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Ile de Batz

Article repris par Medium4You.

Enez vaz en breton est à prononcer ‘île de ba’ en français et signifie l’île basse. Elle s’étale sur l’horizon à peu de distance de Roscoff, d’où partent les navettes. Comme 2000 touristes chaque jour de l’été et pour 8€ aller et retour, vous pouvez passer en 15 minutes la journée sur l’île de 3.5 km de long sur 1.5 km de large.

Un sentier côtier en fait le tour complet sur 12 km. Certains chemins sont ouverts aux vélos, d’autres réservés aux pieds.

Nous avons fait tout cela, loué des vélos dès le débarcadère,

visité l’église du bourg, déambulé dans les ruelles,

pique-niqué au calvaire surplombant Pors Leien,

nagé dans une baie ensablée,

arpenté à pied les rochers déchiquetés, grimpé au phare, exploré le jardin colonial Georges Delaselle… C’est qu’il faut les occuper, les petits et les plus grands, sous le soleil.

La partie sud de l’île est la plus intéressante. Outre que la mer y est plus chaude pour les baigneurs (les gamins adorent ça), c’est là que se trouve le débarcadère des navettes, le bourg et son église, puis les différentes cales et pors (petits ports abrités).

A l’ouest la maison du Corsaire, corps de garde construit en 1711 pour surveiller l’abord de Roscoff. Balibar, corsaire révolutionnaire, l’a utilisé pour la défense de l’île. Ce ne sont plus que ruines interdites aujourd’hui pour cause d’écroulements possibles malgré les ronces. Tenez en laisse chiens et enfants ! Surveillez vos ados ! Il n’y a pas de trésor et nous ne sommes pas au Club des Cinq.

Juste au nord, face au large, la mer bouillonne même par beau temps. Des rochers traîtres font de la dentelle des vagues qui viennent. On dit que saint Pol-Aurélien, moine gallois débarqué ici en 553, jeta de son étole le dragon qui hantait les lieux. Le Trou du Serpent est à voir les jours de tempête : le Diable y fait ses griffes, projetant très haut les embruns dans sa rage de ne pouvoir reprendre pied sur l’île protégée du saint…

C’est dans l’église du bourg, dédiée à la Vierge sous le nom de Notre-Dame du Bon Secours, qu’est protégée son étole, monument historique depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’une soie orientale du 8ème siècle (deux siècles après l’arrivée du saint, mais nous sommes dans la légende). Un os de saint Pol est aussi conservé en reliquaire. L’église elle-même a été reconstruite en 1874 et ses vitraux datent de 1895.

Seule une statue de Notre-Dame de Penity a quelque ancienneté, en pierre polychrome du 15ème. Lui fait face, de part et d’autre de l’autel, une statue de saint Pol-Aurélien en bois peint du 18ème. La Bretagne est restée pauvre longtemps, vivant de pêche et de céréales ; ce ne sont que dans les villes du commerce que la richesse a pu venir. Les tenants de la « décroissance » devraient y penser au lieu de jouer les Marie-Antoinette mignotant des agneaux ornés de rubans roses.

La côte nord est sauvage, domaine de la lande, des oiseaux de mer qui y nichent et des grèves de sable ; il y a peu de baigneurs et l’eau y est plus froide malgré les 800 m de sable fin de Grève blanche.

Dans les creux du sol sont cultivés les primeurs qui font la réputation aujourd’hui des quelques 507 habitants à demeure – une école, un collège, des commerces. La pomme de terre de l’île de Batz a la chair ferme, les carottes de sable sont de haut goût et les artichauts y poussent dans les embruns. Une quinzaine d’exploitations bios cultivent encore 170 hectares protégés du gel et enrichis d’algues ramassées sur les grèves alentour. Cinq bateaux goémoniers récoltent les laminaires autour de l’île.

Malgré ses 198 marches et sa côte pour y accéder, d’où que vous y veniez, je vous conseille de monter au phare pour 2.20€. Construit en 1836 de granit de l’île, il surplombe Enez vaz de 44 mètres, permettant une vue aérienne unique sur le bourg, le large et les cultures.

Les kids y grimpent comme des chèvres mais se trouvent fort dépourvus, tout en haut, par le vide très aéré qui leur explose le bas-ventre malgré les rambardes de sécurité. Certes, il fait plus frais qu’en bas, mais c’est un vertige salutaire qui les ramène près de vous, passablement frileux.

L’extrémité sud-est de l’île recèle un trésor : le jardin colonial Georges Delaselle. Je vous en parlerai dans une autre note. Même les enfants l’aiment, c’est dire !

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Morlaix et Charles Cornic

Entre Trégor et Léon, collines à landes et vagues de la mer, la ville de Mont Relaix m’est sympathique. Elle est une ville moyenne française avec ses quelques 18 000 habitants ; un relais administratif avec son chemin de fer qui enjambe l’aber de ses 58 m de haut depuis 1863 ; une cité riche et variée entre industries locales et courses au large depuis toujours.

Je ne vous ferai pas un cours d’histoire sinon que les Romains ont occupé le site naturel, au débouché de la rivière, commandant l’accès à la mer. Que le port pénétrant dans la ville a soutenu le grand commerce au 16ème siècle, exportant miel, beurre, toiles, peaux et chevaux. Et même des livres, dit-on. Que l’incursion anglaise en 1522, alors que les hommes étaient occupés à la foire de Guingamp, saccage peut-être la ville avec forceries de femmes et passage au fil de l’épée d’enfants qui braillaient trop – mais que ces soudards soûlards se sont empoisonnés eux-mêmes en mêlant trop le vin au sang : les hommes revenus les massacrent sans peine le soir venus ! Depuis, la source quai de Beaumont est appelée « fontaine aux Anglais » tant elle a coulé rouge, des heures durant.

Je ne vous ferai pas une visite guidée de la ville, dont les églises Saint-Matthieu et Sainte-Melaine datent du 15ème siècle, jointes par la rue Ange de Guernisac aux maisons d’époque à pans d’ardoises. Le musée des Jacobins, située dans l’ex-église du même nom, vous dira tout de l’histoire et de l’ethnographie du coin.

Je ne vous dirai rien non plus des étonnantes maisons à lanterne, uniques en France, qui furent les demeures des riches bourgeois du 15ème siècle. Peut-être voulaient-ils transposer à la ville la pièce commune de la ferme ? Toujours est-il que ce genre de maison est centré autour d’un patio chauffé d’une gigantesque cheminée et que les étages montent par un escalier à vis jusqu’au toit en verrière, formant un puits de lumière jusqu’au sol. Les pièces s’ouvrent côté rue et côté jardin à l’étage, tandis qu’elles donnent toutes côté intérieur sur le patio central, à l’espagnole, avec une boutique sur la rue. L’une d’elle se visite, dite « maison de la Reine Anne ».

Mais j’aime à penser que ce creux en bord de rivière, s’ouvrant très vite aux bateaux sur la rade de Morlaix avant de s’épanouir au large, passé Carantec, fut propice aux rêves et aux initiatives. On se souvient de Tristan Corbière, poète maudit ; de Michel Mohrt, écrivain de l’Académie Française. Mais ils ne sont pas les seuls à être nés à Morlaix.

C’est Charles Cornic qui me séduit le plus. Personne, ou presque, ne semble plus le connaître, et pourtant ! Né en 1731, il commence dès 7 ans comme mousse sur les bateaux de son père. Il n’était pas d’accord mais a trouvé très vite de l’intérêt au métier. Comme tout gamin vif qui n’a pas froid aux yeux ni au corps, il observe, retient et réfléchit, s’endurcit – et ses talents de corsaire lui donnent le commandement d’un navire d’escorte à 25 ans. Jouer le chien de garde pour les convois commerciaux ne l’empêche pas d’oser : il s’empare de tant de navires anglais qu’il est très vite promu. Louis XV le nomme lieutenant de vaisseaux dans le « Grand Corps » à 33 ans.

Las ! Nous sommes en France et pas en Angleterre : la caste ne permet pas de déroger. Il n’est pas noble, il ne peut pas être capitaine sur un navire du Roi. Pas comme Nelson, fils d’un recteur du Norfolk, qui fut fait duc et pair par le roi après sa victoire d’Aboukir ! Il y a des sociétés ouvertes qui savent renouveler leurs élites ; d’autres sociétés qui sont fermées en dogmes, tabous et castes, et doivent être régulièrement renversées par des révolutions pour survivre…

A bord de la ‘Félicité’, trente canons, Cornic s’empare de frégates anglaises ; à bord du ‘Protée’, vaisseau de 64 canons, il capture 5 vaisseaux de la Compagnie des Indes. Le butin est énorme. Bien sûr, ses succès rendent jaloux ceux qui se sont contentés de naître et se croient « par nature » supérieur aux manants, préférant parader à se battre. Sept officiers nobles du Grand Corps n’hésitent pas à se défier ensemble sur une grève. Cornic gagne et les blesse tous. En décembre 1778, écœuré par l’attitude de la Marine à son égard, malgré 50 convois escortés sans perte, la capture de plus de 20 vaisseaux et la délivrance de plus de 1000 marins français prisonniers, il démissionne et prend sa retraite à l’âge de 47 ans. On le nomme ‘capitaine de vaisseau’ parce qu’il s’en va, et avec une pension minable.

Qu’à cela ne tienne ! L’homme encore jeune n’est pas conservateur pour accepter le fait accompli, ni rousseauiste pour se plaindre que c’est la faute des autres, les méchants dominants : en bon libéral de tempérament (et le siècle veut ça), il se fait corsaire pour lui-même avec un bateau armé par les négociants bretons, le ‘Prométhée’. On sait que ce nom désignait en grec le titan qui réussît à voler le feu aux dieux…

Fortune faite, il se retire à Morlaix, voyant passer non sans quelque plaisir la Révolution puis l’Empire. Les révolutionnaires le feront colonel général de l’artillerie à Bordeaux en 1790, puis adjoint au ministre de la Marine en 1793. Il s’éteindra heureux en 1809, à 78 ans, non sans avoir au préalable tracé un relevé précis et fait baliser la baie de Morlaix.

Un digne fils de la ville, dont la devise m’a toujours donné de la joie : « s’ils te mordent, mords-les ! ». J’apprends cela aux gamins, la liberté se gagne tous les jours.

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