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Jean Louis Brunaux Les druides

Qui préfère les mythes qui content aux adultes des histoires pour enfants laisseront ce livre. Qui, au contraire, aime à connaître, à s’approcher de la vérité par les méthodes éprouvées du savoir scientifique, louera l’auteur de ce décapage en règle.

Jean-Louis Brunaux est chercheur au CNRS, archéologue de l’Ecole Normale Supérieure spécialisé dans le gaulois. La méthode archéologique s’applique aux fouilles de terrain, mais aussi aux textes enfouis dans les bibliothèques. De tradition surtout orale, la culture celte ne s’est transmise par écrit que de seconde main, via les Grecs et les Romains. En ce temps-là, la science faisait ses premiers pas et tout ‘historien’ ou ‘philosophe’ cherchait d’abord à se connaître, lui dans son peuple, par rapport aux autres – vus comme des « barbares » (ceux qui ne parlaient pas grec mais grommelaient des onomatopées telles que bar ! bar !). Poseidonios ou César cherchaient moins à faire œuvre d’ethnologues que de poser les valeurs grecques ou romaines par contraste avec celles de leurs ennemis.

Le chercheur d’aujourd’hui doit tout d’abord écarter les toiles successives des reconstructions mythiques. L’institution druidique a exercé durant trois mille ans dans des contextes historiques et sociaux très différents et il est vain de faire un amalgame « originel » des traits décrits dans l’antiquité. Le mythe celte a pris la suite du mythe indo-européen pour enraciner une origine. Il ne vaut rien de plus que celui d’Enée, descendant de Troie pour les Romains : une belle histoire d’ancêtres créée de toutes pièces. Les Gaulois vaincus par César ne sont pas les mêmes que les Celtes qui ont envahi le nord de la Grèce quelques siècles auparavant, ni que les magiciens irlandais du haut moyen âge – pourtant tous « celtes ». La celtitude bretonnante du folklore vacancier n’a rien à voir avec l’histoire, mais bien plutôt avec les quêtes communautaristes qui hantent les particularités françaises au début du troisième millénaire. Cela après avoir hanté les nationalistes après la guerre (perdue) de 1870 et la réaction antimoderne fasciste ou nazie. Brunaux liquide tout ce fatras pour se concentrer sur l’essentiel historique.

Les Gaulois ne sont que des descendants particuliers des Celtes et l’on ne peut attribuer systématiquement aux Gaulois ce qui est écrit sur les Celtes par les Grecs. Le coq gaulois se poussant des ergots face aux Romains (ces Américains d’hier) a suscité une abondante littérature vantant la civilisation brillante (mais bel et bien évanouie) du druidisme, sagesse et magie venant au secours de la justice et de l’éducation des jeunes pour conforter une nation. Dommage pour le mythe national, ce n’est pas ce qu’on peut lire quand on prend la peine de le faire selon les méthodes éprouvées.

Les druides ont été une réalité antique, mais les textes les plus anciens nous les révèlent sortis de leur gangue : des philosophes en territoire barbare dès le Ve siècle avant notre ère. D’où les trois parties du livre : 1/ le mythe des druides, 2/ les origines, 3/ les druides dans la société. Cette dernière part – qui fait la moitié du livre – est celle qui intéressera le plus les lecteurs soucieux de savoir.

Poseidonios le grec est « le premier savant à s’être aventuré en terre celtique avec le projet d’étudier un pays, sa population, les mœurs et les coutumes de ses habitants, sans arrière-pensées commerciales et stratégiques » p.200. Il voulait poursuivre en historien l’œuvre de Polybe ; il voulait vérifier sa théorie des climats sur les hommes ; il voulait savoir comment les sages commandaient aux politiques durant ‘l’âge d’or’ des sociétés. « Les Gaulois sont décrits avant tout comme des guerriers. L’agriculture proprement dite y occupe une place secondaire (…) tandis que l’élevage est présenté comme une source de richesse (…) A la suite étaient évoquées les ressources minières, notamment l’or abondant dont les Gaulois raffolaient, d’une passion déraisonnable » p.215. César reprendra ces données pour son livre en les schématisant et les déformant pour défendre devant le Sénat sa thèse qu’il était nécessaire d’envahir la Gaule.

Les druides sont honorés à l’égal des bardes (poètes et chantres sacrés) et des vates (savants de la nature chargés des cérémonies religieuses). Les druides ont une triple compétence : religieuse, politique et intellectuelle – ils sont les sages gaulois. L’archéologie a retrouvé des restes de lieux de culte qui correspondent aux descriptions de Poseidonios. Les druides en auraient été les architectes, versés en astronomie et organisant les dévotions. Ils ne sont pas ermites mais savants, s’imposant peu à peu dans la société par leur érudition transmise de bouche à oreille, mais comme élite car la société gauloise guerrière ne favorisait pas l’émergence d’une pensée rationnelle à la grecque. La botanique, la géométrie, la métempsycose, le contrôle de l’écriture sont instruments de pouvoir, surtout s’ils « estiment qu’il n’est pas permis par la religion de confier à l’écriture leur enseignement » (César) p.264. La formation par les druides se faisait par initiation, le maître jugeant de la maturité du disciple pour lui ouvrir plus ou moins ses connaissances. Pour le reste, l’utilitaire, ils utilisaient l’écriture selon les caractères grecs, notamment pour transcrire les lois.

La disparition des druides est due à la disparition des sociétés dont ils étaient les piliers. Les invasions germaniques du 1er siècle après ont détruit le triple pouvoir religieux, judiciaire et politique des druides. Dès les années 70 de notre ère, les druides sont peu à peu évincés du pouvoir par les guerriers aristocrates, un peu plus tard chez les Belges et chez les Carnutes. Sans religion qui dépendait des druides, sans écriture autre que celle jalousement gardée des druides, sans cadastre tenu par les druides, la société gauloise était fragile, à la merci de seigneurs de la guerre et de commerçants. « L’économie de guerre propre aux sociétés celtiques ancienne avait disparu de la plus grande partie de la Gaule celtique. Elle n’existait plus qu’en Belgique et en Aquitaine. Le commerce occupait désormais une grande place dans tout le centre-est et le sud-est de la Gaule. Il était source de déstabilisation des valeurs culturelles, celles de l’honneur, de la vertu guerrière, des strictes hiérarchies sociales. (…) Les Gaulois qui vivaient désormais moins isolés du reste de leurs congénères n’avaient plus les mêmes besoins sociaux : les assemblées religieuses et politiques ne présentaient plus la même nécessité. (…) La conquête romaine avec ses guerres, ses ravages et les premières transformations politiques, opérées souvent par César lui-même, leva tous les obstacles à un changement radical » p.325.

Les guerriers férus d’honneur laissent place aux commerçants et la Gaule à Rome… Un très intéressant livre qui remet le folklore à sa place.

Jean-Louis Brunaux, Les druides – des philosophes chez les barbares, 2006, Points Seuil 2015, 384 pages, 10€ e-book Kindle €9.99

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Gravures rupestres de l’Atlas

Au lever, à 6 h, un superbe soleil éclaire les alentours et il fait déjà chaud. Dans la vallée, une mer de nuages crémeux stagne ; ils se disperseront peu à peu durant la matinée. Nous sommes au-dessus de tout cela. Sur nous, le ciel reste bleu. Un petit berger chante quelque part et sa voix résonne sur les parois. La source murmure, les mules tournent autour de leurs piquets et mâchent la paille qu’on leur a donnée. La terre est rouge et produit d’étranges fleurs vertes sur les touffes d’euphorbes.

En berbère, praline se dit « kaokao » mais bonbon se dit « fanide ». C’est un mot que nous entendrons souvent de la part des enfants. L’injure de surprise, qui se dit merde en français est en berbère « zeit » (prononcer khsiete en crachant le kh). « Balek » signifie dégage ! et « azi », viens. De même nous avons « makein moukhil » = pas de problème, « chrob » = boite, « magana » = montre, « chbib » = raisin sec, « louze » = amande, « tierbatine » = gazelle. « Ya » veut dire oui et « hoho », non. En arabe ou en berbère, « yallah » signifie « on y va » et « la choukrane al anajib », merci.

Nous partons explorer le col de Tizi n’Tirghist, une centaine de mètres plus haut que le camp. Il se situe au pied de la corne nord de la table du Rhat, où sont gravés des signes rupestres sur les dalles de grès rose. Boucliers, lances, chevaux, attelages… les signes sont ceux d’un peuple agriculteur et guerrier, il y a probablement 3000 ans. Mais les gravures ont pu subsister jusque vers l’an 1000 de notre ère.

Le col est un lieu remarquable, peut-être inquiétant. Mettre sa marque en cet endroit, c’est marquer son territoire. Les chats pissent contre un buisson, les hommes, plus subtils, gravent des symboles. Justement, marquer des boucliers en grand nombre à cet endroit est sans doute une forme de protection contre ce qu’il y a au-delà, démons de la montagne ou hommes de la vallée suivante. Les « boucliers » sont des gravures rondes, munies d’un point central et striées en demi-cercle.

Le ciel est pur à cette hauteur, d’un bleu pastel. L’herbe est bien verte fleurie de boutons d’or, l’une de mes fleurs d’enfance avec la pâquerette et la giroflée. Des coquelicots mettent leur note rouge dans les champs encore verts. Une petite fille que nous croisons en porte un chargement sur le dos, « pour les vaches », nous dit-on. De jeunes bergers curieux descendent jusqu’à nous, à qui nous donnons des figues sèches et des amandes. Des villages surgissent un peu partout. On entend dans les lointains des cris d’enfants. Le cricri des grillons, les trilles des oiseaux peuplent l’étendue, sous le soleil à peine voilé parfois de légers cumulus. Les montagnes alentour alignent leurs strates horizontales comme un rempart protecteur. Des plaques de neige éternelle rappellent cependant que le climat est rude en hiver.

Nous suivons la vallée sur une petite piste creusée par le pas des mules et des vaches qui vont aux pâturages. Nous croisons plusieurs troupeaux de tous ordres sur la piste, deux ou trois vaches rousses aux petites cornes, conduites par une fillette ou un garçonnet. Plusieurs filles déjà adolescentes ramènent sur leurs dos des bottes de coquelicots et autres herbes mélangées. Elles avancent courbées en deux, la botte deux fois plus grosse que leur corps, tenue sur les épaules par une corde. On dirait des fourmis, grignotant pas à pas la distance du champ à l’étable.

La terre est irriguée de rigoles tracées depuis des générations et les champs se multiplient. Souvent l’orge est mélangé à l’avoine, un peu de maïs pousse plus loin, puis des pommes de terre. Tout est conçu pour l’autarcie : nourrir les hommes et les bêtes, mais sans guère de surplus à vendre sur les marchés. Les gamins qui nous regardent, de leurs grands yeux emplis de curiosité pour l’étrange que nous représentons, sont habillés selon la tradition, en djellaba. A force de jouer dans la terre, ils en ont pris la couleur. Seuls deux yeux noir ou brun qui brillent dans leur visage paraissent éternellement neufs.

Pique-nique et campement à 2300 m d’altitude, à une heure du dernier village de Tarbat n’Tirsal. Demain, nous attaquons la montagne. Le ciel se couvre, le vent suit les méandres de la vallée. Si le soleil est brûlant lorsqu’il règne au ciel, il fait frais dès qu’il se cache. L’après-midi est consacrée au repos, dans l’attente des fatigues de demain.

Ce soir, nous avons du couscous pour dîner. Après le service, les Berbères viennent chanter et jouer du tam-tam sur des casseroles dans la tente mess où nous nous sommes réfugiés en raison du froid qui descend. Le boute en train du lot est le jeune Mimoun. Il chante d’une voix bien posée, avec certaines notes encore adolescentes. Il sourit tout le temps, comme s’il se réjouissait de tout ce qui arrive. Il est rempli de vie et sa joie d’exister est une contagion permanente. Les autres Berbères l’aiment bien. Il change parfois malicieusement les paroles des chansons traditionnelles pour les faire rire. Nous chantons aussi, après qu’ils l’aient demandé, mais notre voix a moins de conviction. L’habitude s’est perdue, depuis l’école. Je me lance dans un solo avec le succès appris d’un étudiant en médecine : « je suis allé jusqu’à la morgue » est un air de salle de garde, mais rythmé et facile à retenir. Vis-à-vis d’étrangers qui ne comprennent pas les paroles, cela a son effet.

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