Double bonapartisme à droite

Le problème de la droite est qu’elle est désormais bicéphale : bonapartiste libérale à l’UMP (bien que personne ne revendique ce mot tabou dont l’aversion a été imposée par l’idéologie de gauche) et bonapartiste nationale-sociale au Front (synthèse traditionnelle du gaullisme version ethnique).

Nicolas Sarkozy veut récupérer la nation mais ne sait trop que faire du social, tout en ne réussissant pas à comprendre le libéralisme – ce qui fait désordre dans l’opinion. Marine Le Pen joue sur le velours de n’avoir jamais gouverné, ce qui lui permet tous les yakas possibles (et contradictoires) : fermer les frontières mais toujours exporter ; retrouver le franc mais avec la dette en euro ; faire tourner la planche à billet via une Banque de France renationalisée (donc l’inflation) mais assurer qu’elle protège les « petits » (épargnants, commerçants, patrons…).

Son succès électoral 2014 est net, mais surtout par ressentiment contre le système socialiste qui apparaît sans idée autre que la minable « boite à outils », sans vision présidentielle, sans personnel local à la hauteur, perclus de copinages. Les jeunes ne se retrouvent plus au PS, dans cette technocratie de caciques aux idées sociétales datant de 1968 ; les milieux populaires ne se retrouvent plus dans le discours du président, eux qui valorisent l’effort, le travail et leur juste récompense. Quant à l’UMP, elle s’est déconsidérée avec la guéguerre des chefaillons entre le faux-vertueux Fillon et le filou Copé, entre la posture de sage rigide Juppé et celle de l’agité revanchard Sarkozy. Les affaires « Big millions » et des vraies fausses confidences Jouyet à propos d’une demande qu’aurait faite Fillon contre Sarkozy ajoute au désordre ambiant. Sans parler de sa démagogie de communicant avide de faire avant tout parler de lui, jouant du franc-parler comme d’une langue de bois qui se veut populaire, énonçant n’importe quoi « si ça vous fait plaisir ». Le succès du Rassemblement bleu Marine apparaît dû plus aux circonstances qu’à un vrai mouvement de fond. On ne bâtit pas un programme de redressement sur le rejet pur et simple de tout ce qui gouverne.

2014 candidats de droite

Mais il est vrai aussi que les partis politiques ne sont plus ce qu’ils étaient. Effet médiatique, effet réseaux sociaux, effet transparence – tous les politiciens sont aujourd’hui surveillés, obsessionnellement traqués par des médias en mal de scoop dans la concurrence pour la manne publicitaire et par de jeunes journalistes sans plus aucun scrupule sur la vie privée ni sur l’intérêt de l’État. Si l’international échappe un peu à la tyrannie des « commentaires » et autres « éditoriaux », c’est que les petits sachants qui font le buzz y connaissent peu de choses. Le présidentialisme de fait français et la pression médiatique toute récente poussent les partis à devenir des machines électorales à l’américaine – sans plus aucune dimension d’initiatives ni de projet. Les autres pays européens connaissent des débats parlementaires – pas la France, aux assemblées pléthoriques pour sa population, toujours pressée par le calendrier des votes, contrainte constitutionnellement par le rythme gouvernemental.

La synthèse conservatrice et libérale de la droite, qui a joué tout au long des années gaullistes et s’est modernisée sous les centristes giscardiens et barristes, est à réinventer. Chirac avait démissionné sur le fond au nom d’un vague « travaillisme à la française », Sarkozy a imposé sa brutale énergie médiatique, hélas peu suivie d’effets long terme, président omniprésent, omnichiant faute d’être omniscient. L’UMP n’a toujours pas tiré le bilan de sa courte défaite 2012, ni marqué une quelconque volonté de changer. Comme toujours, elle attend un « chef ». Le précédent veut revenir et la tuer pour créer un parti à sa botte ; les challengers sont pâlichons ou réservés, ce qui nuit à l’image de la droite apte à gouverner et laisse caracoler Le Pen dans les médias. Ces médias bien faux-culs – se disant « évidemment de gauche » – mais ravis de « suivre » l’opinion qui monte. C’est ainsi que Pétain devint chef de l’État en 40, avec l’assentiment de (presque) tous, et avec soulagement dans les syndicats et les partis « de gauche ».

duel ados torse nu pierre joubert Angus

Alain Duhamel croit que la montée Marine et l’effondrement Hollande vont forcer l’UMP à accélérer le mouvement en termes d’organisation et l’obliger à élaborer un programme d’inspiration nettement libérale (qui serait du Hollande assumé et qui réussit). Peut-être… Mais l’hypothèque Sarkozy n’est pas levée malgré les « affaires ». L’ancien président est un homme d’action pour qui tous les moyens sont bons pour un seul objectif : gagner. S’il l’emporte, à l’arraché, ses rivaux traîneront les pieds, se feront boulets, laissant la Force imposer (tout seul) ses idées (courtes).

Or le système présidentiel français n’est pas fait pour l’activisme solitaire : le président a été conçu par De Gaulle et Debré comme décisionnaire, mais arbitre. Au Premier ministre de gouverner, au président de donner les grandes orientations (mais seulement les grandes) et de décider en dernier ressort : par les moyens solennels du changement de Premier ministre, de la Déclaration aux Assemblées, du référendum, de la dissolution (arme ultime). Jospin qui se voulait chef de gouvernement malgré la cohabitation a poussé aux législatives juste après les présidentielles ; Chirac le démissionnaire de la Ve a laissé faire le quinquennat; Sarkozy l’hyperactif a achevé de déformer les institutions, emportant certes les médias avec lui dans le tourbillon qu’il crée (ils n’ont que ce qu’ils méritent), mais désorientant l’opinion. Il est donc amené à caricaturer sa volonté, à zapper sans cesse d’un thème à l’autre, suscitant chocs et résistances dans un pays au fond conservateur et ancré sur des principes généraux que les Français répugnent à jeter aux chiens (république, laïcité, identité culturelle historique, puissance francophone).

Nicolas Sarkozy peut-il gouverner au centre, dans la modération arbitrale requise d’un président de la Ve République ? Après 5 ans d’expérience 2007-2012 et au vu de sa jalousie infantile à créer l’événement en disant tout et son contraire, c’est probablement trop demander. Si lui ne se met pas « au-dessus des partis », comme le requiert la fonction, les électeurs tendront à pencher vers une autre candidate, elle « contre les partis » – car la caste politique est tellement déconsidérée par les Français qu’ils désirent une présidence garante de l’intérêt général, au-delà des petites querelles de bac à sable, arbitre sage des évolutions nécessaires.


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2 réflexions sur “Double bonapartisme à droite

  1. Thèse : une IIIe République effondrée dans les combinazione et rendue impuissante par les militaires velléitaires Boulanger et Pétain, suivie d’une IVe ridicule dans ses valses incessantes de « gouvernants » (toujours les mêmes) qui se querellaient à propos de n’importe quoi – mais qui laissaient l’État largement absent de la société et de la vie économique, et c’est probablement ce qui a permis l’essor des Trente glorieuses (l’interventionnisme jacobin centralisé technocratique depuis Mitterrand a plutôt étouffé l’initiative et l’entreprise).
    Antithèse : la Ve voulue comme pouvoir Exécutif fort à l’ère des menaces mondiales et de la force nucléaire (dont le Plan d’État a permis la consolidation des Trente glorieuses jusqu’à la première crise pétrolière 1973) mais qui s’est dévoyée sous Mitterrand avec « Dieu » divisant son propre camp pour régner du haut de son Olympe méprisante, sous Chirac avec une « cohabitation » durant laquelle personne ne savait plus qui était responsable de quoi et une « réforme » de quinquennat malheureux, enfin de Sarkozy-Hollande dont l’interventionnisme constant (névrotique pour le premier, maladroitement velléitaire pour le second).
    Synthèse : une modification de la Ve non comme un « retour » aux origines mais comme leçon d’expérience. Soit un pouvoir présidentiel à l’américaine avec Parlement réduit, mieux élu et mieux doté de pouvoirs d’enquête et de contrôle, mais un président qui ne peut dissoudre et doit arbitrer selon l’intérêt supérieur de la nation (1 veto par an) mais laisser gouverner un Premier ministre désigné par l’Assemblée. Soit (vieux désir de la gauche de « revenir » aux combinazione partisanes de la IVe qui permettent toutes les intrigues localo-nationales) un retour au régime des partis avec gouvernement majoritaire et président arbitre des chrysanthèmes.
    Le parlementarisme est la norme en Europe – mais dans des États de plus en plus fédéraux (Royaume-Uni compris, après l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, voire l’Italie). La France devrait donc augmenter fortement le pouvoir des régions; or celles-ci sont toutes récentes et les gens sont mal habitués à y voir un « pays » (sauf rares exceptions historiques aux marges : Flandres, Alsace, Savoie, Corse, Pays basque, Bretagne). Ou bien modifier radicalement le mode d’élection des assemblées : uninominal à 2 tours pour l’Assemblée (de façon à dégager une majorité de gouvernement) et entièrement proportionnelle au Sénat (pour représenter collectivités locales et pouvoirs économiques et sociaux – projet 1969 De Gaulle). Ou l’inverse : proportionnelle à l’Assemblée (pour la diversité) mais uninominal au Sénat (pour dégager une cohérence majoritaire) ET avec, en ce cas, la désignation d’un Premier ministre par les deux assemblées en Congrès. Le président demeurant arbitre et garant des Institutions (et de la force de frappe nucléaire).
    On peut tout envisager. L’expérience montre cependant que des modifications à la marge permettent de ne pas effarer tout le monde et d’ajuster par petites touches les institutions à leur rôle (qui change) : à quoi sert un Sénat qui représente le micro-local à l’heure de l’Europe et de régions économiquement viables ? Un mandat unique de 6 ans pour le président, avec législatives à mi-mandat (ce pourquoi pas 7 ans) permettrait de lui redonner l’air nécessaire à sa hauteur de fonction ; une modification de l’élection du Sénat (vers une certaine proportionnelle avec assise régionale) permettrait de mieux représenter les Français.
    Mais n’oublions pas que tout dépend des hommes : les falots Hollande et Chirac ne sont pas à la hauteur de la Ve République, c’est clair. Mais les Français élisent une personnalité en rapport avec la fonction : si la fonction prend de la hauteur, il est probable qu’ils éliront une personnalité qui a l’aptitude de la hauteur. A l’inverse, l’inertie Chirac a tellement agacé que les électeurs ont choisi des interventionnistes, remplis de promesses…

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  2. daniel

    N’ayant guère d’illusions sur les chances de trouver en France dans l’offre actuelle (*) politique de vrais hommes (ou femmes) d’Etat susceptibles de ne pas trop nager dans les habits présidentiels trop grands pour eux, il serait sage de revenir à un régime parlementaire dont le premier ministre serait, comme presque partout, le vrai maître de la gouvernance. Bien sûr on a déjà donné avec la 4ème République, mais la situation était tout autre (Libération, reconstruction, Parti communiste puissant, guerre d’Indochine, guerre d’Algérie, début de la décolonisation) mais ce fut aussi, ne l’oublions pas, le début des 30 glorieuses.
    N’imaginant pas qu’une 6ème République (**) puissent retirer la désignation du président au suffrage direct des français, cette drogue douce utopique, ni qu’un président ainsi élu puisse perdre la quasi totalité de ses pouvoirs (ah cette monarchie républicaine !) je ne vois qu’une solution qui a d’ailleurs plutôt bien fait ses preuves : le risque de cohabitation, respiration démocratique et potentiellement rassembleuse de ce régime à bout de souffle.
    Deux solutions : 1/ imposer que les élections législatives se fassent mi-mandat. Difficile d’autant que cela nécessiterait de retirer au Président le droit de dissolution de l’Assemblée. (ce qui réduit à zéro l’argument d’inversion du calendrier de Jospin dont on nous serine depuis 12 ans) . Par ailleurs c’est un des privilèges que je laisserais au Président de la République qui ne gouvernerait plus mais resterait arbitre.
    La seule et vraie solution serait un retour en arrière, un retour au septennat mais cette fois un septennat unique, un seul mandat, du moins interdisant deux mandats consécutifs. Avec le quinquennat législatif et le risque de cohabitation la droite républicaine et la gauche modérée se succéderaient sans risque d’aventure et en période de crise pourraient même travailler ensemble.
    Rappelons quand même que c’est sous la cohabitation Chirac-Jospin que la situation de la France fut la moins mauvaise de ces 30 dernières années vis à vis des autres pays européen même si on aurait pu faire encore mieux pour la réduction des déficits et de l’endettement mais au moins en 2001 tous les critères de Maastirch étaient respectés. Temps béni où Jospin était accusé par la droite de faire de la cagnotte (plutôt que distribuer du pouvoir d’achat aux français).

    (*) Je ne prends pas de pari mais je ne serais pas étonné lors de la prochaine présidentielle de trouver, pour essayer de contrer Marine Le Pen, les candidatures de Juppé pour la droite et celle de Fabius pour la gauche ; des anciens +/- sages et compétents; Un moyen d’assurer les arrières si, la situation empirait et que le populisme progressant, elle devait l’emporter. Je ne pense pas, même si cela devait malheureusement arriver, qu’une vague populiste puisse envoyer une majorité au parlement, Cohabitation donc à deux niveaux !

    (**) Petit rappel, chaque fois qu’il y a eu une nouvelle République c’était en période de guerre ou fin de guerre, ou de révolution. On est en crise, crise grave mais;…

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