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Pissac aujourd’hui

Nous redescendons à pieds par les sentiers qui coupent et recoupent les pentes, empruntant parfois des escaliers de pierres antiques entre les terrasses. Nous rejoignons le village actuel de Pissac, établi au bord de la rivière.

Le chemin nous mène tout droit au centre d’une place où pousse un vieil arbre planté il y aurait 300 ans. Ses branches soutiennent des lichens qui pendent comme des mèches de vieille femme. Nous sommes sur la place du marché artisanal. Les étals commencent à être remballés car la nuit tombe dans moins d’une heure. Mais nous pouvons encore admirer les traditionnels pulls et couvertures « d’alpaca » et autres genres de lamas, des objets de cuivre imitant ceux du rituel inca, des poteries joliment décorées et de curieuses statuettes de bois sombre. Les Christs sculptés sont de particulières caricatures : le visage buriné, le corps émacié aux côtes saillantes, une plaie béante où l’on mettrait le poing au côté droit, les mains griffues clouées à la croix, les pieds recroquevillés aux os saillants sous la douleur… C’est un concentré d’influences malsaines. Il y a tout le masochisme traditionnel du catholicisme espagnol, allié à la haine indienne pour ce dieu qui leur a volé leur culture.

Dans les boutiques d’une rue qui descend vers la rivière on trouve de hideux porte-clés aux positions érotiques d’une soi-disant « culture pré-inca », élaborés plutôt pour flatter les instincts hypocrites des touristes yankees. Toutes les positions imaginables sont représentées, sans oublier le quota pour la minorité homosexuelle. Choisik porte depuis le départ un collier de perles en porcelaine émaillée qui fait envie aux filles depuis longtemps. Elle nous conduit dans une boutique où on les trouve au kilo. Et chacune de composer son collier. Je remarque que Carène, la blonde bordelaise aux yeux bleus, assortit son échantillon avec beaucoup de goût. Elle a le sens de l’harmonie des couleurs. Réservée, souvent échevelée, est fiable comme le vin de Bordeaux, région dont elle est originaire avec une trace d’accent. Pablito achète pour sa nièce ou son filleul (les garçons ados portent aussi des colliers), Salomé pour elle (d’abord) puis pour « une copine ».

Nous revenons par les boutiques d’épicerie pour trouver du pisco, mais Choisik ne trouve pas de « bonne marque ». Un boutiquier nous fait goûter une liqueur de sa composition, à l’anis, dont le parfum est agréable. Juan achète à un marchand ambulant un verre de tisane d’herbes médicinales. Nous en goûtons quelques gorgées : elle a une odeur de gazon frais tondu et un goût de raisin à peine pressé.

Nous rentrons à l’hôtel à la nuit tombée, pour la douche. Nous avons eu froid presque tout l’après-midi en raison du vent fort qui soufflait sur le site. Personne n’avait pris la peine de se munir de coupe-vent, en ayant assez de porter le sac. Aussi, ce soir, le feu de bois d’eucalyptus à la bonne odeur médicinale, le pisco sour du bar et la partie de billard avec la blonde Carène, ont été de sérieux médicaments. C’est elle qui a gagné, révélant un autre de ses talents cachés.

Au dîner, nous avons de la soupe de maïs, de la truite du rio avec ses frites et divers autres légumes. Au moment de payer les boissons, c’est encore le quart d’heure de comptes d’apothicaire entre ceux qui ont bu ceci, ceux qui ont bu cela, sans compter ceux qui n’ont rien bu. Il y a quelques années, le groupe organisait une caisse commune qui se chargeait du tout. Aujourd’hui, l’individualisme est devenu intégriste et, à quinze, c’est plutôt bordélique !

La nuit dans un vrai lit sera bonne, il ne pouvait en être autrement.

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Pissac inca

Le site inca de Pissac a été construit vers 1450 dans le style « inca provincial ». Nous nous y rendons en bus, par la route, pour éviter de grimper longuement. Il est établi entre 3400 et 3800 m d’altitude. Poussent encore les fleurs rouges appelées cantutas. On en trouve près de la fontaine aux trois bouches qui s’élève près de l’entrée du site. Devant elle, la falaise est creusée de centaines de tombes incas. Elles ont été presque toutes été pillées, dont une grande partie par un ancien conservateur du site qui revendait les poteries et les statuettes trouvées aux touristes ! Les morts étaient momifiés en position fœtale, symbole de la continuation de la vie : ainsi ils étaient entrés dans le monde par le ventre de leur mère, ainsi ils en sortaient dans le ventre de la terre.

Le quartier important est Intihuatan. Le sentier qui y mène, à flanc de falaise, est gardé par des tours. On l’atteint par le haut. Au centre s’élèvent les restes d’un bâtiment rond, construit autour d’une grosse pierre naturelle. A son sommet sont sculptées deux bites « pour amarrer le soleil » ; c’est le centre du temple consacré à l’astre du jour. La maison du prêtre du soleil est construite en style religieux, « inca impérial ». Au sommet du piton qui surplombe le site s’élève encore une construction en forme de tourbillon. Juan nous explique l’usage de la fontaine établie ici. L’eau, captée depuis la source et apportée par des rigoles de pierre, coule par une bouche qui servait aux visiteurs à se purifier. Deux pierres creusées de part et d’autre de la bouche sur le muret à hauteur d’homme, permettent de se tenir tandis que l’on place la tête et le torse nu sous la fontaine. L’eau, recueillie dans une vasque, coule ensuite dans les canalisations de pierre au bord des ruelles pour alimenter les terrasses cultivées à l’extérieur des murs, en contrebas. Cette eau, sortie de la terre mère, coulant au travers du temple solaire, est ainsi chargée du double sacré nécessaire à la fécondité ; elle va faire germer la terre pour que les récoltes poussent bien.

Juan nous explique un symbole inca courant, gravé ici, ce qu’il appelle « la croix carrée ». Chaque point cardinal reproduit les trois marches qui représentent les trois mondes (ciel, terre, souterrain).

A flanc de montagne sont installés quelques greniers en adobe. Ils sont gardés par deux tours rondes. Les terrasses sont toujours cultivées de nos jours, ce qui explique leur étonnant état de conservation. De l’autre côté de la vallée, sur la paroi d’en face, les terrasses sont différentes. Installées plus récemment, elles montrent que les techniques ancestrales ont été abandonnées. Pablito, organisateur par métier, s’en étonne avec une insistance qui me laisse dubitatif.

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Descente vertigineuse vers Pissac

Le chemin muletier plonge brutalement vers la rivière par une faille dans la falaise rocheuse. Il est pierreux et poussiéreux, souvent glissant. Il serpente en courts zigzags que les mules ont parfois bien du mal à négocier. Leur chargement se prend à un arbuste et les déséquilibre. L’une d’elle est tombée sur le dos en faisant valser les bagages ; elle a du mal à se relever. Les muletiers ne font pas de sentiment : allez ! debout ! et ils remettent la bête sur le chemin à grands coups de bâtons. Mais ils ne lui rechargent pas les bagages tombés sur le dos, ils les répartissent sur les autres mules. Du haut, la descente apparaît vraiment « vertigineuse ». On aperçoit tout en bas l’Urubamba scintillant au soleil. Levant les yeux, je ne vois déjà plus le centre inca, caché dans par ressaut de la montagne. Les Incas étaient des militaires compétents qui savaient camoufler leurs établissements dans la nature. A la montée, on ne le voit qu’au dernier moment.

La ville de Lamay s’étend à nos pieds, de plus en plus proche. On entend le vrombissement des motos qui passent sur la route et le grondement des camions qui travaillent sur la lagune de sable en exploitation. A flanc de falaise, presque inaccessibles, Choisik nous montre deux trous au loin. Ce sont des tombes incas. Les morts voulaient sortir du monde habité et cultivé, reposer au cœur de la Pachamama, la terre mère, orientés vers le soleil levant, père de toutes choses.

Le restant de la descente est pénible aux pieds ; le chemin glisse, les chaussures serrent, le sol chauffe la plante des pieds, la poussière étouffe, le soleil éblouit. La rivière fraîche, en bas, nous apparaît comme une oasis. Il suffit de passer le pont, ce que nous finissons par faire. Des petits se baignent tout nus tandis que leurs mères lavent leurs vêtements avec le reste du linge. Un bus nous attend sous les eucalyptus pour faire les quelques kilomètres par la route qui nous séparent de notre destination : Pissac.

Nous dépassons la ville pour rejoindre 2 km plus loin l’hôtel Royal Inka. Fleurs, patio, construction très coloniale ; il y a même une piscine que Salomé teste aussitôt. Mais nous devons encore déjeuner, visiter les ruines et parcourir la rue artisanale. La journée est loin d’être finie et le repos du guerrier pas pour tout de suite !

Devant le bar, sous le dôme en plastique qui couvre le patio, sont installés un billard américain, une télévision avec ses fauteuils et une armoire à livres. Elle comprend beaucoup de poches en anglais et quelques livres militaires d’histoire du pays. Rien que du politiquement correct. La cheminée centrale a un foyer métallique en forme de figure inca. Le sol est pavé de galets ronds de rivière. Plusieurs plantes vertes égaient les angles, des fougères en pot tombent des vasques suspendues. Au mur sont accrochées des épées espagnoles et des haches indiennes.

Le repas se compose d’avocat sauce citron vert, de steak très cuit accompagné de grosses frites, de haricots verts et du sempiternel riz, enfin de salade de fruits (banane, papaye, pomme, raisin). Surprise : le café est bon, ce n’est ni ce concentré amer, ni ce jus international que l’on trouve trop souvent.

Un groupe de 15, c’est beaucoup. Quand Choisik donne ses instructions, il y en a toujours un qui parle ou n’écoute pas. Les rendez-vous prennent plus de temps, on attend toujours quelqu’un. En contrepartie, on a plus de chance de trouver des gens avec qui l’on a quelque affinité.

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