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Henri Queffélec, Un recteur de l’île de Sein

Un recteur en Bretagne est un curé de petite paroisse. Or Sein est une île, 242 habitant en 2018 et probablement guère plus en 1740. C’est l’époque, intemporelle, pré-révolutionnaire, où l’auteur situe son histoire : celle d’une communauté qui veut son curé. Le dernier a duré dix ans et a fini par partir, las des tempêtes qui submergent parfois toute l’île, ou la coupent en deux, las du vent violent incessant et de la pluie, quasi constante. Aucun autre curé n’a voulu être nommé dans ce purgatoire.

Cela ne fait pas l’affaire des habitants. Ils ont la foi simple dite « du charbonnier », parce qu’illettrés et soumis depuis des siècles au pouvoir royal chrétien. Mais c’est moins la foi qui compte que la communauté. Les gens de l’île veulent pouvoir se réunir autour d’un personnage qui les représente, les écoute et les « lave de leurs péchés » – autrement dit un maire et un psy à la fois. C’est ce qui est énoncé expressément partie 4 chapitre 1 : « Il ne leur déplaisait point, par leur religion, de se sentir unis avec la chrétienté tout entière ; néanmoins, avant de les unir aux autres, la religion les unissait entre eux. La religion pour eux c’était d’abord le corps matériel de la paroisse – l’assemblée des fidèles, le curé, le son des cloches. Le jour où le prêtre leur avait été supprimé, ils avaient tendu à se désagréger, ils avaient failli perdre le sens du village, et en poussant l’un d’eux d’entre eux à remplacer le prêtre, ils avaient obéi à l’instinct de la conservation. »

Si Dieu est partout, c’est une joie cependant de l’enfermer dans une église avec les gens présents. Sans recteur, point de communauté. Thomas Gourvennec, le sacristain plutôt frêle, se sent inspiré de parler devant tous. Il ne fait qu’exprimer ce que les gens ressentent de leurs conditions d’existence. Chacun le congratule, le félicite de donner des mots à leurs maux. Il récidive. Peu à peu, il en vient à jouer au curé, lui qui ne sait pas même lire. Mais il ne peut administrer les sacrements, sauf le baptême, puisque tout chrétien est habilité à le donner. Saint Augustin insiste sur le fait que, quel que soit le ministre, « c’est le Christ qui baptise ». Les Notes du Rituel (n° 16) énoncent qu’« en l’absence d’un prêtre ou d’un diacre, s’il y a péril de mort, et surtout si la mort paraît imminente, tout fidèle, et même toute personne animée de l’intention requise pour un tel acte, a le pouvoir et parfois le devoir de conférer le baptême. » Y compris un non-chrétien, en appliquant la formule baptismale trinitaire (« au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »).

Thomas se rend à Audierne pour demander audience à l’évêque. Il a fait écrire par un sabotier de la ville, qui a suivi le séminaire sans prononcer ses vœux, une lettre qu’il porte. Évidemment, l’évêque est bien trop occupé et imbu de sa personne pour recevoir un tel manant sauvage. Ne dit-on pas de Sein qu’elle est l’île des naufrageurs, ceux qui allument des feux pour attirer les bateaux sur ses rochers et les piller ? N’a-t-on pas retrouvé sur la grève du continent deux naufragés tout nus, dépouillés de tout, de deux pièces d’or et jusqu’à leurs vêtements, et qu’on a déposés depuis Sein avec un bandeau sur les yeux ?

Le silence de l’évêque pousse Thomas, lui-même poussé par ses paroissiens, à entrer de plus en plus dans le rôle d’un curé. Veuf sans enfant, il s’abstient désormais de tout commerce charnel ; s’il rechigne à entendre en confession, il finit par s’y mettre car il est de bon conseil – et ne cancane pas ensuite. Des enfants meurent, il faut bien leur donner sépulture chrétienne, donc prononcer les mots de la liturgie. Il n’y a que pour les mariages, qui exigent un registre, qu’il faut encore aller sur le continent. Thomas apprend du sabotier à lire et à écrire, et à comprendre les paroles latines du rituel.

Les rumeurs d’un recteur de fait parviennent à l’évêque, qui envoie sur Sein un vrai curé, accompagné de six gendarmes. L’île serait-elle hérétique ? Mais le curé ne voit que de bons chrétiens, qui chantent haut et fort la venue du Christ et les vertus de leur sacristain faisant office de recteur. Ils lui sont très attaché. Il rend compte et l’évêque consent à former Thomas durant quatre ans pour en faire un vrai curé. Mais Thomas a du mal avec les lettres, il échoue à son examen. Ce qui ne l’empêche pas, de retour sur son île sans recteur, de reprendre son rôle de faisant-office. Jusqu’à ce que l’évêque, après des années, consente à considérer la pratique comme aussi utile que la théorie, et à l’ordonner prêtre…

Cette fable dit moins l’enracinement de la foi chrétienne en cette île du finis terrae, peuplée, jusqu’à l’ultime limite de la christianisation, par des prêtresses druidiques, que de l’esprit collectif de ces pêcheurs et marins. Ils veulent être réunis, chanter ensemble et célébrer Dieu tandis que les tempêtes font rage et que le vent se déchaîne. Même s’ils n’ont ni blé ni vigne pour créer le corps et le sang du Christ, et qu’ils doivent même importer parfois l’eau du continent durant les étés de sécheresse. Le roman est plus une célébration de l’île de Sein – et de ses habitants en âge de porter les armes qui sont massivement partis à Londres auprès de la résistance gaulliste – qu’une ode à la religion. Ce pourquoi il se lit encore. Les descriptions du paysage et des éléments sont réalistes et grandioses. Qui a vu Sein a vu loin. Ce roman y aide.

Henri Queffélec, Un recteur de l’île de Sein, 1944, Pocket 2018, 224 pages, €7,00, e-book Kindle €9,99

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Château de Montségur et catharisme

Le guide nous fait lever à 6h15 car la randonnée sera longue, la visite du château commentée à certaines heures, et l’horaire à Foix à 18 h. Il ne fait pas encore vraiment jour lorsque nous prenons le petit-déjeuner, tout prêt dans la salle commune. Seul le vieux chien qui dormait là hier a suivi sa maitresse et est rentré chez lui. Le gros pavé de talc brut de Luzenac qui sert à caler la porte est d’une douceur sans nom à la main.

sentier cathare gorges de la frau

Nous descendons dans les gorges de la Frau, piste forestière en pente douce dans la « réserve biologique intégrale » plantée de hêtres et de conifères.

pluie gorges de la frau

Nous suivons ladite route des sapins » sous une bruine dégouttante avant de remonter, longtemps et rudement de l’autre côté : 600 m de descente et 800 m de remontée ! Nous y observons le coquelicot jaune, je n’en avais encore jamais vu.

coquelicot jaune

L’étape sera de 21 km, ponctuée par le pique-nique après les gorges et la remontée jusque sous Montségur. Mais il faut encore grimper au château, sis à 1207 m, et la billetterie n’est qu’à mi-chemin de l’escarpement ! Nous suivons le chemin de Rixende, du nom d’une bonne femme, supérieure des parfaites de Montségur, emprunté quarante ans durant par les cathares.

montsegur village

Le château actuel de Montségur n’a en fait rien de cathare : le point fortifié des Parfaits et des faydits a été détruit et celui-ci n’est qu’une ruine croisée appartenant à la famille de Lévis, bâtie en 1244 avec les pierres précédentes. C’est en fait tout le pog, long de 800 m, qui était fortifié et les seuls restes authentiques sont les fondations des maisons que l’on peut encore apercevoir à l’extérieur des remparts. Même si, sous la brume comme aujourd’hui, les ruines prennent un mystère romantique, la réalité force à dire que les ruines cathares sont un mythe d’aujourd’hui.

montsegur chateau

Environ 600 personnes pouvaient vitre sur le piton fortifié. En mai 1242, onze inquisiteurs sont tués à Avignonet par des faydits venus de Montségur. Le pape en colère oblige le roi de France à ordonner le siège du piton, commencé en mai 1243 par Hugues des Arcy. Il dure dix mois, l’hiver est rude. Le 2 mars 1244, les assiégés se rendent mais une mystérieuse trêve de 15 jours (qui fera gloser) est décrétée pour que les Cathares du lieu abjurent ou périssent. Le 16 mars 1244, ce sont 220 Cathares qui montent – certains volontairement, en croyants convaincus d’atteindre direct le paradis – sur le grand bûcher préparé au pied de la forteresse. Le village s’est installé en contrebas en 1287, sur son emplacement actuel.

montsegur chateau interieur

Le conférencier est un fils du village qui parle bien. Il captive les enfants et les adolescents montés depuis le parking mais trop peu vêtus pour ce frais qu’installe la brume. Les garçons de 13 et 15 ans se blottissent contre leur mère tandis que les fillettes de 7 et 9 ans font de même près de leur père, c’est amusant. La légende romantique du Montségur cathare est née fin XIXe, créée par le protestant républicain Napoléon Peyrat ; elle s’est enrichie par la suite de « mystères » liés aux Templiers, au Graal et aux nazis. « Mais n’oubliez pas, dit le conférencier, que les Cathares se veulent de parfaits… chrétiens : ils prennent l’intégralité du Nouveau testament. Ils étaient donc moins « hérétiques » que « puristes » ou « intégristes » de l’église des premiers temps des apôtres, en tout cas en faveur de la paix. Ils se disaient eux-mêmes « bons hommes ». »

Pour eux, Dieu étant parfait n’a pu créer le Mal, ni la corruption de la chair. Ce monde-ci est donc du Diable, radicalement hors du divin. L’humain est entre les deux, doté d’une âme qui a vocation à rejoindre Dieu à condition de le mériter. Ce pourquoi les Parfaits ne mangent point de viande, chair pervertie par la sexualité. Tant qu’elle pèche, l’âme se réincarne dans la matière. L’église catholique est donc, pour ces fondamentalistes évangélistes, du diable : trop riche, trop doctrinaire, trop cléricale, loin du pur message des évangiles. Au contraire, les cathares ne veulent recevoir le baptême qu’une fois adulte, baptême fondé en raison, comme le Christ sous l’eau de saint Jean-Baptiste. Chaque Parfait peut imposer les mains, reconnaître ou absoudre par le consolament.

Dressés contre l’Église et contre l’obéissance féodale, attirant à eux petits nobles déclassés, lettrés et bourgeois en plein essor sans espoir d’atteindre la noblesse, comment n’auraient-ils pas été rejetés, convaincus idéologiquement « d’hérésie » et vaincus ?

Ce ne sont pas les Parfaits qui se battaient, ils avaient décidé de suivre le Christ en pauvreté et bonté, faisant le serment de ne jamais tuer. Mais ce sont les faydits et leurs affidés, ces seigneurs dépossédés de leurs terres par les croisés du nord, qui défendaient leurs fiefs, femmes et enfants.

montsegur panorama

Le catharisme ne vient pas d’ailleurs, mais de la réflexion théologique elle-même. L’essor de la dialectique a fait choisir à certain le principe d’absolue contradiction : Dieu s’oppose au Diable comme le Bien au Mal, le parfait et l’imparfait. Bien loin de la sagesse chinoise de l’harmonie et du juste, la pensée platonicienne atteint avec les Cathares un délire puriste. Aucune conciliation n’est possible avec les contraires. Ce monde et cette vie-ci sont méprisables, seul l’au-delà et la vie éternelle – par le passage de la mort – valent. « Mon royaume n’est pas de ce monde », disait le Christ…

La fin du catharisme est moins due à la répression sanglante qu’à son extinction progressive grâce à a création des ordres monastiques mendiants dans l’Église officielle. Ils répondaient au désir de pureté des fidèles et au désir d’intégration des élites déclassées ou en ascension. Comme les Parfaits, ils donnaient eux aussi l’exemple d’une vie de pauvreté et d’abnégation au service des autres.

montsegur panneau indicateur

Après la visite, nous nous contentons de redescendre sur le parking où le taxi vient nous prendre pour nous conduire à Foix, sur le parvis de la gare, où certains ont garé leur voiture et d’autres prendront le train.

FIN de la randonnée sur les « chemins cathares ».

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Cathédrale de Saint-Brieuc

Vers 485, le moine gallois Brieuc débarque avec 84 compagnons. Le comte Rigwal leur offre un terrain où construire un monastère. Ainsi naît Saint-Brieuc ville, érigée en 848 en évêché. A l’époque, la cathédrale est en bois, dédiée à saint Étienne.

elevation st brieuc cathedrale

La première construction en pierre ne date que de 1050, une fois les incursions vikings terminées.

st brieuc cathedrale

La nef à sept travées ne date que du XVIIIe.

st brieuc cathedrale choeur

st brieuc cathedrale exterieur
Les reliques de saint Brieuc, exilées à Angers durant l’époque viking, sont retransférées à la cathédrale. J’ai connu un garçon qui s’appelait Brieuc… Le transept et le chœur ne sont achevés qu’en 1248. Il est reconstruit en 1354 après incendie…

st brieuc cathedrale gisant
Les chapelles ne datent que du XVe siècle. Le gisant, Monseigneur Cafarelli, fut le premier évêque concordataire, dans une petite chapelle du transept nord.

st brieuc cathedrale vitrail bapteme du christ
Ce qui séduit sont les détails. Comme ce vitrail du baptême du Christ.

st brieuc cathedrale christ
Ou le retable du Saint-Sacrement, de 1745.

st brieuc cathedrale archange michel terrassant satan
L’archange Michel qui terrasse Satan.

st brieuc cathedrale ange protecteur
Et saint Vincent de Paul en ange protecteur, le coeur offert, dénudé, la main droite prenant la menotte du petit tandis que la gauche désigne le ciel. Un ange transistor, qui amplifie le signal pour faire communiquer l’ici-bas avec l’en-haut.

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