Arnaldur Indridason, La voix

On a assassiné le père Noël ! Même en Islande, pays de la glace et du feu, cet incident ne passe pas inaperçu. Mais point de cellule d’aide psychologique pour les enfants déçus, on n’est pas dans la France du care aubryste. La compassion est plus subtile au pays des sagas et des poèmes skaldiques. Elle consiste en une enquête à la Maigret, avec tâtonnements et fausses pistes, toujours dans la psychologie.

C’est que l’aujourd’hui dépend d’hier et qu’hier n’a pas été toujours innocent. Qui était donc ce père Noël, dans le civil portier d’hôtel effacé vivotant au fond d’un cagibi depuis vint ans ? Pour quelle raison l’a-t-on tué ? Le sexe ? L’argent ? La réputation ? Ces trois motifs récurrents de tous les meurtres sont examinés tour à tour.

Le grand hôtel de Reykjavik s’emplit de touristes venus apprécier la bonne neige et la tempête hivernale, tout en se gavant de mouton fumé, de bière hors de prix (la plus chère du monde, dit l’auteur en 2002) et en se déguisant des fameux pulls islandais qui ne sont guère portables autrement, sinon dans l’Himalaya. Le criminel est-il un touriste de passage ? Un collègue de l’hôtel ? Une pute attirée par la foule des michetons ? Quelqu’un d’autre entré ici comme dans un moulin ?

Le commissaire Erlendur est un taiseux. Il cache en ses profondeurs un drame qu’il a peine à sortir. Divorcé depuis vingt ans, il a délaissé ses enfants (dans ce roman, on apprend pourquoi) et sa fille, qui vient le voir quand même, s’est droguée et a perdu un bébé. Pas simple de se dépatouiller des vies des autres lorsque la sienne n’est déjà pas claire… C’est tout le sel de cette enquête, menée en lieu clos et en six jours – comme dans la Bible. Le septième jour est Noël, où chacun se retire en famille, comme il se doit.

Flanqué de ses adjoints l’inspecteur Sigurdur Öli, qui n’a jamais pu avoir d’enfant jusqu’ici, et de l’inspectrice Elinborg, qui suit le procès d’un enfant battu, le commissaire Erlendur patauge mais avec méthode. La lumière se fait peu à peu, d’indices en indices. L’enfant est ici le thème du livre : enfant désaimé, enfant prétexte, enfant modèle, enfant repoussoir, enfant poupée… Certains pères exigent de leur enfant qu’ils deviennent le modèle qu’eux-mêmes ont dans la tête, la réalisation qu’ils n’ont pu accomplir. D’autres se servent de leur enfant comme d’un punching ball dans les moments de stress, ou de faire-valoir social quand ça les arrange. A moins que ce soit la mère, effacée en apparence, en retrait ou décédée, qui soit finalement responsable de tout ce qui arrive.

La voix du titre français est celle d’un soliste de douze ans. Elle ouvre et clôt le livre. Un bien beau livre où la psychologie atteint des profondeurs qu’on ne trouve plus guère en France.

Arnaldur Indridason, La voix, 2002, Points policier, Seuil 2008, 401 pages, €7.12


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4 réflexions sur “Arnaldur Indridason, La voix

  1. Pingback: La voix « Mon jardin de minuit

  2. je ne suis pas fan des romans policiers
    mais tu nous le présentes bien 🙂
    bon jeudi

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  3. argoul

    Il me semble avoir lu un Meyer il y a longtemps, une histoire en Afrique du sud, mais il faudrait que je le retrouve.
    Indridason est comme Fred Vargas, un auteur où il y a peu d’action et beaucoup de climat. Tout le monde ne réussit pas la synthèse des deux, comme Simenon le fit excellemment. Et puis il faut lire à tête reposée dans le silence ce genre de livre; à le lire par petits bouts on perd le fil. Pour ça le train est idéal.
    Pour ma part, je regarde rarement le film tiré d’un livre, c’est toujours décevant par rapport à l’idée qu’on s’en était fait. Je préfère le film sans avoir lu le livre.
    Michael Connelly est toujours géant, je vais reprendre peu à peu les notes parues sur l’autre blog quand je serai en panne d’inspiration ou de temps pour lire du neuf.
    Pour Jacqueline Merville, j’ai mis le lien Amazon car les éditions des Femmes sont assez peu dans les librairies traditionnelles, je crois.

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  4. Daniel

    Bonjour,

    Je n’ai pas accroché avec cette voix; Je ne suis pas sûr de tenter un autre roman d’Indridason . As tu essayé Déon Meyer ? Ca vaut le coup.
    Hier je suis aller voir l’adaptation cinéma de la Défense Lincoln : correct sans plus, tout le monde n’est pas Eastwood qui avait parfaitement réussi l’adaptation de Créance de sang.
    il est conseillé de lire Michael Connelly avant de voir les films dont la suite de la défense Lincoln, « Vardict de plomb » ou Mickey Haller croise Harry Bosch….
    Merci pour le billet retenu d’hier avec le beau texte de Jacqueline Merville. Je me mets à la recherche de « Presque africaine. »

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