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Jean-Pierre Chabrol, Les fous de Dieu

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Un manuscrit est retrouvé caché parmi les pierres d’une très ancienne ferme des Cévennes. Il décrit d’une langue savoureuse et passionnée la lutte du petit peuple hérétique contre les dragons du roi de France après cette révocation malvenue de l’Édit de Nantes. La lutte idéologique est aussi lutte régionaliste et lutte de classes. Est-ce cette torsade de luttes, inextricablement mêlées, qui a séduit ce Cévenol écrivain ?

Toujours est-il qu’en cette chronique imaginaire, où alternent les violences et les amitiés, court le nerf d’une foi intense en la vie. En ce petit coin reculé des provinces, la richesse a pour nom : terre, bétail, femme, enfants, fraternité des hommes et fidélité à Dieu. Le bonheur est simple, par contraste avec les malheurs qui s’abattent sur les Cévennes. Il a un goût de pierre et de vin chantant, un goût de lèvres frémissantes.

A l’indigence des besoins quotidiens correspond parfaitement l’ascétisme et l’austérité de la Religion prétendue réformée. Foin des splendeurs et du faste catholique, foin de l’hypocrisie jésuite et de la corruption ecclésiastique ! Rien de cela ne parle à ces paysans des montagnes pierreuses, eux qui connaissent le dur labeur de la récolte arrachée à la garrigue et les devoirs que réclame le bétail. La fidélité au protestantisme est aussi la fidélité aux valeurs de sa terre, la fidélité au prêtre villageois qui prêche et qui soutient. Les Catholiques, le catholicisme, viennent toujours du dehors, de la ville, de la province capitale. L’administration, la police et la justice apparaissent comme plaquées artificiellement, imposées par le pouvoir d’État pour surveiller et punir.

C’est pourquoi la révolte des Camisards dépasse-t-elle la simple querelle religieuse pour atteindre au radical. Qu’importerait au Cévenol de se dire catholique, si ce reniement n’était à la fois acceptation de son esclavage et soumission tacite aux agents du roi ? Eux veulent forcer la liberté du paysan jusque dans les replis de sa conscience et le paysan dit « non ».

La liberté ne peut être à demi, l’exploitation non plus. Celui qui désire cultiver librement sa terre doit aussi consentir aux impôts, reconnaître la justice et pratiquer devant le monde la religion. Qui veut contraindre l’un de ces points contraindra fatalement tous les autres. En Cévennes, du temps de Louis le Quatorzième, la lutte pour le droit de pratiquer sa religion équivalait à la lutte pour la survie.

Un tel combat, à l’enjeu aussi fondamental, ne peut être qu’impitoyable. La répression engendre le terrorisme, qui accentue et justifie la répression. La Bête catholique a fait des Cévenols des bêtes traquées, sauvages et sans merci. Les femmes violées, les enfants égorgés, les amis pendus, les récoltes saccagées, les villages incendiés, rien de cela ne pourra extirper l’hérésie. Elle ne périra qu’avec les derniers hérétiques – avis aux politiques !

Malgré les Écritures, le troupeau des fidèles ne pratique pas le pardon des offenses. On ne peut pardonner lorsque la survie de tout un peuple, de tout un pays, en dépend. Les Camisards, par la faute des Catholiques, ont régressé au temps de Moïse et pratiquent l’œil pour œil, dent pour dent. Nombre d’entre eux, tel ce vieux berger isolé dans la montagne, écoute avec émotion le récit des Sept plaies d’Égypte, lu par une voix d’enfant comme une voix du ciel. L’abîme appelle l’abîme ; le Christ est oublié pour n’écouter que le Père, le Dieu jaloux tonnant, dont on interprète les Desseins impénétrables pour mettre à sac couvent et presbytères, et brûler les églises, du moment qu’elles sont catholiques.

Mot terrible : « La Loi veut que, pour le bien, il faut le mal. » Ce précepte justifie toutes les terreurs, il est aussi vain que vieux, et faux depuis l’origine des temps.

Dans leurs épreuves, les Camisards réinventaient la Bible plutôt que de la lire, selon le mot de Michelet cité à la fin du livre. En leur sein se réactualisait vivement la querelle des deux Testaments, l’ancien et le nouveau, par la bouche de deux vieillards. Reboul voulait qu’on ne résistât point au méchant, comme le Christ l’avait dit ; Espérandieu prônait l’œil pour œil, comme avait dit auparavant le Père. Ce fut Jéhovah qui fut écouté et non point Jésus. Tant qu’il le fut, le pays fut brûlé et la vie traquée.

Tout Dieu rend fou celui qui le croit trop fort.

Jean-Pierre Chabrol, Les fous de Dieu, 1961, Folio 1972, 438 pages, €9.20

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Robert-Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes

robert louis stevenson voyage avec un ane dans les cevennes
Il fallait être excentrique pour dormir à la belle étoile en Gévaudan en 1878. Robert-Louis l’est ; il est de plus écossais, ce qui fait de lui un excentrique au carré. Durant 12 jours, du 17 septembre au 4 octobre 1878, il va parcourir les quelques 200 km de chemins entre le Monastier (près du Puy) et Saint-Jean du Gard (près d’Alès) avec une ânesse « pas plus grosse qu’un chien », Modestine.

Nature et paysages mais aussi gens et animaux, sont autant de rencontres au voyageur. Il est pris pour un colporteur, un prédicateur, un géographe. Peu lui chaut : son âne est sa compagne et la Nature une autre, lui qui est tourmenté par la séparation d’avec Fanny Osbourne, retournée aux États-Unis, dont il est amoureux et qu’il épousera un an plus tard, après le divorce de la dame.

Ne chemine-t-il pas par une sorte d’expiation ? Ne désire-t-il pas retrouver la pureté primitive d’Adam, premier homme amoureux de la première femme ? La religion est très présente en son cœur comme dans le paysage – ce pourquoi Robert-Louis garde quelque-chose du romantisme. Le monastère trappiste de Notre-Dame des Neiges et la persécution des camisards, notamment par le fanatique catholique du Chayla, sont autant de cruautés pour la foi. Comme si le fanatisme et la macération devaient régner en ce bas- monde, afin de mieux faire ressortir l’éclat de l’autre, promis au-delà.

Avec ces contre-exemples, il y a de quoi sentir sa liberté d’homme : « Je me suis rarement senti autant mon propre maître, jamais je ne me suis senti plus indépendant des aides matérielles. (…) Nuit après nuit, un lit est fait et nous attend dans les champs, où Dieu tient chambre ouverte » p.167 Pléiade.

Cette randonnée est un pèlerinage spirituel, un ressourcement en solitude auprès de la nature (assimilée à Dieu), avant de se lancer dans la vie adulte : celle de mari et de père faisant bouillir la marmite. D’où cet austère effort des collines à gravir, du froid mordant du vent, des nuits glacées à la belle étoile. « On eût dit le pire des Highlands d’Écosse, mais pis encore, froid, nu, et ignoble, avare de bois, avare de bruyères, avare de vie », dit-il du paysage autour du Luc, p.143.

Heureusement, Modestine met de la fantaisie, aussi capricieuse qu’une femme – et aussi obstinée. Elle lui mange cependant dans la main le pain noir qu’il transporte pour elle en complément, et il aura une larme au moment de s’en séparer. Heureusement aussi, l’auteur est prévoyant – il fait confectionner d’une peau de mouton enrobée de toile imperméable un sac de couchage qui sert aussi de poche à tout son bagage. Bien loin du duvet léger et efficace que l’on fabrique aujourd’hui, le résultat en est une sorte de monstre technique que l’ânesse a du mal à porter, avant qu’un muletier avisé montre comment équilibrer l’ensemble.

robert louis stevenson voyage avec un ane dans les cevennes carte

Sensible aux sons innombrables de la campagne – cloches des églises, clochettes des moutons, cris des petits bergers, sifflements ou hurlements du vent, roulement des pierres, grondement des eaux – le voyageur immergé dans la nature ressent aussi fortement les différentes lumières – gris des nuages, noir de la nuit, pâleur de l’aube, irradiation du soleil levant, blancheur blafarde de la lune. C’est tout son corps qui éprouve l’air et l’eau, tous ses sens les sons, les odeurs et les lumières, et même le goût du vin rouge.

L’écrivain est peintre et musicien, comme si le bain dans la nature le rendait à ses qualités originelles – trop souvent perdues dans la grande ville. Il est plus réceptif aux histoires et aux légendes, comme celle de la Bête du Gévaudan ou la geste de camisards révoltés contre l’immonde édit du Grand roi Louis.

On peut aujourd’hui remettre ses pas dans les chemins de Stevenson en Cévennes, et ses pattes avec un âne. Les petits voyageurs (moins de 40kg) apprécient l’animal.

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Robert-Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879, Garnier-Flammarion 2013, 170 pages, €6.00
Robert-Louis Stevenson, Œuvres 1, Gallimard Pléiade 2001, 1242 pages, €59.00
Les œuvres de Robert-Louis Stevenson chroniquées sur ce blog

Les Cévennes avec âne par une mamie écolo d’aujourd’hui : Viviane Daguet-Lievens, Tour de l’Ardèche avec mon âne et ma mule

Fédération française de randonnées pédestres, Le chemin de Stevenson, topoguide GR 2015, 128 pages, €16.00
Association Sur le chemin de Robert-Louis Stevenson
Terres d’aventure, 9 randonnées en France avec âne en famille
La Balaguère, 10 randonnées à l’étranger et en France avec ânes
Fédération ânes et randonnées

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