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Les gouvernants sont formatés dindons, dit Alain

Nous n’étions qu’en 1908 et, déjà, pointait la caricature de l’ENA, école que Macron a supprimée mais qui subsiste sous un autre nom. L’art de régler le problème par un tour d’illusionniste. Rien n’a changé depuis un siècle, dit Alain. Avant même l’ENA, « Dindon-Collège » existait déjà…

L’école supérieure des gouvernants, quel que soit le nom qu’elle porte, enseigne à pontifier pour paraître profond, à parler pour ne rien dire afin de noyer le poisson, à faire l’acteur de théâtre plutôt qu’à rester soi. « Vous avez certainement remarqué, me dit le directeur, qu’un certain nombre d’hommes sont disposés, par nature, a préférer le paraître à l’être, et à s’engraisser de l’opinion d’autrui. Il tiennent beaucoup de place dans la vie ordinaire, et ne sont bons à rien. Aussi nous les prenons pendant qu’ils sont encore jeunes, et les formons pour leur véritable carrière, qui est le gouvernement des peuples. »

Chacun sa place, et les grenouilles doivent être gonflées par l’enseignement pour paraître aussi grosses que les bœufs. Percez-les à jour, et ils exploseront. On l’a vu durant le Covid : personne ne savait rien sur rien, mais tous affirmaient haut et fort détenir la seule vérité des choses – que les masques ne servaient au fond à rien, que le virus n’était qu’une grippe un peu virulente, qu’on pouvait se désinfecter à l’eau de Javel (y compris les bronches, disait le Trompe, qui n’avait jamais rien lu de sa vie). Jusqu’au « professeur » de Marseille qui savait mieux que tous les scientifiques du monde comment manipuler les faits à son gré pour asséner « sa » vérité. Démentie rapidement par les mêmes faits – qui sont tenaces, comme chacun sait. Le Trompe a pris de l’hydroxychloroquine à poignée au petit-déjeuner et… s’est vu contaminé par le Covid comme si de rien n’était.

Les murs du collège de dindons sont peints d’allégories qui s’annulent, comme le Travail couronnant la Persévérance, suivie de la Persévérance couronnant le Travail – autrement dit comment démontrer tout et son contraire, selon le vent. Les amphis sont pleins de profs discourant des heures pour ne dire que du vent (émettre de l’air chaud, disent les Anglais qui ont appris le Parlement plus tôt que nous), avec beaucoup de mots creux (ce qu’on appelle la langue de bois) et de phrases toutes faites (qu’on appelle les éléments de langage). Celui qui s’endort le dernier aura le prix. Les étudiants raturent, car ils croient avoir compris alors que, comme disait Alan Greenspan, président de la Federal Reserve, la Banque centrale américaine, dans les années pré-krach, « si vous avez compris ce que j’ai dit, c’est que vous n’avez rien compris ».

Les plus forts en thème sont ceux qui sont capables de tirer douze pages sur un canon explosé pour conclure qu’il ne peuvent rien en dire tant que l’enquête est ouverte (on connaît ça…). « Mais le plus fort est celui qui avait à répondre (c’était le sujet proposé) à des citoyens qui viennent demander du secours parce que leur maison brûle. Il écrivit vingt pages pour dire que la question allait être mise à l’étude. Ce jeune homme ira loin. » Faites long et chiant, avait coutume de dire Édouard Balladur à ses énarques, lorsqu’il voulait qu’un rapport soit publié sans être lu. Nommez une commission, disaient les vieux briscards de la défunte IVe République, que les plus cons à gauche voudraient voire revenir.

Rien de nouveau sous le soleil…

Alain, Propos tome 1, Gallimard Pléiade 1956, 1370 pages, €70,50

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Alain le philosophe, déjà chroniqué sur ce blog

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Dominique Reynié, Les nouveaux populismes

dominique reynie les nouveaux populismes

Voici un excellent livre d’analyse sur le changement politique de l’époque actuelle partout en Europe, écrit sans jargon et qui se lit d’une traite. La poussée de Marine Le Pen est décortiquée et expliquée clairement, aussi bien que les tentatives ratées de Jean-Luc Mélenchon et Bepe Grillo.

Comme toujours dans ce genre d’ouvrage écrit par un professeur à Science Po, la description est impeccable mais les solutions restent vagues. Un professeur n’est pas un politicien, et nul doute que la poussée récente du repli sur soi des populations européennes vieillissantes, contestées et appauvries n’a pas encore suscitée d’idées neuves sur les réponses possibles. Mais se contenter d’appeler à l’acceptation d’une immigration inévitable, à un « libéralisme musclé » pour mieux intégrer, à encore plus d’Europe pour faire des économies et à moraliser la vie politique m’apparaît un peu faible.

Reste que la bonne question posée par Nicolas Sarkozy jadis sur « l’identité nationale » est le reflet pragmatique (mal pensé et mal traité par l’équipe Sarkozy) d’une poussée évidente de ce que l’auteur appelle le « populisme patrimonial ». « S’il est un aspect de la globalisation qui conditionne fortement le développement des partis populistes (…) c’est certainement l’immigration, l’islam et le surgissement d’un multiculturalisme conflictuel, en lien avec le fort déclin démographique… » p.32. L’engrenage est bien brossé : libéralisme = laisser-faire = circulation sans frontières = immigration majoritairement musulmane = revendications multiculturelles incompatibles avec la laïcité et les mœurs habituelles aux Européens = menaces sur la sécurité, l’habitat, les fréquentations et mariages, les prestations sociales, les pressions alimentaires et culturelles… Le dire ce n’est pas « être raciste » – comme le psalmodient les bobos repus de bonne conscience dans la gauche morale – c’est décrire les faits. Or, dénier les faits, c’est laisser « ces interrogations et ces inquiétudes travailler sourdement la société. C’est sur ce non-dit que les populistes imposent leur discours, pointant les tentatives d’enfouissement, de dénégation et de censure qu’ils prêtent aux responsables des partis de gouvernement » p.110.

La plupart des gens répugnent à modifier rapidement leur mode de vie – ce pourquoi ils deviennent conservateurs envers les changements, et même « réactionnaires » lorsqu’on veut leur imposer de force. Ce comportement concerne tous ceux qui sont menacés, à droite comme à gauche. Les « zacquis » des syndicats sont aussi menacés que la « sécurité » à droite. D’où cette poussée du populisme hors des divisions traditionnelles, mettant en cause les élites contre le peuple, les gouvernants contre les gouvernés. Mélenchon comme Le Pen jouent sur le même tableau contre « l’UMPS ». Mais, montre très bien Dominique Reynié, c’est partout pareil en Europe, Royaume-Uni compris. C’est même au Royaume-Uni qu’après les attentats de Londres en 2005, existe le plus fort rejet de l’islam et de l’immigration extra-européenne, le multiculturalisme ayant clairement échoué.

Or c’est l’Europe qui contraint, consensus mou sur une social-démocratie libérale sans frontières ni valeurs autres que purement juridiques. D’où le rejet de l’Europe, qu’elle soit agricole, monétaire ou de Schengen. Fatale pente, démontre Reynié, « la promotion de l’opinion xénophobe est une condition sine qua non du succès électoral populiste. En ce sens, il n’y a pas de populisme de gauche. Tel est le problème de Jean-Luc Mélenchon » p.316. Clin d’œil à mon analyse de Mélenchon entre Péguy et Doriot, d’un socialiste de gauche jacobine comme le républicain Péguy poussé au national-socialisme comme l’ex-communiste Doriot.

Ce qui permet la percée des partis populistes ce sont les modes de scrutin (la proportionnelle), les médias (avides de langage cru et de dérapages), et les personnalités histrioniques (dont c’est le seul moyen de se différencier). Mais ces instruments n’existeraient pas sans la base : « Ce sont les classes populaires elles-mêmes qui conduisent ce mouvement de droitisation dont les communistes d’abord, les sociaux-démocrates ensuite et les populistes de gauche enfin sont les victimes successives. L’immigration et la sécurité sont devenues pour longtemps des enjeux capables de déterminer leurs choix électoraux » p.321. Retour du fascisme ? Non. De l’autoritarisme conservateur ? Oui.

Que faire contre le populisme ? En premier lieu arrêter de nier les questions qu’il soulève : la globalisation entraine une immigration incontrôlée que la crise économique rend plus difficile d’assimiler. Ensuite éviter la démagogie en proposant le vote des « étrangers », la construction ouverte de « mosquées », l’autorisation de la burqa, le recul du droit à autoriser une expulsée à revenir du fait du Prince, les avantages sociaux aux sans-papiers et autres discriminations positives, le deux poids-deux mesures des injures racistes (Blanc condamné, minorité excusée) et ainsi de suite. Enfin affirmer les valeurs républicaines, laïques, libérales, sans concession aux tentatives d’effritement des « droits » communautaires ou particularistes. Et peut-être recréer l’Europe comme espace homogène, aux frontières définies, à l’Exécutif clair et au Parlement élu le même jour par tous les citoyens de l’Union, avec des impôts en commun pour bâtir des projets en commun. Ce sont toutes ces réponses que Dominique Reynié ne fait qu’effleurer.

Il pointe que le rationnel ne suffit pas car « la singularité de la politique populiste est de n’être qu’émotion. C’est une politique médiatique jouant sur les ressorts affectifs : colère, peur, envie, nostalgie, ressentiment, etc. » p.345. Mais le rationnel serait néanmoins d’éviter, lorsqu’on est dans un parti de gouvernement, d’agir de même (comme Montebourg, Taubira, Belkacem, Hollande – ou Copé, Boutin, Morano, Sarkozy). D’inviter aussi certains populistes à prendre des responsabilités gouvernementales – leur grande gueule serait rabattue au premier échec, car on ne gouverne jamais sans compromis et nuances, à l’inverse du théâtre médiatique et du discours de tribune. Mais là, on entre dans le tabou des « alliances »…

Dominique Reynié, Les nouveaux populismes, 2011, édition augmentée 2013, Livre de poche Pluriel, 377 pages, €8.55

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