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Christian de Moliner, L’ambre des mots

Remaniant et donnant la suite de Panégyrique de l’empire (chroniqué sur ce blog), ce nouveau roman plus dense et mieux bâti évoque le drame du sexe et de la mort.

Dans une première partie le narrateur, atteint d’un cancer génétique incurable, paye une call-girl tchèque pour lui faire visiter Prague et ses organes intimes ; dans une seconde partie, le même narrateur en sursis de la Faucheuse se remémore son premier amour innocent au lycée de Dijon, puis la déchéance de la fille, chassée par ses parents car enceinte (d’un autre que lui), réduite à lui tailler une pipe pour quelques billets de cent francs.

L’amour et la mort restent liés pour l’éternité, notamment chez les psys, dont Freud en premier. Eros copine avec Thanatos, ils se partagent les proies, jouent l’un contre l’autre comme deux gamins vicieux.

L’auteur se dégoûte, ou du moins le narrateur ; il se dit médiocre écrivain (ce que le lecteur ne lui demande pas et qu’il a peine à croire) ; il se repend de ses envies de baise, de ses façons peu nobles de le faire, de son malaise social. Et pourtant il le fait, éléphant dans un magasin de porcelaines. Il aime les filles (comme chantait Dutronc), mais ne les rend pas heureuses parce qu’il ne s’aime pas lui-même. La proximité de sa mort annoncée le rend méchant, et souvent bête. Il a de mauvais scrupules, puis cède sans retenue ; rien n’est jamais dit ou accompli au ton juste, ce qui fait le mouvement du roman.

Eros voletant au-dessus de Piccadilly

Il ne regarde que lui, imagine les sentiments des femmes par ses propres filtres sans jamais les écouter. Lorsqu’elles tentent de lui parler, il réduit leur discours à une psychologie dérisoire, recettes standards pour courrier du cœur. Mais si elles avaient raison ?

Le personnage de Liztvetsia, bien réévalué depuis le premier jet, est plus complexe et plus intéressant qu’il ne paraît. Elle est call-girl sur site depuis peu ; le narrateur est son premier client. Comme il paye bien, ce sera probablement son dernier – elle a besoin de cet argent pour finir ses études. Elle se laisse pénétrer (par tous les orifices) à contrecœur mais avec une touchante volonté de bien faire ; elle doit satisfaire le client. Intellectuellement, elle est tout aussi volontaire, facilement rentre-dedans. Elle apprécie la fougue du pamphlet politique du narrateur, qui a plus du double de son âge ; elle veut traduire son essai en tchèque. Malgré l’humiliation de cet incorrigible baiseur éternellement coupable, la deuxième partie nous apprend qu’elle poursuit cette idée, avec constance.

Le personnage d’Hélène, dans la partie Dijon, est celui d’une fille orpheline née de père inconnu et dont la mère s’est suicidée, quelque temps après la fameuse pipe. Les deux événements sont-ils liés ? Le narrateur le croit, mais il se donne peut-être une importance qu’il n’a pas eue, la condition de fille-mère dans les années Giscard étant très mal vue de la bourgeoisie hypocrite catholique de province. Hélène se plaît à croire que le vieux qui l’a contacté via Facebook est son père. Le narrateur, qui sait bien qu’il ne l’est pas, joue le jeu sans penser aux conséquences sur ses propres fils, adultes certes et indifférents, mais héritiers. Il se met une fois encore dans le pétrin faute de posséder les codes sociaux nécessaires pour évoluer à l’aise.

Thanatos revu manga en séduisant cruel

Il a été étudiant besogneux, diplômé moins qualifié qu’il aurait pu, époux peu aimant, père absent, prof médiocre dans une université de seconde zone. Le type même du loser aigri qui vire réactionnaire – tout en croyant résister au dogmatisme de gauche ambiant de son époque (les années 70). Pour être aimé, encore faut-il être attentif aux autres, à ceux qui vous importent ; pour aimer, encore faut-il s’aimer. Eros aime ceux qui savent le caresser, le faire ronronner, l’amener au jouir ; il est jeune, facétieux et joyeux – tout l’inverse du vieux Thanatos, fils de la Nuit et frère d’Hypnos, aussi sérieux et triste qu’un Bayrou nommé sinistre au gouvernement des jeunes.

Le titre du roman est ambigu, aucune mention n’en est faite dans le texte et on ne voit guère ce qu’il peut vouloir dire dans ce qui nous est conté. L’ambre est un joli mot, même s’il n’est pas toujours solaire ; est-ce par référence à cette résine fossilisée des bords de la Baltique, qui a enfermé il y a des millions d’années quelques feuilles ou insectes ? Le roman serait-il alors une façon de figer les sentiments noir et blanc d’hier, tout en leur donnant le brillant chaud de la couleur ?

Cette version révisée et complétée est bien supérieure à la première. Le lecteur se prend, dans la seconde partie, à vouloir connaître la suite du chapitre qu’il termine. Ce qui montre que l’auteur sait captiver jusqu’au bout malgré les situations scabreuses et les fantasmes bancals que son narrateur met complaisamment en scène.

Christian de Moliner, L’ambre des mots, 2017, les éditions du Val, 192 pages, €8.47

Site officiel de l’auteur

Les œuvres de Christian de Moliner chroniquées sur ce blog

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Matilde Asensi, Le salon d’ambre

L’auteur, femme et espagnole, livre ici son premier roman. Moins abouti et plus court que les suivants publiés en français (Iacobus et Le dernier Caton), il n’en définit pas moins l’univers original d’intrigue policière d’une créatrice formée au journalisme et née à Alicante. Le héros est une femme ; le monde est l’histoire de l’art ; le protagoniste est une secte secrète. Dans ce premier opus, Ana est la fille d’un antiquaire de façade aux activités occultes bien plus lucratives : le trafic d’œuvres d’art. Il s’agit de voler aux riches pour vendre à d’autres riches.

Les opérations s’effectuent comme en service commandé, dans le secret digne d’un univers d’espionnage. Le « club d’échecs » est organisé hiérarchiquement, avec Roi, Tour, Cavaliers et Pions (valets). Ana, commando experte, est pion, ce qui signifie qu’elle est chargée de l’opération physique de voler les œuvres. Ce n’est ni sans danger ni sans adrénaline et, à la trentaine, elle aime ça. Comme un homme. Nul ne se rencontre, nul ne se connait, sinon par des conversations virtuelles sur l’Internet mondial, en crypté, en passant par des serveurs anonymes… Nous sommes en pleine modernité.

Une affaire vient de se terminer et d’habitude plusieurs mois de silence et de vie normale s’écoulent avant qu’une autre ne survienne, manière de ne pas attirer l’attention. Pourtant, voici que Roi exige une nouvelle opération fort excitante : voler un tableau en haut d’une tour, dans une salle sous alarmes, sise dans un château bavarois au milieu d’un lac. Son propriétaire, riche industriel allemand ex-nazi, ne veut pas la vendre au riche russe ex-KGB qui la veut.

Tout se passe à merveille, comme dans les opérations spéciales, avec forces gadgets, matériel et astuces, sauf que… le tableau n’est pas un mais deux. Un autre est encollé au dos. L’acheteur le sait-il ? Le club d’échecs décide de chercher pour lui-même, surtout que l’énigme – un vieux Juif peint dans la boue, orné d’une inscription yiddish codée – excite les experts.

La piste conduit à une authentique énigme, le Bernsteinzimmer, « salon d’ambre » en français. Il s’agit de panneaux d’ambre fossile de la Baltique couleur de miel, taillés pour orner un salon de luxe offert par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume 1er au tsar de Russie Pierre-le-Grand en 1716. Les six tonnes d’ambre furent volées par l’armée nazie en 1941 au palais Catherine à Tsarskoïe Selo. L’affaire est historiquement authentique et jusqu’ici cette œuvre d’art n’a jamais été retrouvée. Matilde Asensi en profite pour faire tout un roman de son hypothèse personnelle.

Elle crée une action bien enlevée, un thème stimulant pour l’esprit, avec ce qu’il faut de caractères humains tranchés et posés, pour que le lecteur accroche. Il palpite aux opérations de nuit ; il s’amuse des relations avec la vieille tante, supérieure d’un monastère et receleuse d’œuvres d’art, aux jérémiades sur les enfants de la vieille gouvernante au prénom inouï – Ézéquiela ; il se laisse aller aux sentiments d’amour naissant entre Ana et l’un des membres (viril) du club ; il s’agace de la fille de 13 ans experte en hacking et qu’il faut tolérer. Chacun se débrouille et l’on passe un bon moment.

En ces temps de féminisme militant, où trop d’hégéries croient exister en suscitant des « polémiques » médiatico-politiques futiles, voir évoluer de vraies femmes dans un univers d’espionnage souvent réservé aux hommes est un délice. L’égalité des sexes n’est pas le renversement des rôles, mais l’équilibre des actes avec le tempérament différent de chacun.

Matilde Asensi, Le salon d’ambre (El salón de ámbar), 1999, Folio policier 2007, 243 pages, €6.17 

Le vrai salon d’ambre historique

Le trafic d’œuvres d’art en Italie 

Tous les romans policiers de Matilde Asensi chroniqués sur ce blog

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