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Quelles solutions à la crise de la zone euro ?

Article repris par Medium4You et par AuxerreTV.

La situation des pays européens est paradoxale : zone de richesse la plus forte de la planète, ils se trouvent empêtrés par la crise bancaire et économique dans un endettement public non prévu, non pensé et difficile à réduire. Les économistes – dont la majorité n’avait rien vu – s’empressent de donner des leçons de « gouvernance » à grands coups de yakas médiatiques. C’est que les élections présidentielles prochaines en France pourraient bien conduire l’opposition au pouvoir et qu’il est bon de se placer au cas où…

Que faudrait-il faire en Europe ? Un grand chambardement politique avec référendum, démocratie à tous les étages, protectionnisme économique et solidarité-providence partout ? Ce serait sain, mais qui le veut parmi les peuples européens ? Même pas les Grecs… Or on ne fait pas l’Europe tout seul. Reste donc à faire avec ce qu’on a, une construction européenne tiraillée entre grand marché et fédéralisme, dont aucune nation ne veut absolument l’un comme l’autre. Nous sommes dans l’entre-deux et y resterons probablement un long moment. Mais nous pouvons y faire face.

Solution 1 : Efforts et volonté politique

Conjugués, ils permettent une trajectoire de redressement des comptes extérieurs et une réduction progressive des déficits publics. C’est ce qu’ont fait l’Irlande et l’Espagne et ces deux pays vont mieux. Reste à fixer un cap consensuel entre les partis et assurer l’intérêt national au-delà des idéologies. Ce n’est pas encore le cas en Italie, ni franchement en Grèce, cela reste peu probable en France où règne l’illusion du yaka imposer plus « les riches » pour que tout aille pour le mieux dans la meilleure des Europe possibles… Comme si l’Europe de la zone euro n’était pas avant tout l’Allemagne qui a supprimé il y a des années son impôt sur la fortune et qu’on pouvait, comme ça, s’affranchir de la convergence avec l’économie allemande sans divorcer peu à peu de l’euro.

La politique irlandaise et espagnole est donc possible, mais douloureuse en temps de démagogie électorale : le candidat socialiste ne doit-il pas laisser tomber l’intégralité du programme de mai, que l’évolution de la crise rend complètement anachronique ?

Solution 2 : la planche à billets.

Il existe une autre politique que l’effort et le projet politique, sauf qu’elle est américaine… Il est amusant de constater que nombre d’économistes « de gauche » se précipitent dans les recettes libérales venues de la Fed pour résoudre l’impossible équation social-étatiste. Yaka financer à guichets ouverts, en dernier ressort.

Ce qu’ils demandent à la Banque centrale européenne est ce que fait la Federal Reserve américaine. Or les chiffres publiés du troisième trimestre aux États-Unis semblent montrer que cette politique entre rigueur budgétaire et souplesse monétaire fonctionne. L’investissement privé hors logement monte de 16,3%. L’investissement logement monte même de 2,4%. Le déstockage se poursuit, mais permet d’espérer un certain rattrapage par la suite. La consommation croît de 2,4% et le commerce extérieur est positif, les exportations ayant progressé plus que les importations, à 4% contre 1,9%. Les dépenses publiques sont restées nulles, mais les bénéfices des entreprises sont bons, à 14% du PIB.

Comment réussir aussi bien ? Le réglage conjoncturel a mixé vigilance budgétaire et souplesse monétaire. La dépense publique est contenue. La Fed prête en dernier ressort pour acheter de la dette publique sans limite. Les marchés financiers des États-Unis, bien plus mûrs que les traders de la City ou de Zurich, montrent une aversion au risque maîtrisée, ce qui permet à l’indice actions américain d’être en hausse depuis le début d’année.

Est-ce possible en Europe ?

Ce que peuvent les États-Unis est difficile en Europe parce que justement faite d’États non unis. L’Union monétaire reste empêtrée dans les souverainetés nationales non coordonnées, les petits calculs politiciens nationaux et le tabou qui vient de la période pré-hitlérienne que la dette est l’ennemi, l’inflation un désastre social et la déstabilisation du système bancaire la voie ouverte vers le nazisme. Les États font de la rigueur budgétaire et la Banque centrale garde une vigilance monétaire excessive, refusant le statut de prêteur en dernier ressort. Il faudrait qu’un pied continue d’actionner le frein (les États), tandis qu’un autre pied relance l’investissement en Europe (la BCE).

L’Allemagne change, mais très lentement, poussée par le développement de la crise plus que par conviction profonde. Donc cela coûte de plus en plus cher et l’Allemagne paie – mais bien plus qu’elle ne devrait. Jusqu’à quand ? Probablement jusqu’à ce qu’un grand pays de la zone euro dise non et se replie sur son petit nationalisme sous prétexte de « démocratie ».

Il est facile de faire des incantations à la « démocratie » quand on fait peur aux gens : le vote est-il libre et non faussé ? La Grèce a lancé l’idée mais elle compte peu en termes économiques dans l’ensemble de la zone. Si d’aventure l’Italie, l’Espagne ou la France devaient dire « non » (comme en 2005) à un plan européen, c’en serait fait de l’euro. Certains politiciens nationaux en rêvent, car le chaos leur profite. Plus c’est le bordel, plus leur grande gueule domine les autres et a des chances de se faire entendre. Ce n’est pas du « populisme » mais de la grasse démagogie, dont Aristote (un Grec déjà…) avait fort bien décrit les mécanismes. La suite de la démagogie est bien connue : c’est la tyrannie (toujours décrite avec logique par le précepteur d’Alexandre).

La Banque centrale européenne peut-elle changer ?

Certain le croient avec le passage de témoin entre Jean-Claude Trichet, haut fonctionnaire étatiste, et Mario Draghi, homme de marché italien passé par Goldman Sachs. Sa première conférence de presse du 3 novembre a pointé qu’une récession arrivait en Europe, justifiant la baisse de 0.25% du taux directeur (désormais à 1.25%, taux auquel se refinancent les banques de la zone euro). Il devrait aller plus loin, comme en témoigne l’action de la BCE la seconde semaine de novembre : elle rachète des emprunts d’État italien tandis que les banques s’en désengagent peu à peu. Il s’agit de planche à billet non officielle, à l’image de la Fed, avec cette différence que cette dernière assume. Mais ne brusquons pas trop vite la vertu et les tabous allemands…

Les économistes de gauche vont donc devoir applaudir l’homme de Goldman Sachs, qui agit comme les Américains. N’est-ce pas d’une superbe schizophrénie politique ?

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La Banque centrale européenne ne peut pas tout

Le Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne a laissé inchangé son taux directeur à 1,5% mais annonce des mesures non conventionnelles pour soutenir la liquidité bancaire. Le danger reste en effet que les banques ne se prêtent plus entre elles, pour cause de défiance sur leurs engagements en emprunts d’États risqués (dette grecque, portugaise, espagnole, italienne…). Donc que les fonds manquent pour prêter aux entreprises. Les banques prêtent environ six fois leurs dépôts, en empruntant ce qu’elles n’ont pas à mesure. Cette situation de pénurie de fonds prêtable s’appelle en français assèchement du crédit (credit crunch en anglais).

Contre cette situation, trois outils : baisser les taux, recapitaliser les banques, redonner confiance : la BCE ne peut pas tout.

  1. Baisser les taux est une arme efficace… sauf lorsque les taux sont proches de zéro. Puisqu’on ne peut pas payer les gens pour emprunter, les taux négatifs sont impossibles car ce qui manque est l’envie ou le besoin d’emprunter. Ce qu’on appelle la trappe à liquidités. La BCE garde la possibilité de baisser ses taux de 1.50% à 1%, voire en-dessous si la conjoncture s’aggrave. L’inflation devrait reculer, du fait de l’inertie des prix pétroliers, et la BCE ne tire pas toutes ses munitions de suite car la psychologie compte beaucoup en finance.
  2. Recapitaliser les banques passe par un appel aux actionnaires ou aux États. Mais pas avant d’avoir réglé politiquement le problème des dettes des États défaillants de la zone euro. Les emprunts d’État – dits « sans risques »… – entrent en effet dans les ratios de fonds propres exigés des banques pour garantir leurs dépôts et leurs risques de prêts, selon les accords de Bâle. Les actionnaires ne veulent pas s’engager sans projet, quant aux États, ils sont contraints par leur endettement. S’ils devaient à nouveau « sauver » le système bancaire, nul doute que les banques seraient nationalisées ou du moins largement contrôlées – ce qui serait au détriment de leur place internationale. Une action en dernier ressort.
  3. Redonner confiance aux établissements pour qu’ils se prêtent à nouveau entre eux passe par une politique claire : que les actionnaires prennent leurs risques (acceptent une dévaluation de 50% des emprunts grecs qu’ils possèdent, par exemple) ; et que les États avancent dans le processus politique européen. Le fonds de garantie européen est prévu pour garantir les emprunts grecs, mais serait insuffisant si l’Espagne ou l’Italie, pays autrement plus gros, devaient faillir à leur tour. C’est surtout la concertation économique et fiscale qui manque à la zone, toujours handicapée par des élections quelque part. La recapitalisation est un processus politique qui prend du temps.

A moins qu’une aggravation brutale de crise force les politiciens à faire enfin leur métier, qui est de contraindre les opinions publiques dans l’intérêt général. Pas plus lors de crises financières que sur un champ de bataille on ne tient compte des sondages sur les soldats engagés : on commande et on évalue ensuite. C’est ce que fit Roosevelt dans les années 1930 et les États-Unis ne s’en sont portés que mieux.

En attendant les politiciens, la BCE déploie les outils de crise à sa portée :

  1. les enchères illimitées à taux fixe pour les opérations de refinancement des banques jusqu’en juillet 2012.
  2. des opérations de refinancement à 12 mois aux enchères en octobre et décembre.
  3. un programme de rachat de Covered Bonds (obligations adossées à des créances hypothécaires ou à des créances du secteur public) jusqu’en octobre 2012 pour un montant total de 40 milliards d’euros.
  4. Une éventuelle baisse du taux directeur en décembre ou plus tard.

La Banque centrale applique le principe de séparation entre les mesures statutaires pour la stabilité des prix à moyen terme, et des mesures non conventionnelles pour aider à une meilleure transmission de la politique monétaire à l’économie réelle via les banques. Le taux de refinancement à 1,5%, compte tenu d’une inflation à 3%, donne aujourd’hui des taux réels négatifs. Mais les tensions sur les emprunts d’États européens et la contagion au système bancaire font monter les primes de risque exigées, tandis que les banques peinent à trouver la liquidité pour prêter.

La tâche de la BCE est de tenter de passer le cap en attendant que les politiciens européens trouvent, dans la lenteur électorale et les palabres démocratiques, une réponse crédible globale à la crise des dettes souveraines. Fournir la liquidité aux économies reste indispensable à la croissance (déjà très faible). Car plus la crise dure, plus la confiance disparaît et met du temps à revenir, plus les investisseurs comme les consommateurs hésitent à agir. L’austérité budgétaire n’est utile aux États que si elle force les opinions aux réformes d’organisation et d’efficacité des services publics, pas si elle pénalise l’investissement public et coupe brutalement dans les filets sociaux.

Parmi les trois acteurs que sont les banques, la Banque centrale et les États de l’Eurozone, chacun doit y mettre du sien : les banques en acceptant des pertes sur leurs emprunts grecs et en cantonnant leurs investissements financiers risqués, la BCE en jouant sur ses leviers des taux et des enchères de rachat d’emprunts éligibles, les États en se réformant mieux et en organisant une concertation européenne qui manque cruellement (y compris sur la régulation du système financier). Vaste chantier pour les futurs élus polonais, français et allemands !

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