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Michel Peyramaure, La vallée des mammouths

La préhistoire fascine. Michel Peyramaure, né en 1922, est amoureux de sa région natale, le Limousin Périgord ; il la chante au long de ses romans dans le style régionaliste de l’école de Brive. Il est décédé le 11 mars de cette année 2023, à 101 ans. Pas de Limousin Périgord sans préhistoire, le magdalénien surtout des grottes ornées, telle Lascaux. Louis-René Nougier, professeur émérite de préhistoire à l’université de Toulouse préface d’ailleurs ce livre. Il lui rappelle les gestes des artistes de Rouffignac.

Chaab le chasseur est éventré par un bœuf musqué qu’il a vaincu mais qui, dans un dernier sursaut, lui a dénudé le foie. Il est soigné par le vieux sorcier Awah et par ses enfants, son fils Ayud, dans les 15 à 17 ans et Yawna, sa fille de 13 ans désormais nubile. Il entre en rémission mais il finit par mourir. La faute au sorcier débutant Toloo, inapte mais content de lui, sans aucun don, avide du prestige que la fonction lui donne – mais surtout protégé par le chef. Deïwo est un géant fort comme plusieurs hommes mais aimé de personne. Il est brutal, cruel, et seul Toloo le flagorne, trouvant grâce à ses yeux. Sans le chef, d’ailleurs, l’apprenti sorcier ne serait rien : ses simagrées incantatoires sont sans effet car il n’a aucun affect.

Comme tous les fascistes, Toloo renverse la cause : il ment selon l’adage de Goebbels que plus c’est gros, plus ça passe. Il accuse Awah d’avoir tué Chaab, chasseur respecté ; il veut être sorcier à la place du sorcier et posséder ses pierres magiques, les cristaux et la pierre de foudre, fragment de météorite. Les enfants s’insurgent mais ils n’ont pas voix au chapitre, encore qu’on puisse considérer, anthropologiquement, qu’à 17 ans on était un homme fait en ces temps préhistoriques où la durée de vie était réduite. Mais l’auteur est né en 1922, avec les préjugés machos et patriarcaux qui vont avec. Il fait du jeune homme un « adolescent », concept qui n’avait pas cours aux époques anciennes. On devenait un homme dès que l’on était pubère pour engendrer et que l’on savait chasser pour nourrir sa famille. Ayub le garçon n’est d’ailleurs plutôt sympathique qu’au début, lorsque sa jeunesse se débat contre l’injustice. Il cesse de l’être avant la fin lorsque son ancrage dans la haine tribale prend le dessus. Il méritera ce qui lui arrive.

Comme nul ne peut se faire entendre, Awah décide de fuir la tribu et les deux jeunes le suivent. Ils sont poursuivis mais découvrent une grotte aux ours… apprivoisés par Kuecô, un homme solitaire de la tribu voisine qui en a marre de la guerre incessante et rituelle entre tribus. Le trio fait aussi la connaissance d’Orca, qui a apprivoisé le mammouth et erre dans la steppe sur le dos du mâle dominant, caché entre ses jarres. Les mammouths sont des éléphants antiques dont la race s’est éteinte. Le mot vient du russe mamont, qui veut dire « corne de terre ». Les mâles pouvaient mesurer 5 m au garrot et peser jusqu’à 12 tonnes. Ils étaient les animaux rois de l’époque. Aussi, apprivoiser un mammouth était considéré comme « extraordinaire », égalant l’humain aux Puissances de la nature.

Yawna tombe amoureuse de Huecô tandis que son frère Ayub est tiraillé par son amitié pour le jeune homme qui les a sauvés et son inimitié acquise pour l’ennemi héréditaire de sa tribu. Laquelle doit le juger pour avoir trahi et peut-être le mettre à mort. Mais le chef Deïwo ne décide pas de cela tout seul, les Anciens du clan ont leur mot à dire. Après diverses péripéties aventureuses, Ayub et Yawna sont fait prisonniers et le verdict tombe : Ayub sera réintégré à la tribu s’il tue un Homme jaune ennemi, son ami le plus cher, Huecô. Quant à Toloo, il est durement puni pour non seulement ne pas parvenir à soigner, mais aussi pour avoir tué Chaab par le poison en intervertissant la poudre qu’avait préparé Awah. Il avoue devant tous, menacé du verdict de l’Eau qui fait parler… une ruse de sorcier.

Ayub se dirige donc, la mort dans l’âme, dans la grotte aux ours où réside Huecô tandis que sa jeune sœur se morfond pour son frère et pour son amoureux. Seul l’un d’eux survivra. Quant au chef Deïwo, il n’est pas intelligent et croit subtil d’emmener les guerriers de la tribu massacrer ceux d’en face. Il n’y survivra pas, cette fois ce sera le svelte et souple Orca descendu de son mammouth qui le terrassera.

Un roman d’aventure dès 9 ans mais qui plaît aussi aux adultes hantés par la préhistoire. La région est belle, le relief subsiste, même si le climat est désormais moins froid et que les grands animaux antiques ne sont plus. A lire en visitant Lascaux et tous les autres abris anciens.

Michel Peyramaure, La vallée des mammouths, 1966, Pocket 2005, 254 pages, €2,96

également en Folio junior 1980 occasion

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Michel Peyramaure, Couleurs Venise – La vie de Titien

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Tiziano Vecellio, dit le Titien, était un peintre de Venise né en 1488. Cette biographie romancée lui rend hommage de façon un peu plate et – dit-on – avec des erreurs, mais ce qui importe est l’ambiance générale. L’auteur, né en 1922, n’est plus tout jeune et son récit s’en ressent, mais il fait passer une couleur qui met dans l’ambiance.

Chacun des 23 chapitres relate un moment de la vie du peintre ou un événement de la ville de Venise. L’auteur a pris le parti d’inventer un assistant du peintre, issu de la forêt proche comme lui, et à peu près du même âge. Ce Vincenzo Bastiani vivra aux côtés de Titien tout ce qui fait sa vie. Il se mariera comme lui, fera la fête en sa compagnie, aura des enfants comme lui, achètera une demeure comme lui. L’auteur en fait même le modèle qui servit à Saint-Sébastien. Ce récit conté par un observateur est astucieux en ce qu’il décale le personnage principal et le juge selon des critères contemporains.

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Très commerçante, vendant du sel et important des produits d’orient, la cité des doges ne connait de richesse que de négoce. Il lui faut pour cela des galères, des comptoirs et une paix suffisante. Or les Génois d’abord concurrencent le commerce du sel ; les Turcs ensuite, par haine religieuse des chrétiens, s’efforcent de prendre une à une les places fortes de Chypre, de la Crète et de Malte, tout en livrant une guerre de course et de pillage pour alimenter leurs marchés aux esclaves.

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Titien, par tempérament, voyage peu. Il peint beaucoup, sur commandes publiques, religieuses et privées. Sûr de lui et de son talent, il emploie des élèves dans son atelier qui lui préparent les toiles et affinent les détails. On a pu ainsi, sur la fin de sa vie, l’accuser de signer des œuvres qui n’étaient pas de sa main. Selon son biographe, cette rumeur était fort exagérée : c’était bien Titien qui concevait, dessinait, mettait les couleurs et les principaux traits ; ses élèves ne faisaient que peindre quelques détails, corrigés par le maître s’il lui plaisait.

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La mode est aux portraits, et Titien est réputé (Frédéric II Gonzague, Charles Quint, Paul III, Ranucio Farnese, Pietro Bembo, doge Andrea Gritti, Daniele Barbaro, Giulia Varano, Isabelle de Portugal).

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Mais les grands lui demandent aussi des scènes de bataille pour orner les lieux publics, et des scènes mythologiques pour orner leurs villas privées. Cela change un peu des scènes de curés où les caractères bibliques exigent la vêture jusqu’au menton sous peine de choquer l’Eglise et la vertu des voués au célibat. Mais son Assomption de la Vierge, en robe longue rouge et manteau drapé bleu, révolutionne la façon de voir la mort. Il en fait un passage entre la terre et le ciel, porté par les anges, sous l’œil du Vieux barbu qui trône, là-haut, au-dessus des nuages.

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Le XVe siècle est cependant moins prude, et le Pape lui-même laisse faire lorsque les attitudes mythologiques surgissent dans la peinture. Ce ne sont que femmes nues, mâles herculéens et éphèbes désirables.

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C’est la vie quotidienne de Venise offre sans cesse de telles mœurs – qui ne choquent que les Turcs islamisés. « J’ai vu parfois, lorsque de rares occasions m’ont contraint à me plonger dans la foule du carnaval, des groupes de paysannes, de jeunes pâtres ou forestiers proposer leurs services pour quelques bagattini sous les arcades des Procuratie ou celles, plus discrètes, de la Piazetta », dit le narrateur p.308. Il n’y aurait pas de meilleur remède pour la paix sociale que ce défoulement autorisé, car les églises se remplissent ensuite de tous les pécheurs repentis qui viennent à confesse et donnent pour le culte.

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Venise a ainsi encouragé les arts, tout au contraire de l’Espagne de Charles Quint et de Philippe II (rois qui commanderont plusieurs œuvres à Titien). « L’Inquisition veille à ce qu’il y ait toujours quelque part un bûcher prêt à être allumé » pour les artistes qui oseraient attenter à la pruderie catholique.

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Comme quoi il ne peut y avoir d’art véritable sans libertés – ni sans richesse. Car ce sont les nobles enrichis dans le commerce, et les églises ou couvents enrichis par les dons des nobles enrichis dans le commerce, qui ont commandé fresques et peintures, et porté la gloire de Venise dans les siècles.

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Titien apprend à 10 ans la couleur auprès du mosaïste Sebastiano Zuccato, avant de passer à la peinture dans l’atelier des frères Gentile et Giovanni Bellini. Il noue là une amitié avec Giorgione. Mais Titien est surtout expert en portrait et habile en couleurs. Il noie le trait sous la nuance et joue avec la lumière. Souvent, le dessin initial n’est qu’esquissé et ligne est couverte progressivement par le colorito, touches ponctuelles de couleurs nouvelles qui définissent et fondent les formes, estompant les transitions. Vasari fera son portrait écrit, tandis que l’Arioste le louange dans ses lettres satiriques sur la bonne société.

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Contrairement à beaucoup en son temps, Titien était porté sur les femmes, pas sur les éphèbes, même s’il ne se marie que vers 37 ans (sa date de naissance est incertaine) ; il aura deux fils, Pomponio qui deviendra flambeur et Orazio qui suivra la voie de son père, et une fille, Lavinia. Son épouse meurt très vite. Il peindra à cette époque les belles femmes qui firent une partie de sa réputation : la Belle, Marie-Madeleine, la Vénus d’Urbino – dont Manet fera une Olympia – Vénus au miroir, les seins nus devant un enfant nu. Il réalisera plus tard Danaé, Vénus et Adonis ou Diane et Actéon pour le roi d’Espagne Philippe II.

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Nous ne sommes pas dans la biographie psychologique à la Sophie Chauveau, mais dans le déroulé romancé de la vie. C’est agréable à lire, rempli d’anecdotes plus ou moins réelles; l’auteur brosse un portrait du temps et de la ville autant que du peintre Titien.

Michel Peyramaure, Couleurs Venise – La vie de Titien, 2016, Robert Laffont, 398 pages, €21.00

e-book format Kindle, €14.99

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