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Politique sans DSK

Le héros socialiste, expert économique mondialiste et sauveur d’une France craintive à bout de souffle a masqué les courants souterrains de la prochaine présidentielle. Il a tant fait rêver en rose, ou se positionner en bleu, brun ou vert, que les enjeux en ont été occultés. Sa disparition subite, digne de l’acte manqué freudien, met en lumière tout ce qui demeurait caché : rejet massif de la droite de gouvernement, dédain des extrêmes, tentation du centre.

Le rejet de Nicolas Sarkozy est tel qu’il aurait fait voter Strauss-Kahn sans que l’électeur adhère vraiment à sa politique. Une enquête réalisée pour Canal+ par la méthode sérieuse du face-à-face, du 29 avril au 2 mai 2011 au domicile d’un échantillon représentatif de 1000 personnes, montre que seuls 17% des Français sur six jugent le bilan de Nicolas Sarkozy positif. Les 76% de jugements négatifs sont au-delà des précédents : 43% des Français jugeaient favorablement le bilan de Valéry Giscard d’Estaing en 1980, 56% celui de François Mitterrand en 1987 et 49% celui de Jacques Chirac en 2000. Même les électeurs Sarkozy du 1er tour 2007 sont partagés, 47% jugent le bilan positif contre 47% négatif.

En cause, la crise mais surtout une attitude. Nicolas Sarkozy n’apparaît pas légitime dans la fonction présidentielle. Même dans le domaine régalien, où il a le moins démérité, il apparaît grande gueule puis capitulard, hésitant à avancer quand les puissants froncent les sourcils. La reculade sur la régulation financière au G20, le désastre sur l’environnement à Copenhague, la négociation avec les Russes en Géorgie, l’absence de vision long terme en Libye ou en Afghanistan… Le bilan de Nicolas Sarkozy sur la place de la France dans le monde n’est estimé positif que pour 36% des sondés.

Mais le président du pouvoir d’achat cause plus qu’il n’agit : 89% des sondés jugent négative son action, 80% ne voient aucun bénéfice sur l’emploi, 76% trouvent ses réformes fiscales dans le mauvais sens. Le financement des retraites est mal jugé par 71%, la politique d’immigration mauvaise à 69%, la justice à 67%. La crise économique et financière a fait l’objet de discours musclés… qui ont accouchés de souris : 63% des sondés jugent sa gestion négative. De même la sécurité, mauvaise pour 61%, et l’environnement, mal géré pour 59%.

Sur tous ces sujets, Dominique Strauss-Kahn était crédité de pouvoir mieux faire. Lui hors jeu, pour qui voter ? Une enquête par téléphone des 20 et 21 mai 2011 pour Le Nouvel Observateur et i>Télé auprès d’un échantillon représentatif de 1013 personnes, montre que François Hollande est pour l’instant le favori. Il bénéficie du soutien des plus de 65 ans (28%) et des électeurs 2007 de François Bayrou en 2007 (29%).

La droite est dans les choux, responsable d’avoir peu fait pour contrer la crise, et pas pour le plus grand nombre. Nicolas Sarkozy obtiendrait moins de 25% des intentions de vote au premier tour. Il réalise ses meilleurs scores parmi les plus âgés (40% d’intentions de vote chez les 65 ans et plus face à Martine Aubry), les commerçants, artisans et chefs d’entreprises (33%) : toutes les catégories que guigne Marine Le Pen. On note une nette déperdition de l’électorat Sarkozy 2007 de premier tour : 38% n’ont plus l’intention de voter pour lui en 2012.

Marine Le Pen ne tire pas profit de l’affaire DSK, mais serait au second tour si Ségolène Royal, Bertrand Delanoë ou Laurent Fabius se présentaient. Elle est première chez les ouvriers (32%), les employés (25%) et les femmes au foyer (29%). Mélenchon ne décolle pas, non plus que l’extrême gauche.

Mais ce qui sort est le centre. Les Français sentent bien que la crise est profonde et touche tous les pays développés. De quoi remettre en cause le mode de vie confortable où l’énergie est peu chère, les salaires en hausse, les retraites décentes. Or l’incertitude est la norme dans l’histoire, pas la protection. Les pays émergents eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’accidents économiques ou sociaux (l’inflation en Chine, les menées islamistes en Inde, la déstabilisation du Pakistan, les révoltes au Nigeria, le cartel de la drogue au Mexique…). Une position mesurée sur tous ces sujets, de l’union européenne à la mondialisation, de la transition nucléaire à la productivité est nécessaire. Les candidats non idéologiques, pragmatiques, à l’écoute non seulement des votants mais du monde, emportent les suffrages.

Ce pourquoi Strauss-Kahn faisait rêver, lui qui était loin du gauchisme. Ce pourquoi Martine Aubry, trop rigide et considérée à tort ou à raison comme d’esprit archaïque époque Mitterrand, est moins désirée que François Hollande, bien que femme. L’électorat Modem se reporterait à 70% sur Hollande contre 52% sur Aubry au second tour, selon le sondage. Nous ne sommes cependant qu’à un an des élections, tout peut se modifier d’ici là.

Chez les écolos, Nicolas Hulot (entre 8% et 12%) arriverait à regrouper davantage qu’Eva Joly (7%) et certainement plus que Cécile Dufflot si elle se présentait. Les centristes déclarés (François Bayrou, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin) parviennent dans ce sondage autour de 15 à 20% s’ils s’additionnent. Jean-Louis Borloo est le mieux placé, entre 7 et 9.5% selon les hypothèses. Il devance à chaque fois François Bayrou, entre 5 à 8% des intentions de vote, usé par trop d’années de présence mi chèvre mi chou dans le paysage. Dominique de Villepin n’est pas désiré, à 3-4% seulement.

Rejet de la droite, désir du centre pour conduire la politique française, le parti Socialiste paraît bien placé s’il sait ouvrir le gouvernement aux centristes et aux écologistes non radicaux. Le fera-t-il ? Ce serait rejouer à gauche ce qu’a réussi Nicolas Sarkozy en 2007. Le léninisme de combat des apparatchiks, dont maints exemples sont donnés à qui sait le lire, me font penser qu’il s’agit là d’impensable. Seul DSK aurait pu, lui qui avait un pied en dehors du parti, jusqu’à chercher à se créer des inféodés dans la presse. Même Ségolène Royal n’a pas osé avec François Bayrou en 2007, ce qui est sa principale erreur politique. Je ne vois ni Martine Aubry, ni François Hollande, appeler un Jean-Louis Borloo ou un Français Bayrou dans un gouvernement de gauche… Il y a tant de « camarades méritants » à récompenser !

Le « centrisme » Hollande paraît donc bien une illusion. C’est en tout cas une tactique qu’il devrait développer pour rester dans le sens de l’opinion française.

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Misère de l’Islande après crise

Article repris par Medium4You et Ideoz voyages.

Ce matin, il pleut à nouveau, un vrai temps de Terre-Neuve. Notre camion-bus 4×4 arrive, haut sur pattes, un Unimog Mercedes rouge vermillon conduit par Robert. Il n’a pas de nom, ou plutôt il est, comme tous les Islandais, « fils de ». Hommes et femmes s’appellent par leur prénom, se distinguant seulement par le nom du père pour les garçons (Machin-son) ou mère pour les filles (Machine-dottir) accolé au nom : Leif Ericsson était fil d’Eric le Rouge.

Robert est fermier dans les fjords du nord-ouest mais, avec 200 moutons seulement, doit faire des travaux d’appoint pour s’en sortir. Il passe deux mois par an dans le tourisme. Sa cabine est toute décorée de cailloux collés, de pièces de monnaie, de griffes d’oiseaux, de plumes noires et autres vertèbres de requin. Un véritable antre de sorcière runique ! Discret, il parle anglais et m’expliquera que c’est son père qui a aménagé ce camion, acheté aux surplus militaires, et décoré ainsi la cabine. Sur les flancs extérieurs du camion est écrit Halendingurin. Je lui demanderai quand je le connaîtrai mieux ce que cela signifie. Cela veut dire « hommes des montagnes » ou montagnards. Façon de marquer ce qu’il transporte.

Nous sortons en début de matinée d’un Reykjavik désert pour prendre la route n°1 vers le nord, vers le Hvalfjördur ou fjord de la baleine qui est une avancée au-dessus de Reykjavik. Nous ne verrons des files d’autos rentrer vers la capitale qu’en fin d’après-midi, des chalets secondaires. Le temps gris avive la couleur des façades, pimpantes pour agrémenter le paysage. Le guide en profite pour nous expliquer que le décor cossu est désormais Potemkine. Les Islandais sont ruinés et ont des dettes pour des décennies après la faillite de leurs principales banques et la mise sous tutelle du FMI. Les belles maisons ne sont parfois plus même à eux, les grosses voitures sur le point d’être vendues.

En octobre 2008, les trois banques du pays ont implosé par excès de dettes, huit à dix fois le PIB annuel du pays ! La bourse a chuté de 95%, la couronne a été suspendue et les banques nationalisées en catastrophe. Le gouvernement britannique, qui ne fait jamais dans la dentelle avec les faibles, a inscrit l’Islande sur la liste des états terroristes pour avoir « escroqué » les épargnants en ligne avec leur banque Icesave. L’économie, ouverte volontairement sur l’extérieur, a profité du boom mondial pour atteindre 4% de croissance par an de 1998 à 2008. Les moyennes entreprises de niches dans la découpe alimentaire, les prothèses, ou les usines de traitement de la bauxite en profitant de l’énergie bon marché ont favorisé l’essor.

Mais l’économie est allée trop vite et le système forcément incestueux dans un pays où tout se monde se connaît a encouragé les excès. La Banque centrale a dû augmenter ses taux pour juguler la hausse des prix. Ces taux attractifs ont aspiré les capitaux internationaux, à la recherche de rendement, permettant le carry trade : emprunt en devise à bas taux pour placer en devise à rendement élevé. L’endettement en devises étrangères est alors devenu un sport national. Les rachats d’entreprises à l’étranger aussi. La vie s’est mise à crédit, sur le modèle américain. D’où la catastrophe lorsque tout s’est brutalement retourné : il faut désormais rembourser en devise avec le travail rémunéré en couronne dévaluée !

Eva Joly, a été invitée le 8 mars 2009, un dimanche à 12 h 30, sur RUV TV, la télévision publique islandaise, par le présentateur Egill Helgason, très francophile. « Je voulais qu’elle nous donne son avis sur la banqueroute de l’Islande où plus de 100 milliards de dollars se sont volatilisés, que notre petit pays de 320 000 habitants mettra trois générations à rembourser. » Un tiers de la population a subi l’interview comme un électrochoc. Deux jours plus tard, la ministre de la Justice Ragna Arnadottir embauche Eva Joly comme conseillère du gouvernement pour assister le procureur Hauksson. Quatre grandes banques islandaises, Kaupthing, Landbanski, Glitnir et Straumur Burdaras, ont été nationalisées parce qu’elles étaient en faillite. Au moment du boom quelques milliardaires se partageaient l’économie islandaise avec l’argent facile des banques et grâce à la complicité des politiques au pouvoir. Ils ont disparu depuis octobre 2008, exilés à l’étranger. Mais Eva Joly est prudente : « L’Islande est une petite communauté où tout le monde se connaît, où le beau-frère et le cousin ne sont jamais loin. Il y a aussi des gens qui sont contre ces investigations, qui préféreraient attendre que la poussière retombe. »

La dette phénoménale envers les banques anglaises et hollandaises (3,9 milliards d’euros) a été refusée par référendum au printemps, ce qui suspend les prêts du FMI. Les Islandais ne veulent pas payer pour les banksters ! D’autant que les autorités de régulation anglaise et hollandaise n’ont manifestement rien vu, rien surveillé… La dette par foyer fiscal islandais serait autour de 50 000 euros, la dette d’État à fin 2009 est de 105 % du PIB selon un rapport du FMI d’avril 2010, la dette globale envers l’étranger de 300%. C’est la crise, la ‘kreppa’ comme on dit ici.

Hors le tourisme, la pêche est réglementée pour cause de disparition des espèces. L’énergie hydroélectrique et géothermique, très peu chère en Islande, a attiré des usines de traitement d’aluminium mais la crise les fait tourner au ralenti, tandis que la production d’énergie a été privatisée auprès d’entreprises canadiennes… Dans ce contexte, avec quelle production rembourser l’énorme dette ? Déjà couper dans les dépenses d’État où les fonctionnaires ont augmenté de 30% en dix ans. Puis l’émigration d’une partie de la jeunesse, confrontée au chômage. L’annulation de dettes à certaines entreprises par les banques, à nouveau privatisées.

Mais la récession 2009 a été moins forte que crainte, de 6,5% seulement, et le taux de chômage n’est pas allé au-delà de 10% de la population active grâce aux mesures budgétaires de soutien et au coup de fouet aux exportations grâce à la chute de la couronne. Environ 30% des crédits à la consommation et 15% des crédits immobiliers sont l’objet de défaut, mais heureusement assez rares sont les Islandais qui ont des prêts en devise (c’est finalement loin d’être la majorité).

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