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Joseph Delteil, Jésus II

Lorsque l’on se prénomme Joseph, la pente naturelle est de devenir papa d’un Jésus. Père adoptif puisque Jésus est Dieu, à ce qu’il a dit ; et Jésus « II » puisque le premier est mort sur la croix voici deux mille ans. Mais l’écrivain Delteil a de l’imagination et l’envie de provoquer pour deux. Son « Jésus, le retour » vaut le détour. Il est absurde et loufoque, moins réaliste que surréaliste.

Si Delteil a quitté Breton, qu’il trouvait totalitaire, il est resté imprégné de cette atmosphère ludique et exploratoire qui est survenue après la Grande guerre, la guerre la plus con de tous les temps, celle qui a transformé le combat en boucherie industrielle. Joseph n’a pas fait la guerre mais a été mobilisé en 14, au régiment colonial de Toulon puis chez les tirailleurs sénégalais à Fréjus jusqu’à l’armistice en 18. Il n’a connu la boucherie que par ouï-dire mais il s’est trouvé imbibé de cette atmosphère, analogue à celle de mai 68, qui a saisi les lettrés au sortir des tranchées et de la discipline.

Volontiers potache, il est saisi par la débauche des mots et adopte un style goulu rabelaisocélinien, pour jouer des termes et surtout, en rhapsode, des assonances en voyelles. Sa plume primesautière saute de page en page, s’interrompant pour reprendre plus loin, moins avisée ou d’un souffle plus retenu – habitude de poète qui fait des œuvres courtes. Jésus II retrouve un peu la verve d’Au-delà du fleuve Amour, l’histoire en moins. Car il fait de Jésus II une sorte de Don Quichotte flanqué d’apôtres improbables qu’il cueille au fil du chemin avant de les perdre tous dans un bordel – y compris le gamin qu’il a nommé Charlemagne. Ne reste avec lui qu’une fille, Albine, avec qui il va voir le Pape.

Mais au final il échoue, comme l’Autre. Il a tenté « l’apostolat, l’action directe et l’appel à l’Autorité », en vain (p.125). Il se résigne à Voltaire, grand anticlérical s’il en fut, mais qui croyait peut-être en Dieu : « Cultiver son jardin » candidement est sagesse ; plutôt que vouloir changer le monde, se changer soi dans son pré.

La liberté, c’est la folie ; faire la bête, voilà le secret. Dans une variante de sa fin, il est rattrapé par « une bande d’ostrogoths » – qui étaient des Germains de l’est – et doit fuir, pourchassé comme espion, anarchiste, assassin, en tout cas pas clair. Fusillé, il tombe du haut d’un chêne – où l’on rend habituellement la justice – « s’empalant net sur une branche cassée… jusqu’au fondement » p.144. Le voilà de nouveau en croix, éternel retour.

« Le mensonge et la violence, voilà les deux couilles du Diable » p.120. Ce mot de génie reste d’une brûlante actualité. « En vérité je vous le dis, mieux vaut coucher avec cent pucelles qu’avec la lâcheté », dit encore Jésus II au Pape ébahi. Sauf que la lâcheté règne plus que le vice. « Une fille de dix-huit ans qui s’en va délivrer Orléans, est-ce fou ? Un garçon de trente ans qui s’en va conquérir l’Asie, est-ce fou ?… A l’échelle d’Alexandre, de Jésus, hein !… Ah !… pardi, à l’échelle de Tartempion, de Me Cudecuir, notaire, de l’épicier de la rue Froidequeue… » p.124. Au fond, la lâcheté si répandue est de la paresse morale. Delteil mérite d’être relu pour être un brin secoué.

Joseph Delteil, Jésus II, 1947, Grasset les Cahiers rouges 1998, €12.70 e-book Kindle €5.49

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Joseph Delteil, Choléra

Delteil a ravi André Breton et Louis Aragon mais surtout scandalisé Paul Claudel, ce qui est un bon point. Car il était païen, érotique, avide de vivre dans ce monde-ci. Il a chanté la joie du corps, la jeunesse en feu, panthéiste, pansexuelle, picaresque. Il conte épique, il galope du stylet, cisèle ses phrases comme des piques. Sauf que… parfois manque une histoire. Car le style n’est pas tout s’il ne s’applique pas à une aventure.

C’est le cas de Choléra, moins bon que Sur le fleuve Amour dans la même veine. Ne s’y déploie qu’une intrigue mince et les pages s‘étirent, écrites en gros, parsemées de poèmes et de citations, parfois de digressions pour faire volume. Si le lecteur ne s’ennuie pas toujours, il fait maigre et reste sur sa faim.

Un jeune homme de 16 ans, Jean, est amoureux de trois filles à la fois : Alice 15 ans, Corne 17 ans et Choléra 18 ans. Il ne peut donc choisir puisqu’aucune ne se prénomme Peste et qu’elles sont plus de deux. C’est vous dire le point de vue potache que tient ce roman en courant.

Ce qui n’empêche pas les exercices de style de ce boulimique de lecture adolescent : « La Marne, à Charentonneau, est bien jolie rivière, calme comme moi. Elle coule tout en profondeur, de l’est à l’ouest selon les rites, avec de la belle pâte et le meilleur dessin. Peupliers et platanes la pénètrent de feuilles et de racines. Berges peuplées de maraîchers et de gargotes ; sur une pelouse en pente, un troupeau de tonneaux de vin va s’abreuver à l’eau ; hangars en série et villas bourgeoises ; filles à pain et mauvais drôles couchés dans un beau gazon nourri de merde ; des Poulbots dans tous les coins ; casquettes, lilas, haridelles et ingénieurs ; enfin l’indispensable péniche : voilà les bords de la Marne ! (…) Alice, Corne et Choléra s’occupent de couture, de broderie » (ch. II). Les guinguettes à la mode des bords de Marne, où venaient s’encanailler les Parisiens des années folles en s’enivrant de vin descendant le fleuve, sont tournées en dérision. Charenton sur eau devient Charentonneau et le troupeau des urbains vient s’y abreuver à pleins tonneaux. Ne restent que les filles pour échapper au cliché – et l’érotisme, sinon l’amour, pour échapper au vulgaire.

Le héros culbutera avec l’une, avec l’autre, avec la troisième ; il les aimera toutes car elles sont toutes différentes. Corne, « douce comme un flan » (ch. XIII) lui « pinçait la peau », lui « chatouillait les mamelles » (ch.II) ; Choléra « est une fille de sel, nerfs chimiques et nez d’aigle » (ch. XIII) ; Alice « perpétuellement insatisfaite, elle s’épuisait à lire le marquis de Sade » (ch. XIII). Il faut dire qu’avant de rencontrer ces filles fantasques, il s’« allaitait à quelques amis sensibles, juteux et divinement malades. De tendres jeunes hommes sont ce qu’il y a de plus propre à embellir une vie terrestre » (ch. IV). Un bi adepte du triolisme, Delteil ne recule devant rien et pirouette en littérature, coquet, allusif. Comprenne qui pourra, ou plutôt qui a de la culture.

Je vous laisse découvrir l’œuvre, Elle tourne assez court car le héros semble se complaire à faire disparaître tout ce qu’il aime. Façon de dire, peut-être, que tout amour est éphémère, réduit au rêve et aux sensations, et qu’à l’existence même nul ne doit s’attacher.

Joseph Delteil, Choléra, 1923, Grasset Cahiers rouges 2013, 182 pages, €8.20 e-book Kindle €5.49 

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