Peter Pan est un petit garçon qui refuse de grandir. Il ne veut pas de la responsabilité d’adulte, du travail, de la famille, des obligations. Depuis la fin des années 1960, avec l’élévation du niveau de vie des classes moyennes et supérieures, l’enfance tend à durer dans l’insouciance, l’irresponsabilité et le narcissisme. Ce que l’on nomme depuis les « adulescents » était pointé avec justesse et précision par l’auteur, psychologue praticien.
Certes, il prêche pour sa paroisse, mais l’écriture de son livre n’est pas seulement une publicité pour la dépense chez le psy. Il décrit un véritable syndrome, cet ensemble de symptômes qui font sens pour décrire une pathologie sociale que les acteurs (parents et enfants) sont bien souvent incapables de régler par eux-mêmes. L’auteur donne des pistes pour s’en sortir, un test à réaliser, des étapes logiques de changement pour le couple et envers l’enfant, mais les émotions sont tellement fortes et les habitudes ancrées que l’aide d’un spécialiste extérieur est probablement nécessaire.
Parents démissionnaires en querelle entre eux, culpabilité du garçon envers sa mère possessive alors que son père l’ignore, incapacité à se voir fixer des limites et une discipline – sont autant de causes pour l’infantilisme prolongé. Les filles sont aussi atteintes, mais autrement en raison des rôles sociaux. L’auteur renvoie à un autre livre, celui d’une collègue, Colette Dowling, auteur du Complexe de Cendrillon.
Quel est cet adulte-enfant ? Un garçon, de 12 à 50 ans.
L’enfance elle-même, avant la puberté, n’est pas en cause : il est « normal » d’être irresponsable, angoissé, solitaire et en conflit avec les filles. C’est justement grandir qui fait assumer ce qu’on est et le regard des autres. Mais qui présente ces symptômes (ensemble ou quelques-uns, atténués ou accentués) après 12 ans (ou un peu plus selon les garçons) est en danger de dérive vers le Pays imaginaire. La réalité est exigeante ? – oublions là. Réfugions-nous en nous-mêmes, dans notre petit univers de fantasmes et de Bisounours, ce cocon familier où tout va bien, où tous les autres sont des gêneurs.
Dan Kiley, américain de la génération des années 1960, retrouve les traits de l’adonaissant Peter dans les jeunes qui viennent le consulter (volontaires ou forcés par maman ou chérie). Il établit p.19 un « profil social » un peu théorique, mais éclairant :
- 12 à 17 ans, quatre symptômes : irresponsabilité, angoisse, solitude et conflit à l’égard du rôle sexuel
- 18 à 22 ans, extension du refus, narcissisme et machisme en plus du reste
- 23 à 25 ans, vague insatisfaction devant la vie et crise aigüe de grandir
- 26 à 30 ans, installation dans la phase chronique de l’adulte qui joue à être mûr sans l’être
- 31 à 45 ans, souvent marié avec enfants et emploi stable, mais souffre d’un désespoir qui rend sa vie fade et monotone
- 45 ans et plus, dépression et agitation augmentent à l’approche de l’andropause, souvent comportement de « jeunisme ».
Ce qui marque, dans la psychologie des Peter Pan, est la prédominance des émotions, la procrastination (tendance à toujours remettre au lendemain), l’impuissance sociale à se faire de vrais amis compensée par un suivisme des pairs pour se faire accepter, l’usage de la pensée magique (si je pense que cela n’existe pas, cela n’existe pas – si je crois que cela doit être, cela est). Ils se sentent souvent en colère et coupables envers maman, désirant être proches de papa qui les ignore, ils restent immatures et infantiles envers les filles et inaptes à nouer une relation stable (incapables d’affronter une femme indépendante).
Une partie est consacrée à la description détaillée du syndrome en ses symptômes, et toute une autre partie à « travailler au changement ». C’est passionnant, pratique selon l’usage américain, écrit sans aucun jargon (ce qui change du lacanien français).
A lire pour comprendre l’infantilisme immature de « l’opinion » actuelle, le narcissisme exacerbé des adolescents garçons – et la pensée magique des politiciens éperdus de se faire bien voir de la foule sentimentale.
Il n’est pas inintéressant de constater que la société tout entière, avec son individualisme croissant, son narcissisme précoce, sa solitude compétitive, sa sexualité immédiate sans souci des conséquences, ses exigences d’écraser les autres pour se pousser devant – favorise ce syndrome de Peter Pan. Depuis les ados otaku japonais aux flemmards vissés sur leurs jeux vidéo français, iPod sur les oreilles, fermés au monde, fermés aux autres, fermés à tout agir.
Peter Pan est le fils de notre société, même si son auteur, J. M. Barrie, l’a créé dès 1902 sur le modèle de son frère, mort à 14 ans. L’Angleterre très victorienne, à la morale rigide et au qu’en-dira-t-on féroce, encourageait la démission de l’être faible qui rêvait à autre chose qu’aux « devoirs » familiaux, sociaux, religieux. En 1974, en plein essor du perterpanisme, Gérard Lauzier a fait paraître dans Lui une bande dessinée « pour adultes », Les sextraordinaires aventures de Zizi et Peter Panpan : la pensée magique de l’orgasme conduit à copuler dans les rues, à se faire réprimer puis se révolter pour jouir sans entraves, sans couple ni descendants, tout et tout de suite.
Il était en phase avec l’infantilisme de la société qui n’a cessé depuis de se développer avec, pour réaction, la frilosité envers l’avenir et le puritanisme envers tout ce qui pourrait menacer le cocon des concons.
Dan Kiley, Le syndrome de Peter Pan (The Peter Pan Syndrome), 1983, Traduction française Jean Duriau, Odile Jacob poches 2001, 315 pages, €7.90
J.M. Barrie, Peter Pan, 1906, Librio littérature éditions 84 2013, 144 pages, €2.00
BD Gérard Lauzier, Les sextraordinaires aventures de Zizi et de Peter Panpan, 1974, Glénat 1995, occasion €0.15 ou poche J’ai Lu 2001, 124 pages, occasion, €1.00
DVD Peter Pan de P.J. Hogan 2004, avec Jeremy Sumpter, Columbi Tristar blue-ray, €13.13
DVD Peter Pan et le pays imaginaire (Neverland) de Nick Willing 2011, avec Charlie Rowe, €8.43
DVD dessin animé Walt Disney, Peter pan et Peter Pan 2 au pays imaginaire, Buena Vista 2007, €39.00
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