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Colette, Le voyage égoïste

Encore un autre recueil d’articles : quand un auteur n’a rien à dire, il publie ses articles en volume. Le thème, s’il en faut un, est celui de la vie quotidienne – facile quand on écrit dans les journaux, Le Matin, Vogue, Demain : c’est ce que les lecteurs/lectrices demandent. Mais ces textes sont riches et se lisent très bien encore aujourd’hui. Colette s’étonne, découvre du neuf, éprouve la joie des cinq sens. Même les mots qui décrivent sont remplis de saveur. L’éphémère du jour voisine avec le tangible du passé. Le souvenir fait voyager autant que l’aujourd’hui. Non sans plaisir mais aussi ironie.

Car Colette se moque.

D’elle-même avec ses souvenirs égoïstes : « Oh ! petit garçon je te montre un vase enchanté, dont la panse gronde de rêves captifs, la grotte mystérieuse où je m’enferme avec mes fantômes favoris, et tu restes froid, déçu… » p.1095 Pléiade. De sa fièvre dans « J’ai chaud ! » – que dirait-elle ne nos,canicules ! De l’absence de l’Autre, mari ou jeune amant : « C’est qu’il n’y a plus, sur la plage lissée par la vague, la moindre trace de tes jeux, de tes bonds, de ta jeune violence, il n’y a plus tes cris dans le vent, et ton élan de nageur ne brise plus la volute harmonieuse de la lame qui se dresse, s’incline, s’enroule comme une verte feuille transparente, et fond à mes pieds… » p.1101. De sa fille qui, à douze ans, évolue et récuse ses yeux de l’an dernier, son imaginaire enchanté et les jeux de déguisement avec les coupons de tissu. « Elle cherche de l’œil un miroir et non plus une couronne de lambeaux radieux » p.1129.

Des autres, de la mode, du temps : comme ces « parents qui soupirent, déconcertés, devant une progéniture qui à dix ans réclame une fourrure, à douze ans une auto, à quinze ans un fil de petites perles » p.1107. Ou ces visites obligées aux uns et aux autres, même si l’on n’en a pas envie, jusqu’à ce « mien cousin laissa chez moi une carte de visite qui portait, gravés, ces mots : Raphaël Landoy, Vice-Président de la Ligue contre l’usage de la carte de visite. » p.1111. Des mannequins « américains », grandes juments garçonnières sans fesses ni seins, sveltes mais anorexiques, qui contraignent les robes et disciplinent les corps peu faits pour ça en latinité. Seuls les hommes apprécient les robes, à condition qu’elles soient sur les mannequins : ils ont le regard objectif, sensuel, et achèteraient bien le tout plutôt que l’oripeau.

La mode allonge en été et raccourcit en hiver, habille en sept ans d’âge les femmes mûres, art de transgression qui vise l’épate plutôt que le confort et surtout le bon sens. Mode garçonnière : « Chez les couturiers, le faste de Byzance se promène sur des collégiens tondus. Lelong drape de ravissants petits empereurs de la décadence, des types accomplis de la grâce sans sexe, si jeunes et si ambigus que je ne pus me tenir de suggérer au jeune couturier (…) : « Que n’employez-vous – oh ! en toute innocence ! – quelques adolescents ? L’épaule fringante, le cou bien attaché, la jambe longue, le sein et la hanche absents, il n’en manque pas qui donneraient le change sur… – J’entends bien, interrompit le jeune maître de la couture. Mais les jeunes garçons qu’on accoutume à la robe prennent, très vite, une allure, une grâce exagérément féminine au voisinage desquelles mes jeunes mannequins femmes, je vous l’assure, ressembleraient toutes à des travestis » p.1181. On notera qu’ainsi Colette se moque des féministes qui voudraient être garces et réduire l’homme à l’androgyne, en même temps quelle dit son goût pour l’extrême jeunesse, étant passée entre vingt et cinquante ans de gouine à cougar.

Sa copine Valentine est de ces écervelées riches et oisives qui suivent la mode et les engouements « à la Facebook » comme on dirait aujourd’hui : s’habiller court en hiver mais avec un long manteau, se payer une couturière à façon plutôt qu’une robe de prix, ou faire l’inverse six mois plus tard avec les mêmes arguments évanescents, « voyager » à toute allure en 11 CV en tenant une « moyenne de 80 », des vendanges en septembre mais habillée comme il sied, « en toile violet-pourpre, imprimée de raisins jaunes » p.1130.

Colette s’étonne que les vendeuses d’habillement étouffent dans les « odeurs de femmes » qui transpirent et ne portent plus de linge. Ou qu’en arrière-saison le « lamé démontre la grossièreté des sens féminins, particulièrement de l’odorat. Car le fumet d’une robe de lamé, humectée au cours d’une soirée chaude, oxydée pendant la danse, passe en âpreté le fier arôme du déménageur en plein rendement. Elle fleure l’argenterie mal tenue, le vieux billon, le torchon pour les cuivres » p.1163.

Elle ironise sur « les joyaux menacés », cet impôt sur les « biens oisifs » mobiliers que le Cartel des gauches voulait établir à 14 % en 1925 ! Les femmes, « jamais elles ne se sont senties si directement offensées » p.1134. Sur les fards dont les parfumeurs imposent le goût douteux aux hommes qui embrassent leur femme, au point que l’un d’eux vient en acheter lui-même pour en tester la saveur avant de l’offrir à son épouse. Sur les chapeaux qui cachent les visages, et l’habitude de les porter avec telles boucles d’oreille, ce qui fait confondre les amoureux qui attendent leur belle à la sortie du métro. Sur « les seins », « leur nom banni, leur turgescence, aimable ou indiscrète, morte et dégonflée ». On refait le sein, « qu’un profond soupir heureux émeuve vos tétons carrés de boxeur, ou votre troublante gorge d’élève de rhétorique, et maintenant vous pouvez choisir » p.1152 : renforts en coupelle de caoutchouc, poches de tulle pour les rentrer et les mouler, l’été le maillot de bain style fillette ou le tablier à carreau sans manches

Colette s’enthousiasme aussi.

De la neige avec le ski qu’elle découvre, des vacances des petits Parisiens qui ont déjà trop chaud en juin et qui vont aller nus tout l’été, des « chasses » en plein Paris d’un léopard échappé ou une perdrix égarée de ses champs. Des mots inventés par les couturiers de mode : « le los de la crepellaine, du bigarella, du poplaclan, du djirsirisa et de la gousellaine – j’en oublie ! – une griserie phonétique me saisit, et je me mets à penser en pur dialecte poplacote » p.1160. Plaisir des mots comme des fruits qu’on croque ou des gemmes qu’on admire. Les « soieries » sont son bonheur : « au sein d’un velours riche en moires, touché du reflet aquatique qui court sur une surface buveuse de lumière, le pavot est devenu méduse » p.1175.

Colette, Colette, Le voyage égoïste, 1911-1925, 1928, Fayard 1996, 128 pages, €14,00, e-book Kindle4,99

Colette, Œuvres tome 2, édition Claude Pichois, Gallimard Pléiade 1986, 1794 pages, €69,44

Les œuvres de Colette déjà chroniquées sur ce blog

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Temple du Ciel

Nous nous rendons l’après-midi au Temple du Ciel. Il date de 1420 à l’apogée des Ming. Il est entouré de murs et coiffé de tuiles vernissées d’un bleu sombre – couleur de ciel d’orage – qui lui donnent un aspect superbe. Deux fois par an l’empereur venait y faire sacrifice : au printemps pour assurer une récolte propice ; au solstice d’hiver, pour se charger des fautes de son peuple.

temple du ciel Tertre circulaire 1530

Il neige toujours et les terrasses de marbre brillent. L’autel de la Voûte Céleste a son extérieur carré (terre) et son intérieur rond (ciel) ; l’autel s’élève sur trois terrasses de marbre circulaires, conçues par des mathématiciens et des astronomes.

temple du ciel

Les trois terrasses symbolisent l’homme, la terre et le ciel. L’architecture du temple exprime la hiérarchie cosmique. J’admire sans réserve la beauté des pavillons de bois décoré, les plafonds à caissons de couleur vert et or, les perspectives des temples et des jardins. Les balustrades portent 360 piliers, autant que de jours en une année chinoise (lunaire).

temple du ciel voute celeste imperiale 1530

Tout est multiple de neuf, nombre céleste : les marches des escaliers, les cercles de dalles, les balustrades… Le neuf représente la puissance du yang à son maximum, ce principe de dissipation énergétique. Le yin n’est pas son contraire, il est sa part obscure, sa polarité opposée. Trois volées de marches montent au temple dont le corps est composé de trois cercles qui se superposent en millefeuille. Le dernier, surmonté d’une boule, fait couvercle de théière. Les tuiles vernies, bleu sombre, brillent d’un éclat énigmatique sous le ciel neigeux.

temple du ceil galerie

Je constate l’affection pour une symétrie « à la française » de cette civilisation impériale chinoise qui, comme la nôtre, aimait à tout codifier, à tout aménager suivant des « normes ». Elle avait ainsi l’illusion de contrôler la nature et les hommes, voire les lois du monde. Nos jacobins ne conservent-ils pas cette illusion, qui nous paraît désormais si naïve ?

temple du ciel pont des marches vermillon

Le retour voit un arrêt rituel – et interminable – dans une boutique de soieries et autres « souvenirs » qui n’ont pour moi aucun intérêt. Nous rentrons à l’hôtel où je prends me requinque avec un whisky, suivi d’un thé et d’un peu de lecture, avant le rendez-vous de la soirée : « l’opéra » de Pékin.

pere et fils pekin 1993

Rien à voir avec notre opéra. Il s’agit plutôt d’un spectacle de cabaret qui dure une heure et demi. Les spectateurs sont assis à des tables où sont servis thé et petits gâteaux. Sur la scène, des acteurs miment beaucoup et chantent peu, si bien que même des étrangers peuvent s’amuser. Trois scènes se succèdent : un acteur seul ; puis une jeune fille et un vieux pêcheur ; enfin le roi des neiges combattant dix guerriers. Les costumes sont chatoyants, les maquillages soignés, le réglage des scènes très professionnel. Nous ne nous y ennuyons pas.

temple du ciel mandarin

Nous dînons de raviolis chinois dans le restaurant Setchuan de l’hôtel. Ce n’est pas se mêler à la population mais, comme disait Trucmuche, « en Chine, plus on est d’fous, moins y’a d’riz ! ».

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