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Philippe Barrot, Sol perdu

Ecrire est une démangeaison, un besoin, une ascèse. Tout le corps, le cœur et l’âme aspirent à s’exprimer par les mots, ce propre de l’humain en relation par le langage. Mais peut-on écrire ? L’art de la nouvelle est précis et exigeant, bien plus qu’un roman. Car il s’agit d’être concis tout en édifiant, de raconter « des histoires avec un commencement et une fin » (p.130) ou de tracer avec justesse des signes en quelques paragraphes comme un haïku sans rime – mais avec la même chute qui fait songer.

L’auteur livre ici plus une suite de textes de hasard qu’un recueil de nouvelles. Le spectacle du monde ravit l’observateur, il en brode aussitôt quelques lignes. Mais elles n’ont ni commencement ni fin, posées en suspension dans l’imagination. Ce sont le plus souvent des exercices de style et non des germes de romans comme chez Haruki Murakami, ou des anecdotes exemplaires comme chez Ernest Hemingway.

L’auteur l’avoue dès le premier texte : il a perdu le sol, cette note de la gamme : « le sol, sonorité primordiale et lieu d’initiation des Maobori » p.132. Sans le ton donné par le sol, peut-il exprimer une littérature ? Peut-il dire « l’émotion absolue » p.142 que tout littérateur recherche ? Au lieu de cela, il croit qu’il ne reste que « la sécheresse de ses mots, de ses phrases, de tout ce qu’il a essayé de faire vivre sur le papier » p.152. Or, si l’émotion génère la poésie, seul le trempage dans la froide raison permet au feu de forger une histoire.

L’auteur explore la glycine vivace et insidieuse, l’exposition de deux bambins pour faire vivre leur mère, le marché de l’art qui singe la violence urbaine pour mieux vendre ses défroques à la mode. Il a reviviscence d’une expérience culinaire chez les Papous où les vers blancs lui rappellent la chair de la sole que sa cuisinière est en train de lui préparer. Il cherche la sensation pour sortir du banal et va acheter une arme pour en menacer une pute et voir ce que le crime fait en vrai. Il a peur de n’être qu’une machine à écrire des lettres sans queue ni tête, alignées à la suite. Il se moque, car certains crieront au génie tant la transgression et l’exploration de toutes les impasses font bien dans l’univers de la mode artiste.

Il y a un peu de tout dans ces quinze textes, dont de vraies nouvelles et nombre de pages arrachées.

Philippe Barrot, Sol perdu, PhB éditions 2019, 155 pages, €12.00

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Joseph Delteil, Choléra

Delteil a ravi André Breton et Louis Aragon mais surtout scandalisé Paul Claudel, ce qui est un bon point. Car il était païen, érotique, avide de vivre dans ce monde-ci. Il a chanté la joie du corps, la jeunesse en feu, panthéiste, pansexuelle, picaresque. Il conte épique, il galope du stylet, cisèle ses phrases comme des piques. Sauf que… parfois manque une histoire. Car le style n’est pas tout s’il ne s’applique pas à une aventure.

C’est le cas de Choléra, moins bon que Sur le fleuve Amour dans la même veine. Ne s’y déploie qu’une intrigue mince et les pages s‘étirent, écrites en gros, parsemées de poèmes et de citations, parfois de digressions pour faire volume. Si le lecteur ne s’ennuie pas toujours, il fait maigre et reste sur sa faim.

Un jeune homme de 16 ans, Jean, est amoureux de trois filles à la fois : Alice 15 ans, Corne 17 ans et Choléra 18 ans. Il ne peut donc choisir puisqu’aucune ne se prénomme Peste et qu’elles sont plus de deux. C’est vous dire le point de vue potache que tient ce roman en courant.

Ce qui n’empêche pas les exercices de style de ce boulimique de lecture adolescent : « La Marne, à Charentonneau, est bien jolie rivière, calme comme moi. Elle coule tout en profondeur, de l’est à l’ouest selon les rites, avec de la belle pâte et le meilleur dessin. Peupliers et platanes la pénètrent de feuilles et de racines. Berges peuplées de maraîchers et de gargotes ; sur une pelouse en pente, un troupeau de tonneaux de vin va s’abreuver à l’eau ; hangars en série et villas bourgeoises ; filles à pain et mauvais drôles couchés dans un beau gazon nourri de merde ; des Poulbots dans tous les coins ; casquettes, lilas, haridelles et ingénieurs ; enfin l’indispensable péniche : voilà les bords de la Marne ! (…) Alice, Corne et Choléra s’occupent de couture, de broderie » (ch. II). Les guinguettes à la mode des bords de Marne, où venaient s’encanailler les Parisiens des années folles en s’enivrant de vin descendant le fleuve, sont tournées en dérision. Charenton sur eau devient Charentonneau et le troupeau des urbains vient s’y abreuver à pleins tonneaux. Ne restent que les filles pour échapper au cliché – et l’érotisme, sinon l’amour, pour échapper au vulgaire.

Le héros culbutera avec l’une, avec l’autre, avec la troisième ; il les aimera toutes car elles sont toutes différentes. Corne, « douce comme un flan » (ch. XIII) lui « pinçait la peau », lui « chatouillait les mamelles » (ch.II) ; Choléra « est une fille de sel, nerfs chimiques et nez d’aigle » (ch. XIII) ; Alice « perpétuellement insatisfaite, elle s’épuisait à lire le marquis de Sade » (ch. XIII). Il faut dire qu’avant de rencontrer ces filles fantasques, il s’« allaitait à quelques amis sensibles, juteux et divinement malades. De tendres jeunes hommes sont ce qu’il y a de plus propre à embellir une vie terrestre » (ch. IV). Un bi adepte du triolisme, Delteil ne recule devant rien et pirouette en littérature, coquet, allusif. Comprenne qui pourra, ou plutôt qui a de la culture.

Je vous laisse découvrir l’œuvre, Elle tourne assez court car le héros semble se complaire à faire disparaître tout ce qu’il aime. Façon de dire, peut-être, que tout amour est éphémère, réduit au rêve et aux sensations, et qu’à l’existence même nul ne doit s’attacher.

Joseph Delteil, Choléra, 1923, Grasset Cahiers rouges 2013, 182 pages, €8.20 e-book Kindle €5.49 

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