qui saisit à la lecture. Il s’agit d’une recette de l’auteur pour sa mère, ce qui laisse entrevoir un abîme de non-dit et de pulsion assassine. Mais rien de cela n’est mis en scène, ni développé. L’auteur ne cesse de répéter, lancinant, qu’il a du mal à écrire, qu’il ne le fait que laborieusement, poussé par le fisc et par son propriétaire pour payer impôts et loyers. Cela se voit beaucoup trop…

Bien qu’il dote ses « filles » de roman de prénoms bobos impossibles, Zoé et Woglinde (p.13), bien qu’il saisisse au vol tous les mots qui surgissent au fil de son monologue interminable pour s’efforcer d’en extirper de laborieuses évocations à la Proust, l’ensemble est raté.

Quand je pense que François Weyergans a été élu en 2009 à l’Académie française, je me demande comment la littérature en est arrivé là. Lecteur, si m’en croyez, fuyez ce roman, les Goncourt et toute cette sorte de publications encensées des critiques officiels !

Je ne suis pas le seul à n’aimer point ce genre de bouquin et je vous livre un critère objectif : il n’y a pas moins de 108 exemplaires de Trois jours chez ma mère disponibles en occasion sur Amazon en septembre 2017, à 1 centime d’euros. Et je vous passe le meilleur des commentaires…

François Weyergans, Trois jours chez ma mère, 2005, Folio 2007, 231 pages, €8.20, e-book format Kindle €7.99

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