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Santiago de Cuba suite

Le cimetière Santa Ifigenia, à l’écart de la ville, est un haut lieu de mémoire. Nous y passons sans descendre du bus, faute de temps. José Marti et Carlos Manuel de Cespedès y reposent.

santa ifigenia cimetiere santiago cuba

José Marti, fils de sergent devenu commis d’épicerie, est arrêté à 16 ans pour s’être moqué des volontaires de l’armée coloniale. Il passera 6 ans aux travaux forcés. Déporté à Madrid, il passera deux licences, en droit et philosophie. Il enseigne, écrit des articles, voyage, « conspire » pour l’indépendance de Cuba, fonde le Parti révolutionnaire cubain. Il s’oppose à l’annexion politique ou économique de Cuba par les États-Unis qui se font le champion de l’indépendance des Amériques. Le 25 mars 1895, Marti et Maceo rédigent le Manifeste de Montecristi, révolutionnaire, puis Marti est nommé major général dans l’armée de libération de la sierra cubaine. Il est tué lors de l’embuscade de Dos Rios. Le traité de Paris instituant l’indépendance cubaine, avec l’aide des États-Unis, ne sera signé que trois ans plus tard, le 20 avril 1898. Carlos Manuel de Cespedes a, le premier, décidé de libérer ses esclaves en 1868, tout en appelant à l’indépendance. Sa statue est érigée sur la Plaza de Armas de La Havane.

jose marti

Une dernière étape pour la matinée nous conduit au phare et au Castillo del Morro, la forteresse bâtie en 1637 qui domine l’entrée de la baie. Le coin est touristique, empli de bus qui contiennent surtout des Français, et de boutiques accueillantes qui vendent de tout, des tee-shirts au sempiternel rhum. Le soleil est particulièrement violent à cette heure. Des écoliers rentrent de classe dans la zone militaire qui jouxte le circuit touristique. Ils ont carrément ôté leur chemise. Les Anglais ont détruit le fort en 1662, mais il est reconstruit dès l’année suivante jusqu’en 1669. Il a été restauré dans les années 1960, peut-être pour faire face à un débarquement américain ? Nous aurions pu visiter le Musée de la Piraterie, mais il est largement plus de midi et nous n’avons pas le temps : il faut retourner à l’hôtel pour déjeuner ! Nous trouvons idiot de refaire le trajet pour revenir cet après-midi (qui est libre) mais l’administration socialiste du voyage cubain le veut ainsi. Nous négocions le fait que le bus nous reconduise en ville après le déjeuner.

castillo del morro santiago cuba

Nous visitons le belvédère Velasquez, panorama sur le quartier de Tivoli, une enclave populaire où les Français venus d’Haïti se sont installés en nombre. Dans ce quartier, qui descend vers le port, des gosses jouent presque nus dans la rue. Ils ont les pieds sales, les garçons le torse souillé de poussière, la culotte déchirée. Ils se traînent par terre dans leurs jeux ou leurs bagarres. Nous ne sommes plus ici dans les quartiers chics du centre-ville, même si la joie de vivre de ces petits demeure intacte.

quartier de tivoli santiago cuba

Nous remontons vers le musée du Carnaval, aménagé dans une maison coloniale du 18ème siècle près de la cathédrale, qui expose des photos noir et blanc des scènes de carnaval, mais surtout donne un spectacle quotidien de danses (à 16h) qui dure une heure. Nous nous installons avec un groupe de Nouvelles Frontières. Les danses présentées sont un syncrétisme entre l’Afrique des origines et l’existence travailleuse des plantations, les croyances ancestrales et les nouvelles conditions de vie. La première partie du spectacle est prenante, accompagnée aux tambours et aux enjoliveurs heurtés au tournevis. Le reste est moins bon. C’est un pot-pourri touristique où il s’agit surtout d’amuser, puis de faire « participer » les spectateurs, dans les meilleures traditions des colonies… de vacances ! Est-ce un clin d’œil ? – ce serait trop subtil. Si les danseurs sont peu vêtus et vite luisants de sueur, les danseuses sont habillées de longues robes multicolores. Leurs déhanchements, trémoussements, sautillements, ont un rythme hypnotique. Les garçons travaillent plus en force, toute une mécanique musculaire se lisant en direct sur leurs poitrines aux muscles secs. Plus noirs que la moyenne de la population, les danseurs expriment bien plus l’Afrique que les traditions espagnoles du carnaval.

museo del carnaval santiago

Nous nous rendons ensuite à la cathédrale. Elle est vieillotte et presque vide, hésitant entre les bondieuseries ibériques et le dépouillement indien. Il n’y a même pas une Annonciation, bien que l’ange de l’Annonciation domine la place entre les deux clochers.

ange santiago cuba

Le plafond est à caissons et le chœur a des stalles en bois sculpté. Le Pape Jean-Paul II y est venu célébrer une messe en 1998.

cathedrale nuestra dama de asuncion santiago

C’est d’en face, du balcon de l’Hôtel de Ville, que Castro a harangué les Santiagais. On entre dans la cathédrale par les côtés. La porte de façade a été condamnée par des boutiques, dont une librairie. Nous y entrons après la cathédrale. Sont exposés principalement des manuels techniques, de l’idéologie, et quelques rares éléments de la (pauvre) littérature nationale autorisée, dont un peu de poésie – considérée comme moins « idéologique » que le roman.

cathedrale santiago vue hotel casa granda

Les vrais romanciers cubains sont exilés et éditent leurs œuvres vives à l’étranger, en Europe et aux États-Unis, comme Zoé Valdès. Et c’est cette société appauvrie, où les intellectuels doivent s’exiler pour avoir la possibilité d’exprimer ce qu’ils sont, que nos intellectuels « de gôche » adulent jusqu’à en faire une question de profonde « conviction » ?

Le cinquième étage de l’hôtel Casa Granda, construit dans les années 1950, permet de voir le soleil se coucher sur la baie. Nous avons failli payer le cocktail « obligatoire » à 2$ pour monter, mais le réceptionniste était absent quand nous sommes passés. Ce n’était pas le cas des autres du groupe… Plus bureaucratiquement capitaliste qu’un socialiste, il n’y a pas.

terrasse aux musiciens santiago cuba

Sur la place et dans les rues, nous croisons de nombreux solliciteurs et mendiants. Tout est bon pour faire du fric, comme si « la Révolution » n’était que du vent. Quel échec patent ! À quoi servent donc tous ces slogans aux murs ? On ne les lit d’ailleurs plus au bout de quelques jours alors – après 55 ans… Nous rencontrons à Cuba presque autant de misère qu’ailleurs, la liberté en moins.

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Santiago de Cuba

« J’irai à Santiago ! » chantait Lorca la garce dans son Chant Nègre. Eh bien nous y sommes. « Ceinture chaude et goutte de bois », la ville est la deuxième de Cuba avec près de 450 000 habitants, fondée en 1514 toujours par le même Diego Velasquez. Mais son emplacement actuel ne date « que » de 1522, nuance ! Les guides se délectent de ces petits détails dont au fond tout le monde se fout. Par contre, ils ne disent rien de ce qui importe à l’histoire.

La colonisation française depuis Haïti avait introduit les idées des Lumières ; les Catalans venus à Santiago avaient introduits leurs habitudes maçonniques. C’est ainsi que débute une révolution, la première, celle qui libérera de l’Espagne fin 19ème. La ville entend l’appel de Carlos Manuel de Cespedès en 1868 ; la « petite guerre » débute à Santiago le 25 août 1879 ; et c’est encore dans la baie de Santiago que l’amiral espagnol Pascual Cervera est battu par l’escadre américaine le 3 juillet 1898. Fidel Castro tiendra à entrer dans Santiago libérée – avant d’aller à La Havane comme on va au bordel. Il tenait la capitale pour la maison de tolérance des Amériques et préférait le charme conservateur et « l’authentique populaire » de la vie de province.

Fidel Castro

Bref, nous débarquons au Parque Cespédès, la place centrale de Santiago, ancienne Place d’Armes. Sergio nous montre du doigt la cathédrale de Notre Dame de l’Ascension, en face l’Hôtel de Ville construit en 1855, sur la droite la Casa Velasquez demeure de Diego, premier gouverneur de Cuba, lui faisant face l’hôtel Casa Granda, évoqué dans le roman de Graham Greene, Notre agent à La Havane (1958).

parque cespedes santiago

La façade de la Casa Velasquez a un balcon de bois et des jalousies de bois ajouré. La demeure, construite dès 1516, est désormais un musée où l’on a regroupé du mobilier de diverses époques mis en scène dans des « ambiances ». Nous parcourons ainsi au frais (l’air passe entre le bois ajouré sur la rue et le patio ouvert de l’intérieur) des chambres, des salons, des bureaux, des salles à manger, des boudoirs… Les rues sont bruyantes, plus qu’à l’époque coloniale sans doute, à cause des klaxons et des pétarades des deux roues. Les jalousies, héritées des mauresques, permettent de voir sans être vu, de tamiser le soleil et de faire circuler la brise.

Côté patio, des moucharabiehs aux larges alvéoles de cèdre laissent passer air et lumière tombant du puits. Les plafonds sont décorés de bois précieux découpé. Y pendent des lustres à breloques de style français. Les lourds meubles espagnols de bois sombre comprennent des tiroirs « secrets » encastrés dans les moulures. L’estrado, un large socle de bois, servait de lit la nuit et de table le jour. La vaisselle est de la poterie d’Espagne, bien décorée mais plutôt épaisse, quelques biscuits louisquatorziens délicats, le tout voisinant avec des vases en verre fragile de Venise. Le musée est intéressant et beau à voir, même s’il est éclectique.

Dommage que l’on ne puisse effectuer la visite seul, errer dans les salles aux fantômes encore présents entre les meubles. La guide a un français médiocre et nous sommes surveillés par trois ou quatre matrones, gardiennes de salles comme elles auraient pu être gardiennes de camps. Elles sont le même corps massif et le même menton obtus. Le pourboire est obligatoire, façon de créer des emplois sans les payer en pays « socialiste » -qui se fait pourtant gloire de sa « morale » politique.

caserne de la moncada santiago

Le bus nous conduit ensuite au rythme de la circulation et des encombrements dans divers quartiers de la ville. Ils sont plus ou moins commerçants, plus ou moins pauvres. Mais le but du périple est de nous conduire à la fameuse « caserne Moncada ». Le bâtiment date des années 30 dans le style militaire. Il n’aurait aucun intérêt si Fidel Castro et ses partisans n’avaient tenté de s’emparer d’armes dans la deuxième garnison de Cuba, en plein carnaval, le 26 juillet 1953. Ce fut un échec, certains parlent même d’un désastre : huit tués sur une centaine d’hommes, cinquante-cinq faits prisonniers, torturés puis exécutés, Castro en fuite pris une semaine plus tard, jugé et exilé à l’île de la Jeunesse. Les armes convoitées avaient été déplacée dans un autre bâtiment en raison du carnaval. L’assaut de la Moncada a la même insignifiance stratégique mais le même impact symbolique que la prise de la Bastille en 1789. Dans le bâtiment où l’assaut a été donné est installé un musée « révolutionnaire ». Les trous de balle sur le béton de la façade peinte en jaune criard ont été soigneusement laissés tels quels.

L’ensemble des bâtiments abrite aujourd’hui des écoles. Sur l’immense stade à l’herbe pelée, ancien champ de manœuvre des militaires, une tripotée de garçons d’une dizaine d’année s’essaient au ballon. Comme je descends le premier du bus, une dizaine d’entre eux viennent me serrer la main et poser pour la photo en prenant des attitudes machos qui mettent en valeur leurs muscles naissants. Le culte de la virilité est enseigné dès l’école révolutionnaire : nos féministes gauchistes en sont-elles conscientes ? Je les trouve pleins de vitalité et touchants, ces gamins. Un jeune Noir de dix ans, bien bâti déjà, veut me serrer la main en premier ; suit un teint clair coiffé au bol, mignon à sa maman ; puis un autre au joli sourire. Cette jeunesse fraîche et joyeuse est le produit réussi de Cuba plus que de la révolution.

gamin de cuba

Car c’est l’inverse que veut nous enseigner le musée, tout à la gloire de la volonté idéologique plus qu’à la valeur militaire ou à l’efficacité productrice. On a eu beau accumuler les fusils et les mitrailleuses en vitrine, pour impressionner les naïfs, le visiteur voit bien que les convictions et le marketing égalitaire l’ont emporté sur l’initiative et la force des armes.

Nous sommes accompagnés d’un guide local qui nous explique en espagnol tout ce qu’il est politiquement correct d’avoir vu, avec des résumés pédagogiques que nous sommes sommés d’apprendre, s’il vous plaît. Sergio traduit et édulcore un peu. Mais je comprends l’intégralité du discours du jeune homme, manifestement militant zélé. Il aurait aimé en être, de cette attaque de la Moncada ! Hélas, il n’était même pas né. Il en rajoute donc pour édifier le peuple, l’œil brillant, le corps tendu, presque au garde à vous quand Sergio traduit la geste immortelle. Un tel enthousiasme durera-t-il ?

che guevara sur un mur

Pour faire horreur en poussant l’adversaire vers l’animalité barbare, ou pour glorifier son propre combat en exaltant christiquement ses martyrs, une salle entière détaille avec complaisance les diverses tortures imaginées par « la réaction ». Comme tout cela est édifiant ! Le plus niais réside peut-être dans les photos de propagande des dernières salles. Le trait en est lourd, appuyé, comme si la compréhension devait pénétrer le crâne obtus de paysans indécrottables : un enfant noir brandit une pancarte où il a inscrit « merci de m’avoir appris à lire » ; un bébé nu regarde une colombe à ses pieds sur fond de drapeau cubain. Puis nous avons la série édifiante : Fidel cause aux paysans ; Fidel cause avec les grands de ce monde ; Fidel à la plage ; Fidel père du peuple… Et pourtant, le Fidel haïssait la famille, lui le bâtard – et ses propres enfants en savent quelque chose. Seules deux photos présentent le beau visage lumineux d’Elian Gonzales, le gamin de 6 ans qui voulait retrouver son père après le naufrage du bateau qui l’emmenait en Floride avec sa mère, dont l’une à sa descente de l’avion « impérialiste » de retour à Cuba.

fidel castro pre ado 1940 santiago

Symbole ? Lorsque nous ressortons, sous le soleil fort, le stade a été déserté par tous les enfants. Le bus nous fait passer par la place Tien An Men locale, cette place immense où 150 000 cubains peuvent entendre un discours mobilisateur. Il s’agit – bien sûr – de la Place « de la Révolution », déserte à cette heure. Seul Antonio Maceo veille depuis son cheval de bronze cabré du monument, une machette à la ceinture.

antonio maceo statue

Les 23 tiges d’acier de huit mètres de haut qui se dressent vers le ciel autour de lui comme un défi à un quelconque débarquement extraterrestre font « référence » (?) à la protestation de Baragua initiée le 23 mars 1878 contre le pacte signé avec l’Espagne. Selon Sergio elles figureraient des lames de machettes, l’arme par excellence du macho, armes de la révolte – des esclaves au castrisme.

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