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Ella Maillart, Ti-Puss

La Suissesse Ella Maillart fut successivement sportive, journaliste et voyageuse. Décédée en 1997 à 94 ans, elle a passé cinq ans en Inde durant la Seconde guerre mondiale, pour y apprendre « la sagesse ». Elle le raconte dans Ti-Puss – petite chatte – et semble ne pas en avoir tiré grand-chose d’après ce qu’elle en laisse transparaître.

Ti-Puss est le nom d’une chatte qu’elle adopte chaton, avant de la trimbaler du nord au sud, de logement en logement, la perdant parfois, la retrouvant la plupart du temps, quand ce n’est pas l’inverse, la chatte qui se préoccupe de retrouver sa maîtresse. Est-ce cela de « l’amour » ? Ella tente de nous faire accroire, selon ce que les gourous lui ont appris, que l’amour est un concept idéal, au-delà des formes et des apparences, une sorte de ciel des idées platonicien qu’il s’agirait d’atteindre pour « se libérer » du Moi. Sauf que Platon n’a pas dit ça, lui partait des apparences réelles qu’il admirait et désirait en tant que telles, pour procéder, par étapes successives, à la réflexion du concept. Pas l’inverse. Il n’évacuait pas la chair mais la sublimait.

Rien de tel avec la chatte d’Ella Maillart. L’amour entre elles, bien que manifestement réciproque, ne suffit pas à ce que Maillart se préoccupe de Ti-Puss. L’animal est pour elle un objet qu’on caresse, mais qu’on laisse à la porte quand il s’agit d’écouter les billevesées védantiques, ou à la frontière lorsqu’il s’agit d’aller passer plusieurs semaines au Tibet. Au retour, plus de chatte : elle a subi la présence d’un inconnu, puis d’une famille avec gosses turbulents et chiens : elle est partie. Ella Maillart ne l’a pas retrouvée. Un chat n’est pas fait pour être transplanté d’un lieu à l’autre sans arrêt ; un chat est casanier et ne trouve son bonheur que dans la routine. Mais qu’importe à Ella Maillart le bonheur de sa chatte ? Elle ne pense qu’au sien, à sa névrose de bouger toujours sans jamais se fixer, inapte à toute relation durable, semble-t-il.

Elle fait semblant d’en être désolée, de la regretter, mais elle n’attend pas vraiment pour retrouver Ti-Puss. Autrement, dit, elle l’abandonne.

Malgré ce récit d’aventures en Inde, l’omniprésence de la chatte et sa fin égoïste ne font pas de ce livre de voyage un bon livre. Dommage. C’est écrit trop vite, avec des notations intellos sans intérêt, à se demander si l’autrice a compris quoi que ce soit à ce qu’elle régurgitait de « sagesse » : « La chatte, si vivante qu’elle était devenue partie de moi-même, m’avait éveillé à l’amour, « lAmour étant le vrai Soi », de sorte que nous aimons par amour de l’Amour. Et quand, brièvement, j’atteins les sommets de l’amour, ni la chatte ni ma personne limitée n’existent plus et j’accède à la dimension surnaturelle de l’amour, contre lequel le temps ne peut rien. Ainsi, à ses côtés, je médite sur l’amour. L‘amour vrai dont la source jaillit sans cesse ne peut venir que de l’infini et ne peut rien désirer puisqu’il englobe tout. Il se suffit à lui-même. (…) Bien qu’il paraisse que seul puisse être aimé celui que j’aime, à cause de son aspect physique et de son esprit, il l’est en fait pour l’instant d’amour vrai qu’il éveille en moi, amour éternel et infini qui est plus que la vie, puisque je puis donner ma vie pour mon amour » p.211.

Un blabla en forme de justification pour s’excuser d’avoir abandonné son animal favori. Pourtant, n’est-on pas responsable de ceux qu’on apprivoise, comme disait le petit Prince ? Pour Maillart, il ne s’agit manifestement, pour cette amitié, que de « trouver le Je en nous ». Malgré quelques beaux moments aux début, le malaise du lecteur s’installe rapidement.

Ella Maillart, Ti-Puss, 1951, Payot collection Voyageurs 1992, 264 pages, occasion €1,81

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The Impossible de Juan Antonio Bayona

L’impossible (qu’on aurait pu traduire en français) est ce gigantesque tsunami de décembre 2004, en pleine période de Noël, qui dévaste notamment la Thaïlande. L’impossible est aussi cette famille avec trois jeunes garçons qui en réchappe en entier. Entre les deux l’épreuve et, en héros solaire, un prime adolescent : Lucas (Tom Holland). C’est un film, mais aussi une histoire vraie, celle de Maria Belón, 38 ans, médecin, et de sa famille aux trois garçons dont les prénoms ont été repris dans le film : Lucas, 10 ans, Tomas, 8 ans, et Simon, 5 ans. Pour les besoins de l’action, le fils aîné a été vieilli de deux ou trois ans et Tom a 14 et 15 ans au tournage en 2010 et 2011. Garçon anglais petit pour son âge mais musclé par la danse, Tom Holland est plus âgé que son rôle mais assez fluet aux normes internationales (c’est-à-dire américaines) pour figurer 12 ans.

Un couple « européen » (sans indication de nationalité dans le film mais avec un nom anglo-saxon pour plaire à Hollywood) est venu du Japon où le père peine à garder son poste. Ils ont emmené les enfants passer les vacances de Noël en Thaïlande. Le 26 décembre, au lendemain de leur arrivée dans l’Orchid Resort magnifique au bord de la mer d’Andaman, la famille se repose. La mère, Maria, lit sur un transat et le père joue au ballon dans la piscine avec les deux plus petits. Le fils aîné est au bord du bassin et regarde vers la mer, cachée par un rideau de palmiers. Un bruit sourd – soudain une gigantesque vague surgit au-dessus des arbres. Panique. Chacun crie : Lucas ! Papa ! Le gamin plonge dans la piscine in extremis, il sera plus protégé dans l’eau et dans le bassin qu’à l’extérieur avec les branches et les objets ramassés par le flot. Le père qui tient les deux enfants est submergé, la mère éclatée contre une vitre. C’est le chaos.

Le film est centré sur la famille et ne montre quasiment pas les autres. Maria émerge, elle suffoque. Elle hurle, accroché à un tronc d’arbre, mais comme le font les loups à la lune : pour rien car personne ne peut venir à son secours dans la confusion universelle. Elle aperçoit dans le flot une tête qui émerge, c’est Lucas ! Agile et souple, le garçon se coule dans les remous comme il peut. Les deux se rejoignent, manquent de s’accrocher puis se perdent dans les vagues successives.

La mère, épuisée, ne plonge pas comme son fils et se fait heurter par des branches pointues ; elle est blessée, anéantie, démoralisée. Lorsqu’il la rejoint, Lucas est à la fois abattu et en colère : « Je veux rentrer à la maison, plus jamais ça, plus jamais ce pays ! » Sa mère tente de le réconforter en le serrant contre elle, tous deux accrochés à un tronc flottant. Lucas, d’une petite voix, avoue : « Je suis courageux mais j’ai peur ». Il découvre ce qu’est la peur, ce qu’il n’avait pas voulu savoir lorsque son frère de 8 ans, Tomas, lui disait craindre l’atterrissage.

La mer peu à peu se calme et l’eau redescend. Mère et fils reprennent pied et sortent de l’eau. Ils sont en maillot de bain, fatigués et trempés mais il fait chaud. Ils marchent pieds nus dans les champs inondés et Lucas voit les blessures de sa mère, ce qui lui donne une forte émotion car le sang coule. Avec l’adrénaline et le support de l’eau, elle n’a pas encore senti la douleur mais la marche sur la terre ferme puis l’arbre sur lequel elle doit grimper au cas où une autre vague surviendrait l’épuise. Malgré son interdiction formelle pour ne pas qu’il prenne de risque, son fils descend l’aider et lui fait la courte échelle, les muscles bandés par l’effort. Lucas, à peine adolescent, joue les hommes, et c’est touchant. Il sauve littéralement sa mère qui, sans sa présence, se serait laissé aller. Mais elle aussi le conforte, lui donne un rôle et le convainc surtout de répondre aux appels d’un garçonnet emporté par la vague. Lucas trouve Daniel (Johan Sundberg) un petit blond de trois ou quatre ans pas plus effrayés que cela dans le film. Lucas a récupéré une canette de Coca, ce qui leur permet de tenir un peu sur les branches.

Ce sont des villageois venus inspecter les épaves qui les trouvent et les emmènent au village, où ils leurs donnent des vêtements. Lucas, jusqu’ici torse nu, est affublé d’un débardeur verdâtre dont le rôle est de mettre en valeur ses deltoïdes et ses muscles subclaviers, et de le rendre plus mûr que son âge. Les villageois sont frustes, traînant Maria sur les herbes malgré sa jambe blessée, mais compatissants puisqu’ils les réconfortent et les nourrissent. Ils les emmènent en pick-up à l’hôpital de la ville. Pendant ce temps, le petit Daniel a été oublié ; Lucas le retrouvera plus tard dans les bras de son papa, pleinement heureux.

L’hôpital est bondé car nombreux sont les blessés et chacun attend son tour pour être soigné ou opéré. María est très faible et crache du sang. Médecin, elle s’inquiète de sa jambe infectée : si elle passait du rouge au noir, ce serait mauvais signe. Lucas n’a que des égratignures et elle invite son fils à aider les autres pour l’occuper. Pieds nus et maculé de boue et de sang du début à la fin mais apparemment jamais affamé, ce qui est peu plausible, Lucas prend les noms de ceux que l’on cherche et parcourt les rangées de lits pour tenter de les retrouver. Il a le bonheur de voir un père revoir son fils, ce qui lui tire un sourire bouleversé, son père à lui étant probablement mort.

Tout est centré sur l’émotion et les petits détails de la vie réelle sont volontiers gommés par le film. L’émotion suscitée par les images est contagieuse et cette histoire est servie par des acteurs vrais dans leur rôle. Le père (Ewan McGregor ») est très tactile, mettant volontiers la main sur les épaules et serrant dans ses bras ses enfants comme son épouse. Les deux parents tentent de donner à chacun des garçons de l’attention, ce qui n’est pas si courant, et le grand frère, dans l’épreuve, se montre très épris de ses petits frères. Tous font l’œuf lorsqu’ils se retrouvent. Mais le père a échappé au tsunami avec les deux petits qui se sont accrochés miraculeusement aux arbres. Toujours dans l’hôtel dévasté, il doit « prendre la plus grave décision de sa vie » lorsqu’il laisse ses deux benjamins aller dans la montagne avec les évacués, pour rester chercher jour et nuit sa femme et son aîné. « Tu vas encore nous abandonner ? » est le cri du cœur murmuré de Tomas, 8 ans (Samuel Joslin), 10 ans au tournage. Vulnérable dans son débardeur de deux tailles trop grand, il se voit confier malgré son inexpérience la garde de son petit frère Simon (Oaklee Pendergast). Aurais-je laissé les enfants qui me restent ? Probablement non, mais chacun réagit à sa manière.

Tout se terminera bien, après le cache-cache un brin comédie de qui cherche qui dans l’hôpital bondé. Et c’est « l’assureur » (ce démiurge américain de qui peut payer) qui les prend en charge pour hospitaliser Maria à Singapour. L’avion privé emmène toute la famille encore sale et dans les mêmes débardeurs lâches. Ils n’ont ni argent, ni papiers, mais l’ambassade n’apparaît pas une seule fois dans le film. Cela aurait nui au crescendo des émotions, mais affaiblit à mon sens le spectacle. Heureusement que Tom Holland joue un ton en-dessous, évitant l’hystérie même dans les pires moments, et qu’il manifeste seulement par un sourire qui lui illumine le visage sa très grande émotion. Naomi Watts a obtenu pléthore de prix d’interprétation alors qu’elle passe les trois quarts du film couchée sur un lit. C’est plus Maria Belón et son rôle de mère courage que Naomi Watts qui a été récompensée. Tom Holland me semble le meilleur acteur de l’histoire réécrite et certainement le point focal du scénario.

Il reste que, si vous avez plus de 12 ans, vous vivrez des moments d’intense émotion et de remuement familial en regardant contée et embellie par le grand spectacle cette histoire vraie dont le cinéma a fait un scénario vendable.

DVD The Impossible, Juan Antonio Bayona, 2012, avec Naomi Watts, Ewan McGregor, Tom Holland, Samuel Joslin, Oaklee Pendergast, M6 video 2013, standard €8.17 blu-ray €17.32

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