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Conseil de famille de Costa-Gavras

Un film avec Johnny Hallyday est un peu du contre-emploi. L’histoire est sympathique, une famille de Français popu qui s’élèvent par leur savoir-faire ; les acteurs enfants sont frais et convaincants, les acteurs adultes encadrent bien le chanteur national, mais ce dernier est trop froid pour emporter l’enthousiasme. Il joue appliqué, presque scolaire, le rôle d’un papa sorti de rien qui veut maintenir la morale conventionnelle dans une société en mutation affairiste accélérée (sous la gauche Mitterrand et Tapie). Mais l’on s’amuse, car cette bluette policière familiale est contée d’un ton léger, comme si de rien n’était.

La mère (Fanny Ardant) élève seule depuis cinq ans ses deux enfants, François (Laurent Romor) et Martine (Juliette Rennes). Le père (Johnny Hallyday, 43 ans au tournage) sort de prison avec son complice Faucon (Guy Marchand), qui est le parrain de François. Pour son entrée en sixième, le papa en délicatesse avec le droit veut le faire marcher droit. Bien qu’il soit nettement plus « mignon » (comme le dit sa mère) avec les cheveux longs à la mode, il doit aller chez le coiffeur. Le résultat est, selon son parrain, que ça lui « donne une tête de délinquant ». Le père veut que son fils lui ressemble : il ne sera pas déçu ! Un brin autoritaire et macho, en fils du peuple, Louis/Johnny met François chez les curés, bien que les sachant un brin pédophiles. Mais bon chien chasse de race et le gamin est attiré par les filles : dans le peuple, il ne saurait en être autrement.

Pour la fille, c’est autre chose ; la morale est plus élastique. Ainsi est-elle attirée par son grand frère, seul élément mâle qu’elle ait eu à la maison depuis bébé. Elle se coule dans son lit et attire son bras autour de ses épaules, pour avoir chaud et être rassurée. Adolescente (Caroline Pochon), elle cherchera à l’exciter en prenant des poses sexy vues dans les magazines du grand frère, bien que celui-ci demeure insensible – comme papa. Un soir elle lui demandera, câline : « fais-moi un enfant ». Pour ne pas retourner à la pension où elle a été mise pour ne plus l’avoir dans les pattes lors des « chantiers ». François refusera, non sans garder beaucoup d’affection à cette sœur qui sait tout, écoute tout et lui raconte tout. Cet aparté intrafamilial dans l’histoire policière est une ouverture sur les mœurs libres des années 1980, en même temps qu’elle montre la résistance de la morale traditionnelle dans les milieux populaires. C’est ce conservatisme « réactionnaire » (que les élites cosmopolites et libertines ont eu tort d’ignorer) qui ressurgit depuis quelques années dans les votes « populistes » ou droitiers, aussi bien en Allemagne avec l’AfD qu’en France avec la manif pour tous, le vote Fillon et le Front national.

Les « chantiers », ce sont les casses longuement préparés et minutieusement exécutés par les deux compères pour gagner de l’argent pour « la famille ». Car la famille est le seul bien du peuple, qui n’a pas de relations. L’avocat « véreux » (Fabrice Luchini) n’est qu’une relation d’affaires qui suscite la méfiance, servant de prête-nom à l’achat d’un appartement et d’une boutique en couverture. Parce que le frère de la mère, châtelain catholique au fin fond d’une province traditionnelle et nanti d’une ribambelle de filles et d’un seul fils, refuse toute compromission avec le beau-frère et son ami aux casiers judiciaires bien remplis.

François est intelligent et volontaire. Il a deviné (avec l’aide de sa commère de sœur) ce que sont les « chantiers » et n’hésite pas à user de chantage pour y participer dès 13 ans. Il suit en cela l’exemple paternel qui fait chanter sans aucun scrupule les proches de ceux qu’il va cambrioler et les ferrant par un pourcentage sur l’affaire qu’ils apportent un peu contraints. Les rapports père et fils sont emplis de véracité, l’admiration dès l’école primaire à la lecture des journaux par ses copains, l’observation du savoir-faire et du travail bien fait l’année de son retour, le désir d’imiter papa ensuite, jusqu’à la rébellion naturelle à 18 ans (Rémi Martin), lorsque la personnalité s’est construite et que l’ex-gamin devient adulte et amoureux. Le père aime ses enfants, surtout son fils, comme dans la vraie vie populaire restée patriarcale ; il admire son intelligence et son bon travail à l’école – le prime-adolescent ne faisant que reproduire le goût du travail bien fait de son père, qui est aussi l’honneur populaire. Mais, lorsqu’il veut le promouvoir à son idée, après avoir été approché par la mafia américaine pour cambrioler les villas de la côte d’Azur, François ne suit pas. Il veut être ébéniste parce qu’il aime l’odeur du bois et la précision des gestes. C’est un peu comme forcer un coffre-fort à l’ancienne, les nouveaux à serrure électroniques étant nettement moins drôles.

Le conseil de famille décide de l’avenir du fils, c’est-à-dire le père et le parrain – les femelles n’ont pas la parole même si elles la prennent. Mais le fils veut faire sa vie comme il l’entend. Reproduisant une fois de plus son père, François n’hésite pas à appeler la police pour le dénoncer, seul moyen de sortir de la prison où ils l’ont enfermés.

Avant cette fin filiale bien conduite, la vie se déroule dans le plaisir. François accompagne la nuit les deux adultes sur les « chantiers » et connait l’adrénaline de la peur ; les cambriolés parfois se rebiffent et une scène hilarante montre les villas bourgeoises tirant successivement au fusil (et même à l’arc) sur la voiture qui passe dans le quartier désert après qu’une sirène d’alarme ce soit déclenchée. Le garçon apprend la peinture et l’estimation des œuvres d’art en même temps que l’évolution technique des coffres-forts. En vacances à la campagne en bord de mer, il s’abouche à une bande de jeunes ados à mobylettes (la grande mode de ces années-là, disparue entièrement aujourd’hui). Mais le viol d’une fille de 12 ans par certains de la bande les fait arrêter par la police, ce qui prouve à François combien papa a raison de rester solitaire et de se méfier du travail en équipe.

Derrière le divertissement se cache donc un film social qui ne sacrifie ni à l’action, ni à l’humour, les relations débrouillardes d’une famille moyenne, d’une mentalité populaire et de gamins en prise avec le siècle. On ne s’ennuie pas et le spectateur qui a connu ces années 1980 reconnaîtra une liberté de mœurs et de ton aujourd’hui disparus.

DVD Conseil de famille de Costa-Gavras, 1986, avec Johnny Hallyday, Fanny Ardant, Guy Marchand, Laurent Romor, Rémi Martin, Caroline Pochon, Fabrice Luchini, Juliette Rennes, Gaumont 2010, 1h57, €8.99

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