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Johann Chapoutot, Les Irresponsables – qui a porté Hitler au pouvoir ?

1929-1933, quatre années qui ont vu la montée du parti nazi avec la crise économique mondiale, sur les ruines morales de la défaite de 1918, puis sa redescente électorale. Contrairement au mythe, le NSDAP n’a jamais eu la majorité des votes à l’échelle nationale, ses résultats ont « atteint un quasi-plateau entre avril et juillet 1932, avant de connaître un recul marqué entre les élections législatives du 31 juillet et celles du 6 novembre » (intro). Pourquoi donc Hitler est-il devenu chancelier (équivalent de notre Premier ministre) ? – A cause des irresponsables. D’où le titre.

Outre le rappel fin des épisodes historiques, ce livre vise à alerter sur les analogies entre l’Allemagne de Weimar et la France actuelle. « Le pouvoir, qui ne repose sur aucune base électorale, décide de faire alliance avec l’extrême droite, avec laquelle il partage, au fond, à peu près tout (…) Il s’agit de capter son énergie au profit d’un libéralisme autoritaire imbu de lui-même, dilettante et, in fine, parfaitement irresponsable… » Johann Chapoutot est professeur d’Histoire contemporaine à Sorbonne Université et surtout spécialiste de l’histoire du nazisme et de la modernité occidentale.

La camarilla entourant Hindenburg, président de la République de Weimar depuis 1925 et les élites économiques conservatrices ont laissé aller Hitler au pouvoir. Par convictions conservatrices que « tout » valait mieux que la chienlit de la République, par mimétisme de caste – pire : par inertie. Comme si c’était inévitable, le balancier de l’Histoire, la pente nationale allemande. Les dirigeants ont, par le choix et leurs ralliements successifs, amené Hitler à être nommé, sans majorité, chancelier du Reich. « Le ‘bolchevisme culturel’ [féminisme, homosexualité, modernité urbaine] dénoncé sans cesse (… est) une entreprise d’affaiblissement et d’efféminement de la nation, dévirilisée par les cajoleries permanentes d’un État maternant qui, au lieu d’éduquer à la lutte pour la vie, ne cesse de panser, soigner et bercer une population habituée, non à lutter, mais à recevoir la becquée des allocations. Cette idée, typique du darwinisme social le plus radical, par ailleurs défendue avec vigueur et constance par les nazis eux-mêmes., est le cœur nucléaire de la philosophie sociale des partisans du ‘nouvel État’ » ch.VI. On se retrouve plus ici chez Trump et Vance que chez Le Pen ou Maréchal, mais… une fois au pouvoir, quelle serait la pente ? Mimétique ? Moi aussi « la tronçonneuse » ? Moi aussi le « prenez-vous en main » ?

La tentation de l’autoritarisme, en période de crise, est permanente. Un Parlement ne décide qu’après longs débats et compromis – encore faut-il que « les partis » soient prêts aux compromis. Aujourd’hui, les Insoumis sont contre, ils veulent le chaos pour imposer directement leur loi. Hier en Allemagne, la même tentation existait : « Le chancelier du Reich (…) fixe les lignes directrices de la politique, mais uniquement parce qu’il est porté par la confiance du Reichstag, c’est-à-dire par une coalition instable et non fiable. En revanche, le Reich-Président a la confiance du peuple entier, non pas indirectement par l’intermédiaire d’un Parlement déchiré en partis, mais immédiatement sur sa personne » ch.II. Ainsi analysait Carl Schmitt en novembre 1932, prônant un « libéralisme autoritaire », et les nazis lui ont donné raison.

Faut-il pour cela pousser l’analogie si loin ? Si l’histoire ne se répète jamais, pas plus qu’on ne se baigne deux fois dans la même eau d’un fleuve, les tendances humaines restent stables, tout comme le fleuve continue de couler. Ce pourquoi la fin de la République de Weimar offre « des leçons » – dont on sait que personne ne tient jamais compte, le monde étant censé commencer avec ceux qui en parlent.

Mais quand même : « Une politique d’austérité dogmatique qui aggrave la crise et la misère ; un pouvoir exécutif qui fait adopter des mesures de destruction du modèle social allemand à coup de 48-2 ; une gauche sociale-démocrate qui soutient cette politique afin, dit-elle, d’éviter le pire ; un régime politique qui, à partir de 1930, se présidentialise et concentre des pouvoirs exorbitants dans les mains faillibles d’un homme pas exagérément intelligent, mais orgueilleux et buté ; le règne des entourages qui, par une logique de darwinisme inversé, celle de la courtisanerie, promeut les plus incompétents et les moins dignes, ceux qui sont prêts à s’avilir pour devenir des ‘conseillers’ (…). Une dissolution ratée ; une seconde dissolution dangereuse, inepte, vu le contexte de croissance de l’extrême-droite mais demandée par cette même extrême-droite et accordée en gage de bonne volonté ; une défaite cuisante aux législatives ; le refus de tenir compte des résultats des élections », etc. etc… (Épilogue). Sans parler des magnats de presse et de médias qui « nazifient ».

C’est un peu trop amalgamer les époques. Macron n’est pas Hindenburg, il n’en a ni le grand âge, ni la bêtise butée, ni les mêmes conseillers grands propriétaires ; les médias sont encore divers et ceux de Bolloré n’attrapent pas tout, ni ne « nazifient » à tout va ; ils imitent plutôt le Trompeur et son vice, le catho tradi Vance, né James Donald Bowman. Le capitalisme contemporain n’est pas darwiniste social, sauf chez les libertariens à la Musk – en témoignent les entreprises comme Danone, Bouygues et d’autres, qui ont compris que les salariés comptaient autant que les actionnaires apporteurs de capitaux, lesquels ont aussi des « valeurs » qu’il serait vain de mépriser sous peine de boycott (ainsi Tesla récemment).

Une identité de rapports, plutôt qu’une identité de forme, dit l’auteur – soit. Ecoutons-le donc, et observons les tendance à l’œuvre – dont celle qui pousse Trump à « devenir roi » aux États-Unis, le grand MAGA (Make America Gaga again). Après tout, l’argent, la science, la guerre, cette conjonction qui fit Hitler, sévit aujourd’hui à plein aux États-Unis, en Chine, en Russie…

Nous aurons été prévenus.

Johann Chapoutot, Les Irresponsables – qui a porté Hitler au pouvoir ? 2025, Gallimard, 304 pages, 21,00, e-book Kindle €14,99

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Adolf Hitler, Mein Kampf

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La polémique à la française, que les intellos adôôrent susciter, court actuellement sur la réédition de Mein Kampf (Mon combat), écrit par un certain Adolf Hitler en 1924. Polémique imbécile, comme toutes les polémiques intellos à la française, qui révèle l’esprit de secte toujours présent ici, au rebours de l’esprit de libre-examen des sociétés protestantes alentour.

L’Allemagne – pourtant victime du livre – a réédité Mein Kampf, pour l’Histoire. Mais pas la France, qui hésite, moralise, intervient. Ils se disent laïcs, les intellos de la gauche bobo qui sévissent dans l’édition et les médias – mais ils agissent comme des curés de l’Eglise catholique : comme si le Texte devait obligatoirement passer par eux – par leur imprimatur ou leur Index – pour exister. Ils savent bien mieux que vous ce qui est bon pour vous, puisque la Morale est inscrite immuablement dans leur ciel des Idées. Et que c’est péché d’y déroger. Au lieu de laisser à chacun le choix de lire et de comprendre, ils assènent leur vérité révélée.

Mein Kampf existe un peu partout sur le net – et en français. Au lieu de proposer une édition commentée, historique, replacée dans son contexte, les intellos préfèrent « interdire ». Débattre n’est pas leur fort, puisqu’ils savent la Vérité. J’ai toujours pensé que cette engeance des clercs en bande, qui se croient du haut de leur savoir accumulé, n’était pas démocratique. En voici un exemple de plus.

Mais pourquoi reprendre Mein Kampf aujourd’hui ? D’abord parce que je ne l’ai jamais lu en entier bien qu’il ait figuré dans la bibliographie que tout aspirant à Science Po, en année préparatoire, était censé avoir lue au début des années 1970. Ensuite parce que notre temps, célébrant du bout des lèvres Mai 68 (c’est « tendance » chez les bobos), revient de plus en plus aux vieilles idées pétainistes, catholique moralistes, voire pires. La cause en est le vieillissement de la population, certes, mais aussi la crainte de l’avenir mondialisé entre capitalisme financier et terrorisme islamique.

Le capitalisme dans sa version ultralibérale américaine semble d’autant plus incontrôlable que l’ignorance française à son égard est abyssale, en raison de vieux préjugés cathos comme d’un enseignement marxiste sans faille depuis deux générations et d’un écologisme issu du gauchisme comme nouvelle Mission d’éclairer le monde.

Quant à l’islamisme, ce radicalisme que la majorité des Musulmans est loin de partager, il ramène trois siècles en arrière, à l’époque où Voltaire terminait sa correspondance par « écr. l’inf. » – écrasez l’infâme – mot de combat contre tout obscurantisme.

Hitler peut être lu dans la version 1934 des Nouvelles Editions Latines, reprise en 1973. On peut aussi le trouver en PDF sur Internet, à vous de chercher. Les deux volumes allemands de l’édition 1933 sont traduits en un seul, de 686 pages. Cette édition française fut « interdite » par Hitler lui-même à l’époque, tant il disait clairement ce qu’il pensait de tout le monde et ce qu’il voulait leur faire. Depuis, Trump, Poutine et Duterte font exprès de proférer des énormités – mais pas sûrs que les actes suivent – c’est toute la différence des époques.

Le livre, offert à tout ménage allemand des années 30, est assez indigeste, disons-le : mots simples mais style pensant. J’en retiens quatre thèmes, dont un seul présente encore un intérêt autre qu’historique de nos jours :

Les considérations politiques d’époque ont vieilli et s’étalent verbeusement.

Les délires racistes sur le Juif ne passent plus. Cette hantise paranoïaque servant de bouc émissaire à tous les maux de l’Allemagne n’est pas sensée. Il faut cependant la connaître parce que certains pays arabes d’aujourd’hui la reprennent telle quelle, complaisamment : ils n’inventent rien, ils répètent. La phobie sexuelle d’Hitler le poussait à « nettoyer », purifier, éradiquer, « dératiser ». Quand on fait des humains des bacilles, l’extermination par le feu et la chimie industrielle n’est qu’un second pas qui coûte peu. Notons que les salafistes, wahhabites et autres daechistes font des mécréants des « porcs » qu’on peut impunément égorger pour la plus grande gloire de Celui qui n’a rien dit de tel (le Coran a été parlé, pas écrit, et à l’oreille d’un illettré en plus, qui a dû traduire pour ses auditeurs, qui ont noté, recopié, déformé… et ainsi de suite. Comment voulez-vous que le texte littéral soit la voix même de Dieu ?)

Les éléments d’autobiographie hitlérienne, bien que choisis et magnifiés par son auteur, sont intéressants et vivants, mais servent surtout aux historiens pour comprendre le personnage ; ils ne disent rien de la société qui l’a porté au pouvoir. Or c’est toute une société qui est entrée en délire, pas un homme seul, même führer (voir les études de Chapoutot et Mosse).

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Restent les chapitres qui concernent la propagande politique. Là, c’est du grand art. Hitler était en avance sur son temps : la nécessité de la foi politique, l’art de la parole plutôt que de l’écrit, la tenue des réunions avec organisation de service d’ordre, l’usage de la force pour impressionner et s’affirmer, le marketing de « créer l’événement », le sens de l’image, affiche et cinéma – qu’a-t-on réussi de mieux depuis ? Mai-68 n’a-t-il pas efficacement repris ces vieilles recettes ? Elles ne sont pas hitlériennes, elles appartiennent à la modernité des media : image et son, mise en transe et émotion, sentiment océanique d’appartenir, manipulation des mots, choc médiatique pour devenir quelque chose, et ainsi de suite… Est-ce donc cela que craignent les intellos bobos ? Que l’on démonte et « déconstruise » (mot fétiche de leur doxa) leurs manipulations (constantes dans les médias) ?

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Cela ne fait guère qu’une soixantaine de pages sur l’ensemble, à peine 10% du livre. Mais, pour cela seul, Mein Kampf vaut d’être encore lu par les gens raisonnables – ceux qui veulent comprendre. Tout aspirant politicien devrait le faire, en parallèle avec Que faire ? de Lénine et les écrits de Machiavel et de Mazarin.

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Hitler est-il toujours dans la bibliographie conseillée aux étudiants de Science Po ? J’en doute un peu, tant le politiquement correct de la gauche conformiste, qui règne plus qu’ailleurs dans cette grande école technocratique parisienne, a dû passer par là. Hormis les recettes de propagande, Mein Kampf est aussi passé qu’un papier peint jauni jamais changé depuis l’époque kitsch.

Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon combat, 1924, format Kindle 2016, 641 pages, prix non indiqué (peut-être faussement disponible sur Amazon France pour cause de politiquement correct « dénoncé » en 2014 ?)

Adolf Hitler, Mein Kampf / Mon combat, Nouvelles éditions latines 1932, 650 pages, €36.00 disponible sur le site de l’éditeur qui indique que : « La Cour d’appel de Paris a décidé, dans un arrêt du 11 juillet 1979, d’autoriser la vente du livre (édition intégrale en français), compte-tenu de son intérêt historique et documentaire, mais assortissant cette autorisation de l’insertion en tête d’ouvrage, juste après la couverture et avant les pages de garde, d’un texte de huit pages mettant en garde le lecteur. »

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