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Henry de Montherlant, Les Olympiques

Ils sont rares, les écrivains sportifs qui ont chanté le sport. Parmi les presque contemporains : Antoine Blondin pour le cyclisme, Albert Camus et Blaise Cendrars pour le foot, Jean Giraudoux.

A l’occasion des jeux olympiques à Paris de 1924, il y a un siècle, Henry Marie Joseph Expedite Millon de Montherlant, auteur trop oublié aujourd’hui, reprend des articles et textes qu’il a déjà publiés en revues et les romance pour en faire un hymne au sport. Il les publie en 1924 chez Bernard Grasset dans Les cahiers verts où le numéro 31 offre la Première Olympique, Le Paradis à l’ombre des épées, et dans le numéro 41, la Deuxième Olympique, Les Onze devant la porte dorée. Ces textes sont repris en volume unique en 1926, puis révisés en 1938. Montherlant est un auteur qui écrit, corrige, revient et recorrige ; il se précise, s’approfondit, s’euphémise. Pour lui, cette époque où hantait les stades, était le bonheur.

Sorti de la « grande » guerre où il s’était engagé volontaire en 1918, il a connu le combat et la fraternité des tranchées. Revenu à la vie civile et regrettant ce monde viril et hors classes sociales, le sport lui a permis durant plusieurs années, de 1920 à 1925, soit de 25 à 30 ans, de conserver un peu de cette fraternité virile qu’il a connu dès son enfance chez les pères et qu’il a poursuivi à l’armée. Le football ressemble à la guerre, mais euphémisée, sublimée (à l’époque, où le fric n’avait pas investi le sport). « De la violence ordonnée et calme, du courage, de la simplicité, de la salubrité, quelque chose de vierge et de rude et qui ne s’examine pas soi-même : voilà ce que j’ai aimé dans la guerre, oui, aimé malgré toute la détresse et l’horreur, et voilà ce que j’ai retrouvé ici, voilà ce que me donnent ces trois jours par semaine. »

Il vante « les heures de poésie que le sport nous fit vivre, dans la grâce — la beauté parfois — des visages et des corps de jeunesse, dans la nature et dans la sympathie ». Il a pratiqué le foot et l’athlétisme sur les stades, se réjouissant du mélange des milieux et des âges. Le sport est aristocratique car il sélectionne les meilleurs et pas seulement pour leurs qualités physiques. Dans le foot, par exemple, il faut avoir le coup d’œil pour juger de la situation, la volonté de décision pour agir et l’esprit d’équipe pour apporter sa force à la stratégie d’ensemble. Pour cela, le sport forme « un esprit sain dans un corps sain », ce qui est la maxime antique.

L’idéaliste formé aux lettres classiques hors sol et élevé sous serre dans les pensions cathos, se voit infliger « une bonne leçon de réalisme » par les autres, notamment par un gamin de 15 ans, Jacques Peyrony. Un être ardent comme un chiot, qui se roule dans l’herbe pour la sentir sur sa chair nue, habile de ses pattes et né capitaine de l’équipe de foot. « Dents de chien » ne recherche pas la performance mais, en bel animal racé qui se défoule, tout en lui est « style ». « Peyrony court, à longues foulées reposées, sur les frontières de la force et de la grâce. La simplicité de son déplacement évoque ces fleurs qui se promènent par les airs. » Il y a de la grâce grecque dans ces jeunes sportifs, dont les corps pâles, dévêtus après l’effort, évoquent les statues de marbre.

La nudité des poitrines mâles, si rare en ce siècle bourgeois prude et corseté, donne cependant à tous, y compris aux illettrés, une idée de la Beauté. C’est ainsi que, lors d’une préparation à un match de boxe, un corps humain apparaît dans sa gloire, bien avant le combat. « Tout d’un coup, dans la galerie à trois mètres au-dessus de nos têtes, la première apparition du corps humain. (…) Et, au milieu des cinquante vestons qui émergent de la balustrade, ce torse nu, un boxeur de seize ans peut-être, déjà en tenue de combat, dont on entrevoit à peine le visage, dont la lumière n’éclaire que le torse, très réceptif de la clarté, parce qu’il est presque uni, comme le sont les corps de jeunesse… » Pour les Français d’entre-deux guerres enfermés dans le petit, « ce premier torse nu (…) c’est la porte soudain ouverte sur un monde plus haut, qui leur arrive avec une ondée de gravité. » Le sport ennoblit l’humain parce qu’il révèle sa nature.

Les femmes aussi ; le sport leur rend l’égalité. Montherlant fut taxé de misogyne parce qu’il ne s’est jamais marié (quoique laissant probablement un fils, qui fut son exécuteur testamentaire), et parce qu’il a écrit Les jeunes filles (gros succès d’époque entre 1936 et 39) où il décrit la femme comme une entrave à la liberté de l’homme. Mais il évoque dans Les Olympiques les « vraies » femmes que sont les sportives, égales de l’homme : Mademoiselle de Plémeur, Le chant des jeunes filles à l’approche de la nuit, A une jeune fille victorieuse dans la course de mille mètres. Il les oppose à « Madame Peyrony », la mère du jeune footeux, matrone oisive et castratrice qui voudrait empêcher son oisillon de grandir pour le maintenir au nid et pour cela se moque, persifle, le rabaisse constamment (tandis que le père, pris par ses « affaires », s’en fout). Féministe malgré les critiques, Montherlant écrit en note de Mademoiselle de Plémeur, championne du 300 m : « L’homme cherche à rendre la femme ‘poupée’, voire franchement ridicule, pour garder l’avantage sur elle. La femme s’y prête par bêtise. » A l’inverse, le sport les révèle. Montherlant exalte la fille sportive, dans son poème A une jeune fille victorieuse dans la course de mille mètres, « Fleur de santé ! fraîche et chaude ! fine et forte ! douce et dure ! exacte et pas falsifiée et telle que sortie du ventre de Nature, égale à moi et plus peut-être, si j’en crois je ne sais quelle émotion. »

Le sport annule les différences, il rend « amis par la foulée », belle formule de l’athlétisme. « Quand nous avons accéléré, j’ai eu tant de plaisir que j’ai souri. La vitesse montait en eau comme de l’eau dans un conduit. Dans les virages inclinés, j’étais un peu appuyé sur lui. Ralentir avec la même décroissance a une douceur qui vous clôt les yeux. » La poésie sourd de l’émotion en quelques textes rares, car Montherlant ne réussit pas toujours ses poèmes. Il a cependant des trouvailles heureuses comme au foot, « un ailier est un enfant perdu ». Ou ce poème, Vesper, le plus beau du recueil peut-être. Il chante le vrai sportif, pas féru de performance mais vivant sa passion solitaire de mouvoir son corps et de jouer avec ses muscles. Comme une prière païenne à sa mère Nature.

« Il n’y a plus qu’un garçon, là-bas, qui lance le disque dans la nuit descendue.

La lune monte. Il est seul. Il est la seule chose claire sur le terrain.

Il est seul. Il fait pour lui seul sa musique pure et perdue,

son effort qui ne sert à rien, sa beauté qui mourra demain.

Il lance le disque vers le disque lunaire, comme pour un rite très ancien,

officiant de la Déesse Mère, enfant de chœur de l’étendue.

Seul – tellement seul – là-bas. Il fait sa prière pure et perdue. »

Henry de Montherlant, Les olympiques, Livre de poche 1965, 192 pages, occasion €7,50. Existe aussi en Folio et en collection « bande velpeau » Gallimard – tous d’occasion.

Henry de Montherlant, Romans tome 1, Gallimard Pléiade 1959, 1600 pages, €70,00

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Multiculturalisme, nouvelle utopie

Le multiculturalisme consiste à croire que « la » culture n’existe pas car elle serait une essence, mais « les » cultures oui, dans leur aimable diversité.

De ce constat, il en vient à décréter que, comme toutes les cultures se valent, la culture du pays est « dominante » – donc abominable, puisque toutes sont égales.

La suite politique est donc inéluctable : le « progrès de l’égalité », inscrit mécaniquement dans le projet démocratique, doit accoucher d’une transformation radicale de la société.

Cette valse à trois temps est présentée comme naturelle, historique, inscrite dans le mouvement social. Mais il faut déconstruire cette « évidence » (les armes de la critique nous ont été données par les radicaux critiques…).

Rien d’inévitable dans ce processus, mais un véritable projet politique, volontaire, imposé par l’utopie. Il s’agit d’une politique rédemptrice qui, contrairement aux religions, propose le salut terrestre, dès maintenant. Une suite du marxisme qui a échoué dès les années 1950 avec le rapport Khrouchtchev, une suite du tiers-mondisme qui a échoué dans les années 1970 avec la dictature rigidifiée de Castro puis les massacres de Pol Pot, une suite au gauchisme éclaté entre diverses sectes intellectuelles qui a échoué à changer la vie (mais assuré de belles places de notables médiatiques aux ex-rebelles chevelus).

classe torse nu new york v1900 1925

Dès mai 68, l’exclu prend la place de rédempteur, délaissée par la « classe » révolutionnaire qu’aurait été le prolétariat (qui s’embourgeoise petitement et dont les effectifs diminuent avec le progrès… technologique). N’importe qui peut être « exclu » à tout moment : jeune, chômeur, délinquant, prisonnier, immigré, exploité, sans-abri, sans-papier… – ce qui fait du monde. Hélas en constant renouvellement, ce qui empêche ces « pommes de terre » du sac marxiste de s’agréger en purée de bonne vraie « lutte sociale ».

Rien de neuf sous le soleil : l’Esclave antique est déjà révolutionnaire avec le christianisme. Recyclé en Prolétaire par le marxisme, il devient Exclu sous le gauchisme et – désormais – « Immigré musulman » sous les multiculturels. Tous les dominants » étant d’office assimilés à des « islamophobes » (ceux qui n’aiment pas l’islam, selon l’étymologie). Sauf que les multicultureux ne disent pas de QUEL islam il s’agit : vous aimez « l’islam » en bloc, vous ? Le salafiste wahhabite des premiers temps, probablement pas – mais la suite ? L’amalgame n’est pas chez qui l’on croit…

Le récit mythique du multiculturalisme est simple comme la Genèse : il était une fois une méchante civilisation macho, blanche, occidentale et prédatrice, qui a voulu devenir maître et possesseur de la nature et a dominé le monde dès les croisades : par l’esclavage, la technique, la colonisation puis l’exploitation en usines et dans l’armée, le fascisme, le capitalisme… Heureusement, de courageux héros critiques (en écrasante majorité fonctionnaires dans l’enseignement) ont fourbi leurs armes et constitué une légion lumineuse. Par le prêche et l’invective, ils ont porté la Bonne parole, détenteurs évidents de la Vérité : delenda est Cartago, il faut détruire la civilisation occidentale, néfaste pour le citoyen, pour la femme et pour la nature !

La culture nationale est réduite au rang de culture arbitraire, imposée malgré eux aux immigrés, fils d’immigrés et descendants jusqu’à la septième génération – rendez-vous compte ! Il faut donc contester cette domination, remettre en cause ces privilèges, s’élever contre toute contrainte du passé. Seul le présent compte dans l’univers mondialisé des nomades multiculturels et en permanence connectés. Les grands Droits de l’Homme sont donc réinterprétés en petits droits à la différence. La lutte des Lumières pour l’émancipation de l’individu et de la société devient une simple lutte contre les « discriminations » – dont le mot-clé est « stigmatisation ». Nul n’a « le droit » de dire qu’untel est un « barbare », il est seulement différent. Ni qu’il est nul et illettré, mais qu’il a eu une enfance malheureuse. Ni qu’il est un fou dangereux, mais que la société n’a pas su l’accueillir. Ben voyons !

ignorer mediavores

Ces gens nous décrivent un monde idéal de Bisounours où toute politique sera morale, où la citoyenneté se confondra naturellement avec l’humanité (en attendant les gentils Aliens venus d’ailleurs), où la terre entière se fera sans frontières, réconciliée. Il nous faut donc nous ouvrir à l’autre – tête, cœur, cuisses et fesses – justement parce que l’Autre n’est pas nous et que nous sommes coupables de méchanceté à le repousser (si lui vous repousse, ce n’est JAMAIS de sa faute).

Les identités briment, cassons les codes ! Devenons indifférents aux différences, car appartenant au passé, aux héritages. Chacun choisira ses appartenances au gré de son jeu social et de l’humeur du temps, entièrement au présent ; Il en changera au gré de ses fantaisies, de ses rencontres. Le bout de l’individualisme est le narcissisme et l’autocréation : Dieu ma bite, dit le curé humoriste.

Avant la Chute (ce néolithique qui a cultivé les champs, donc introduit la propriété privée…), l’humanité était une et indifférenciée (qu’en pensent les Neandertal génocidés d’un bon coup de silex sur le crâne, ou les Cro-Magnon du paléolithique qui se bouffaient parfois entre eux ?). Hélas, Babel vint (euh non, ça c’est dans la Bible) – disons que les sociétés se sont « différenciées » (oh le vilain mot !) et se sont donc fait la guerre. Exigeant la création d’États, donc de surveillance par le recensement, le paiement d’impôts, l’édiction de lois contraignantes. Ce qui a embrigadé dans l’armée, enchainé aux champs et rempli les prisons : rien que de l’esclavage et de l’exploitation, tout ça ! CQFD.

Il faut donc « revenir » (mais ce ne serait PAS réactionnaire !) à ce temps béni d’avant pour que s’accomplisse le Progrès (comprenne qui pourra de cet oxymore). Il faut donc éduquer, endoctriner, s’indigner pour éradiquer les « phobies » et rééduquer ou emprisonner les « phobes ».

Ne serait-ce que critiquer cette conception curieuse de la « multiculture » devient une pathologie. Dès lors, rien à discuter, on énonce péremptoirement et tout intello qui veut rester dans la bande doit, sous peine d’excommunication par ses pères pairs, établir un cordon sanitaire médiatique autour des « méchants ». Privés de télé, de parole, d’éditeurs, de compte-rendu dans les journaux : ils n’existent plus.

Mais, hélas ! le peuple a dangereusement peur de cette diversité tant prônée. La culture, il n’y comprend déjà pas grand-chose, alors la multiculture, c’est pire ! Il est donc conseillé de transférer la souveraineté politique des élections vers les tribunaux et les administrations. Ces lieux d’entre soi technocratique, où le citoyen ne contrôle rien, permet de condamner les « propos racistes » (même quand il s’agit de dérives religieuses), d’assurer le « droit à la différence » (même quand il empiète sur la liberté d’autrui), de forcer la mixité sociale dans les collèges (mais pas la mixité des sexes à la piscine), d’obliger au logement social dans toutes les communes, de supprimer l’allemand bilingue au profit de l’arabe possible pour tous, d’imposer le « genre » (qui n’existe pas) au titre de l’éducation sexuelle, et d’exposés sur la Shoah ou sur l’immigration durable en place de l’histoire nationale (qui donnerait pourtant un sens aux « valeurs de la République » également prônées par ailleurs).

Cette bienveillance naïve du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ces aimables différences valorisée comme autant de « richesses » par les Hidalgo et autres multicultis – que valent-elles face à une kalachnikov maniée par des illettrés fanatisés de religion différenciée ? Dans cette utopie multiculturelle, non, vraiment, la démocratie n’y trouve pas son compte.

Je ne suis pas multiculturel mais ancré dans ma culture. Ce n’est QUE parce que je sais qui je suis et ce à quoi je crois que je peux sans malaise me confronter aux autres cultures du monde. Pour lesquelles j’ai de la curiosité et une envie d’apprendre. En témoignent tous ces voyages un peu partout sur la planète, chroniqués régulièrement sur ce blog. L’inverse absolu de ces paumés dépressifs en pleine adolescence qui tuent au nom d’Allah : eux n’ont pas eu de culture – puisque toutes se valent – ni la nôtre ni la leur, ce pourquoi ils se sont précipité dans la première secte de l’islam qui leur a fait signe.

Je crois cette utopie multiculturelle dangereuse, car fermée sur elle-même (comme souvent les utopies). Ce n’est pas ma conception de la participation citoyenne, ni du vivre ensemble.

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